31 décembre 1980-Dernier discours à la Nation: comme un monarque, Senghor transmettait le pouvoir à Diouf

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Seul président du Sénégal depuis l’indépendance, en 1960, Léopold Senghor annonce sa démission le 31 décembre 1980. Il explique ses raisons dans une lettre dont des extraits sont reproduits dans le journal Le Quotidien

Sénégalaises, Sénégalais, Une fois de plus, me voici devant vous, en ce soir du 31 décembre 1980, pour vous présenter mes voeux. Auparavant, je voudrais, comme président de la République du Sénégal, vous faire mes adieux.

Ce faisant, je commencerai par vous remercier, toutes et tous. En effet, depuis 1945, depuis 35 ans, à toutes les élections, vous m’avez fait confiance et, par-delà ma personne, à mon parti. Non seulement vous avez voté pour moi, mais ce qui est le plus important, vous m’avez soutenu par vos conseils comme par vos critiques, singulièrement par vos efforts de discipline et de travail. Vous avez fait tout cela parce que vous vous sentez une Nation, c’est-à-dire un commun vouloir de vie commune. Il s’y ajoute que, depuis un mois, vous avez été nombreux, de la majorité, mais aussi de l’opposition, à me dire vos regrets de me voir partir. De ces marques de confiance, je suis profondément touché.

J’ai dit « toutes et tous ». Je peux vous le dire, dans mes lectures du week-end, je n’oubliais jamais les journaux de l’opposition. Je tâchais seulement, en les lisant, de faire la distinction entre le bon grain de l’ivraie, entre le grain de mil et le khakham, c’est-à-dire entre les arguments pertinents et ceux qui appartiennent à la politique politicienne.

Les raisons de ma démission (…) En vérité, ma volonté de ne pas être un « Président à vie » était un secret de polichinelle, car comme on le sait, j’ai refusé, entre autres, le dépôt d’une proposition de loi tendant à faire de moi un Président à vie. Il y a mieux, dans une interview à l’hebdomadaire dakarois Afrique Nouvelle, en mai 1976, je disais : « Pendant les quelques années qui me restent à vivre, je voudrais confier mes rêves à d’autres mains. Dès mon élection, en 1960, mon principal problème a été de former une équipe pour me remplacer au plan politique. » C’était clair.

Il est vrai que le correspondant du Monde à Dakar a, dans le numéro du 21 octobre 1980, annoncé ma démission. Il y avait quelque six mois que je n’avais vu le correspondant en question. Mais j’avais, au début de l’année 1980, fait part de mes intentions au Premier ministre Abdou Diouf et, à la veille des vacances, j’en avais parlé aux ministres les plus intéressés. Comme vous le savez, quand j’ai l’intention d’annoncer une décision importante, je m’adresse, d’abord, au Premier ministre avec qui j’ai, toutes les semaines, une séance de travail, ensuite suivant l’importance du problème, aux députés, aux membres du Conseil économique et social, aux partis, en commençant par le parti majoritaire, aux principales personnalités civiles et religieuses, enfin, dans les circonstances les plus graves, à la Nation par un message radiotélévisé. Je n’ai pas failli à cette méthode. C’est pourquoi je m’adresse à vous, ce soir. (…)

Sénégalaises, Sénégalais, Je vous dois, cependant, des explications sur la démission que j’ai remise, ce matin, au premier président de la Cour suprême. Les raisons sont de deux ordres. Très précisément, il y a une raison de principe et une raison de fait.

Tout d’abord une raison de principe. Encore une fois, j’ai toujours été contre la présidence à vie, j’ai toujours été pour l’alternance au pouvoir ; qu’il s’agisse de l’alternance des partis, exprimée par des élections libres, ou de l’alternance au sein du même parti par la montée des jeunes.

Or donc, dès août 1946, moins d’un an après mon élection comme député du Sénégal à l’Assemblée constituante française, dans une interview à l’hebdomadaire Gavroche, je précisais notre objectif politique, qui était de mener le Sénégal à l’Indépen­dan­ce. Ce qui fut fait en 1960. Après mon élection, cette année-là, comme premier président de la République du Sénégal, je pris la décision, en 1961, de me retirer à la fin de mon mandat, pour retourner à mon enseignement et à mes recherches. Au demeurant, pendant les 15 ans que j’ai, comme député, représenté le Sénégal au Parlement français, je continuais d’enseigner. Mais vous vous rappelez la tentative de coup d’Etat qui eut lieu le 17 décembre 1962. Il fallut, alors, faire instituer le régime présidentiel et tout recommencer en repartant à zéro.

