« Quand le pouvoir reçoit des claques, il doit les accepter… »

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Pionnier du mouvement hip hop, Didier Awadi est aujourd’hui l’un des rappeurs les plus engagés du Sénégal. Ses messages de militant des causes qu’il juge justes, ont fait de lui une figure marquante du rap africain. Du Positive Black Soul à sa carrière solo, l’auteur de « On ne signe pas » ne s’est pas départi de son engagement. Et il ne compte pas le faire. Dans les studios Sankara où, il nous reçoit, Awadi se prononce aussi bien sur la musique que sur la situation du pays.

Présentez- vous à nos lecteurs ?

Didier Awadi, rappeur musicien. Je suis tombé dedans quand j’étais jeune et c’était la mode. Je faisais du break dance et il fallait faire la musique qui s’accompagnait à cette danse et c’est dans ce jeu là qu’on est resté dedans.

Quel est votre cursus musical dans le mouvement hip hop ?

C’est un peu long, si on peut dire puisque je fais partie des pionniers de ce mouvement. On a démarré en 1984 en étant des danseurs de break dance. Et, c’est après qu’on a pris le micro. On faisait de petits spectacles, le groupe « Positive Black Soul » est venu après en 1989. Mais avant cela, il y avait le groupe Didier Awadi’s Sindycate, mais c’était juste pour s’amuser. Notre carrière n’a pris son envol qu’à partir de 1989 avec des tournées internationales, trois albums internationaux, beaucoup d’albums sur le plan local. En 2001, ma carrière solo a commencé, trois albums solo (Paroles d’honneur, Un autre monde est possible, Sunugaal). Et aujourd’hui, un nouveau produit est sur le marché « Présidents d’Afrique ». Le rap à nos débuts était mal vu par nos parents. Je suis de père et de mère enseignants, donc c’était compliqué. Mais comme mon père jouait de l’orgue et qu’on avait des chanteurs du coté de ma mère, mon attirance pour la musique se comprenait. Mais, il était impensable que je laisse tomber les études pour la musique, on avait un deal avec mes parents. Les bonnes notes me permettaient de faire ma musique et je me débrouillais pour toujours en avoir.

Pouvez vous nous parlez de votre nouvel album « Les Présidents d’Afrique » ?

C’est un concept assez intéressant, en ce sens que ce n’est pas seulement de la musique, c’est l’histoire que l’on revisite par le biais de la musique. Ce sont tous ces grands leaders que sont Nkrumah, Thomas Sankara, Patrice Lumumba qui nous ont prêtés leurs voix. Ce sont de discours qu’on a mis en musique et on leur fait faire des futurings, des morceaux de musique avec d’autres artistes. Par exemple dans un morceau, il y a Thomas Sankara, un rappeur du Burkina, Smocké et moi. C’est un album de 21 titres qui nous a pris 5 ans avec des tournées dans beaucoup de pays, des recherches de discours et vidéos de ces grands hommes. L’objectif de cet album, c’est la connaissance de notre histoire. Le message de ce nouveau produit, c’est réveiller la conscience africaine qui donne l’impression de dormir mais aussi de donner des repères et inspirations aux jeunes. Ce message veut donner des raisons de croire à l’Afrique, des raisons d’espérer. Prenez dix gosses et demandez leur s’ils veulent partir ou rester en Afrique, ils choisiront carrément de partir. Il faut qu’on croit au continent , sinon, qui va le construire. Même les adultes ne veulent plus rester dans le continent, c’est un problème. Il faut créer les raisons de rester en Afrique et l’album rentre dans ce cadre. Cet album rend aussi hommage aux pères fondateurs de la renaissance africaine.

Votre réconciliation avec Doug E Tee est-elle effective ?

C’est déjà consommé et on n’en parle plus. D’ailleurs, on doit faire une tournée aux USA à partir du 5 avril avec le Positive Black Soul, pour vous dire que c’est vrai. On a nos carrières solo et notre carrière PBS. Et on les gère bien ensemble. C’est juste une question d’organisation.

Quel est votre avis sur le mouvement Hip hop au Sénégal ?

Il n y a pas moins d’engagement. Dans le temps, on avait peu de radios, c’est pourquoi on sentait cet engagement des rappeurs. Aujourd’hui, on a tellement de radios, de groupes et on ne peut pas entendre tout le monde sur le même canal. Les rappeurs sont très engagés, il faut juste prendre le temps d’écouter les discours et les disséquer.

On constate que les rappeurs changent de discours, arrivés à un certain niveau de carrière ?

Ce sont leurs convictions, on ne peut pas juger les gens à partir de cela. La foi de quelqu’un en quelque chose ne concerne que lui. Je suis très mal placé pour y porter un jugement. Si un rappeur pense qu’après un certain nombre d’années d’engagement, il doit baisser les bras, on ne peut qu’accepter le fait, le déplorer ou l’applaudir. Je comprends que quelqu’un soit fatigué et se dise que cela n’en vaut pas la peine. C’est vrai que l’engagement ne paie pas son homme. Quand t’es engagé, les bons podiums se ne sont pas pour toi, les bons cachets non plus, les royalties n’en parlons pas. L’engagement, c’est croire en une cause et se battre pour, sans rien attendre en retour. Si cela paie tant mieux, cela peut arriver avec le temps, il faut juste que les gens adhérent à ton discours et te soutiennent. Au Sénégal les musiciens les plus engagés ne sont pas les plus riches.

Awadi changera t-il de discours un jour ?

Cela, je ne le pourrais jamais. A mon âge qu’est ce que je vais dire. C’est trop tard pour que je puisse changer de discours.

Est-ce que rap égal bling bling et quel regard portez-vous sur l’habillement des rappeurs ?

Le rap participe d’une culture, la culture hip hop. Il y a un code vestimentaire c’est-à-dire les gros pantalons, les gros tee shirts, les bling bling. Mais le hip hop ne s’arrête pas là, cela va au delà de cet aspect. En plus on n’a pas besoin d’être rappeur pour se vêtir comme cela, regardez les lutteurs sénégalais qui se mettent au bling bling et autres. Ce ne sont pas des rappeurs, mais ils participent à la culture hip hop, une culture urbaine qui est plus forte que le rap. Le plus important dans le mouvement, c’est ce que le rappeur a à dire, son message à faire passer. Maintenant, c’est bien beau d’avoir ces aspects culturels de la chose, mais ce n’est pas le plus important. En plus, nous vivons actuellement un métissage culturel et je n’ai pas de problème avec cela, que ce soit dans le vestimentaire ou autre

Qu’est ce que Awadi pense du Mbalax ?

C’est une musique que j’apprécie beaucoup, je le chante, je le danse et j’ai des amis qui en font. Quoi qu’on dise, c’est le numéro un du pays et il est impossible de l’enlever de nos gènes. Il n’y a que nous qui le comprenons, qui le sentons à ce haut niveau.

Et la mort annoncée du mbalax ?

Ce n’est pas vrai, même si on le dit. Certes le Mbalax ne fait pas le poids au niveau international, mais il est loin d’être mort. Cette musique est consommée que par les Sénégalais, les Gambiens et un peu dans la sous région. Le Mbalax est une musique très sénégalaise, il est très riche et assez particulier. Il ne répond pas à tous les codes internationaux, donc ce n’est pas tout le monde qui le comprend. Remarquez les danses sur la même musique divergent, les pas ne seront pas au même endroit au même moment, même pour les Sénégalais. Chacun y va de son entendement, c’est une musique qui se ressent. Et tant qu’il y aura des tam-tams et les choses qui vont avec, le mbalax ne mourra pas.

Le rappeur Fata est souvent victime de clash dans le milieu, quel est votre avis sur cette situation qu’il vit ?

C’est parce qu’il y a des gens qui n’ont pas adhéré au duo Fata avec un chanteur de Mbalax. Je n’ai rien contre ce que Fata fait, je trouve plutôt qu’il a le courage d’aller vers ce qu’il faut. Il faut amener le rap dans la musique sénégalaise et qu’il fasse partie intégrante de la musique sénégalaise. On ne peut pas faire du rap américain bien que cela vient de là-bas, si on veut que le hip hop soit riche, il faut qu’on le métisse. Il nous faut un code, une touche à nous. Je suis d’accord avec la démarche de Fata. En plus, on ne peut pas se permettre de juger le travail de quelqu’un qui s’est battu pendant longtemps. Je dis que c’est trop facile de venir, d’essayer de le descendre parce qu’on n’apprécie pas le produit. Et Fata est quelqu’un qui fait beaucoup pour le mouvement hip hop avec des émissions télé, radios. Et il donne la chance à beaucoup de jeunes talents. Mais il faut aussi noter que Fata est quelqu’un qui suscite beaucoup de jalousie, il est parvenu à tirer son épingle du jeu.