S’agissant de la raison de fait, il y a que je viens d’avoir 74 ans. Encore que, pour mon âge, je ne me porte pas trop mal, je ne peux plus travailler, sauf le mois de vacances, 10 heures par jour en moyenne, y compris le samedi et le dimanche. Il faut quitter le poste en passant le flambeau à la génération suivante. (…)

Bien sûr, tout n’a pas été parfait depuis 35 ans. Je reconnais que, souvent, mon parti et surtout moi-même, nous avons fait des erreurs, des chutes. Il reste qu’à chaque fois, nous avons fait notre autocritique, nous nous sommes relevés, et nous avons poursuivi notre marche en essayant d’être plus attentifs, plus méthodiques, plus organisés ; en un mot, en travaillant plus et mieux. Rien ne le prouve mieux que la lutte persévérante que nous avons menée contre la corruption et la mauvaise gestion en général. C’est ainsi que l’Etat sénégalais possède 14 organes de contrôle administratifs ou juridictionnels, dont 4 à la présidence de la République. Non seulement nous contrôlons, comme j’ai eu l’occasion de le prouver en m’appuyant sur des chiffres précis, mais encore nous sanctionnons. Qu’on nous donne la liste des Etats africains qui font mieux. (…)

Comme vous le voyez, un avenir prometteur s’ouvre à notre pays si, encore une fois, nous savons être, non seulement plus unis sur l’essentiel, mais encore et surtout plus attentifs et réfléchis, plus méthodiques, plus organisés, plus travailleurs. Si nous savons également maintenir la démocratie, c’est-à-dire le pluralisme des partis dans le respect des Droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si j’ai un message à vous faire aujourd’hui, c’est bien ce dernier, qui s’adresse à tous les citoyens et citoyennes du Sénégal.

Déwenati ! Il ne me reste plus qu’à vous adresser mes voeux en ce jour du 31 décembre. Je pense aux malades, aux infirmes, aux handicapés en général, aux vieillards et aux enfants. Je songe, plus particulièrement, à nos paysans qui, malgré les aléas du climat, continuent de travailler durement, courageusement, et qui, parce que les vrais prolétaires, forcent ainsi notre admiration.

Réaction dans la presse internationale

Siradiou Diallo, « Quand un président africain s’en va…que fait l’opposition ? »

«…L’annonce de la retraite anticipée du président Senghor a provoqué une véritable levée de boucliers dans l’opposition. Curieusement, ceux qui n’avaient de cesse de crier « Senghor, démission! » ou se juraient de l’abattre semblent soudain pris de malaise. Certes, le rêve qu’ils caressaient depuis belle lurette, à savoir un Sénégal sans Senghor, est sur le point de se réaliser. Mais sans eux et, plus grave, contre eux. Le paradoxe du Sénégal, c’est que partisans et adversaires du président-poète n’ont pas cru jusqu’au dernier moment aux rumeurs relatives à sa démission. Malgré les allusions répétées, les fuites calculées et les confidences chuchotées ici ou là, la classe politique restait étrangement sceptique. Habituée aux manoeuvres, ficelles et autres acrobaties de ce fort en thème qui domine depuis une trentaine d’années la scène politique nationale, elle ne pouvait l’imaginer dans un autre rôle. Surtout pas celui de simple retraité. »

Jeune Afrique (France), 17 décembre 1980, p. 19.

M.S., « La sortie de Senghor »

«…En agissant comme un monarque absolu, au mépris des principes les plus élémentaires de la démocratie, qui exigeraient au minimum l’organisation d’une élection anticipée libre de toute contrainte et de toute discrimination, Léopold Senghor a précipité son pays dans une situation de crise aiguë. Quelles que soient les intentions réelles du président sortant, les amarres sont en effet rompues. Au sein du Parti socialiste, en pleine faillite et qui fait eau de toute part, les tractations et manoeuvres ont déjà commencé, et on peut prévoir que la lutte pour les places sera sans pitié. Tandis que d’anciens « barons » écartés risquent de resurgir de leur « exil », on s’attend avec Abdou Diouf et son entourage (les hommes pressentis pour le poste de Premier ministre sont, comme lui, des technocrates de l’aile droitière du parti) à une accentuation marquée du caractère autoritaire du régime. Quant aux forces de l’opposition légale non reconnues, dont les commentaires et prises de position, à l’annonce de la démission de Senghor, se recoupent, elles sont aujourd’hui placées devant leurs responsabilités. »

Afrique-Asie (France), 22 décembre 1980, p. 25.

Pierre Biarnes, « Une situation difficile »

«…Depuis un an, un plan de redressement a bien été mis en oeuvre, non sans courage, sous la responsabilité directe de M. Abdou Diouf. Mais, pour le moment, on n’en ressent guère que les rigueurs, en dépit d’un accroissement très important de l’aide financière extérieure de la France, du Fonds monétaire internationale et de la Banque mondiale, en particulier. Le climat social n’est donc pas bon. La personnalité du président Senghor a cependant très largement contribué à atténuer les effets, sur le plan politique, de cette crise. Le Sénégal est le pays le plus libéral d’Afrique. Tous les courants de pensée ne peuvent pas encore s’y organiser en partis politiques mais ils peuvent, au moins, s’exprimer librement, et les opposants ne se privent pas de critiquer le pouvoir, comme en témoignent les nombreuses publications de l’opposition en vente à Dakar. (…) Le Sénégal est en même temps un des pays les plus stables d’Afrique. L’opposition est, en fin de compte, tout aussi soucieuse d’égalité que le pouvoir. M. Abdou Diouf sera-t-il capable de préserver en même temps la stabilité et la liberté ? Ou bien, ne sera-t-il pas tenté de privilégier la première au détriment de la seconde ? »

Le Monde (France), 1e janvier 1981, p. 3.
perspective.usherbrooke.ca/

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