Awadi fera t-il du mbalax un jour ?

Pourquoi pas, je n’ai pas de blocage. On peut rapper sur toutes les musiques. Je n’ai rien contre cette idée, et tout est possible avec le rap c’est tellement vaste. Il faut juste être bon et savoir se poser rythmiquement.

Dites nous en un peu sur le slam dans le mouvement ?

C’est très beau le slam et on a des gens qui écrivent de beaux textes. Je pense que les textes sont la base du rap. Si avec le slam le texte reprend sa place dans le rap, dans le hip hop c’est à saluer. C’est la poésie qui reprend ses droits et c’est important de lui donner ses lettres de noblesse.

En tant que porteur de voix que pensez-vous de la situation que connaît le pays en ce moment ?

Il y a un climat assez lourd dans le pays et je pense qu’il faut interroger les politiciens qui gèrent la cité. Nous sommes des musiciens qui observent la situation du pays pour ensuite la dénoncer. Il y a un mauvais climat dans le pays et nous avons connu mieux. Je pense que les cinquantenaires du pays vont nous permettre de réfléchir sur où on en est, et sur où on veut aller. C’est l’occasion de savoir quels sacrifices, on est prêt a faire pour le pays, pas pour notre propre personne, si on est patriote, nationaliste, panafricain. C’est le moment de se poser ces vraies questions. Et s’il y a un mauvais climat, c’est le fruit de mauvaises questions qui ont été posées au moment des indépendances.

Vous croyez à la possibilité d’un dialogue politique ?

Je pense qu’il y a dialogue politique. Seulement c’est un dialogue de sourds. Je crois à l’expression de la démocratie, les gens ne sont pas obligés d’être des camarades et de se faire la bise. Il faut qu’il ait des avis divergents, cela n’a aucun sens que les gens parlent le même langage. Même dans les familles, cela ne se passe pas comme ça. Il faut que les opposants assument ce que c’est l’opposition et le pouvoir son rôle. Chacun doit jouer sa partition, quand le pouvoir reçoit les claques, il doit les accepter quand il fait des faux pas. L’opposition n’est certes pas agréable, mais a le loisir de « sandi xer » (jeter des pierres).

Le monument de la renaissance ?

Ce monument n’est plus d’actualité, on en a tellement parlé et entendu parler que cela ne fait plus d’effet. On fait plutôt de la redite sur le monument et on fait sa promotion, mine de rien.

Vous ne croyez pas qu’il vaut mieux agir que de continuer à parler seulement ?

Notre rôle c’est d’amener les gens à prendre conscience de certaines choses. C’est pour cela qu’on lance les messages. Mais, il faut savoir les décortiquer pour pouvoir réagir et agir. Et souvent, on se rend compte qu’on parle dans le vide et quand on prend certaines positions, on te taxe de guerrier. Et cela, parce que tu as réfléchi, tu as donné une opinion somme toute banale. Notre culture politique n’est pas une culture de conquête, on nous a beaucoup donné. Les indépendances qu’on nous a données, on nous a tout organisé, ainsi de suite. Par contre dans les pays anglophones, il y a eu des luttes de libération. On a toujours pacifié les gens avec des médiateurs, chaque fois qu’il y a eu des velléités de lutte. Alors on ne peut pas demander à des gens qui n’ont jamais combattu de réagir et de devenir des combattants.

Quels sont les projets d’Awadi ?

Il y a l’album « Présidents d’Afrique » qui sera dans les bacs le 1er avril. Pour ce nouveau produit, une conférence de presse est prévue le jour de sa sortie, en présence de membres des familles de Thomas Sankara, lde, Cheikh Anta Diop, de Lumumba et de Sékou Touré. Il y aura aussi la présence de la ministre de la Culture du Mali, Aminata Traoré. Un gros concert est prévu pour le vendredi 2 avril avec des artistes que j’ai invités, dont Babani Koné et les Tatapound du Mali, Maji Maji du Kenya, Tiwoni et Lady Sweetie des Antilles, Smockey du Burkina, Dead Prez des Usa, Skwatta Kamp d’Afrique du Sud, Lexxus de la Rdc. Pbs s’envole aux Usa pour une tournée, avant mon départ pour l’Afrique du Sud. Un film sur « Présidents d’Afrique » dont je suis l’initiateur et le producteur sortira très prochainement, sûrement le 25 mai. En tout cas, ça promet.

– Par Mayaram –
nettali.net

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