70 ans de domination monétaire : Colonies Françaises d’Afrique

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Les Gaulois ne sont pas très ingénieux, mais excellent dans l’art de l’imitation. Ce vieux propos de Jules César se vérifie à travers la mise en circulation par la France d’une monnaie tout à son avantage dans ses anciennes colonies. En créant le franc Cfa, qui fête ce 26 décembre ses 70 ans, le pays du Général De Gaulle n’a fait que reproduire le système (monétaire) imposé par l’Allemagne après l’avoir annexée durant la seconde guerre mondiale. Unité monétaire de 14 pays africains concentrés entre l’Uemoa et la Cemac, le franc Cfa sert beaucoup plus les intérêts de l’ancienne métropole et représente pour bon nombre d’experts un outil de perpétuation de la domination française. Le Quotidien vous plonge dans l’univers des mécanismes de renflouement des caisses du Trésor français par les Etats en question liés à l‘ancienne Métropole par des «clauses publiques et secrètes». Une des nombreuses conséquences du pacte colonial qui, jusqu’à aujourd’hui, continue de régir les rapports entre la France et ses anciennes colonies.

Les pays des zones Uemoa (Union économique et monétaire ouest africaine) et Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) déposent 50% de leurs réserves de change au Trésor français, indique Siré Sy, expert et chercheur en géostratégie et géo-économie. Il s’agit du Bénin, du Burkina Faso, de la Guinée Bissau, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo pour la zone Uemoa. Du Cameroun, de la République Centrafricaine, du Tchad, du Congo, de la Guinée Equa­toriale et du Gabon pour la Cemac. Cette obligation bancaire a débuté bien avant l’accès de ces pays à l’indépendance ; tous d’anciennes colonies françaises regroupées pendant l’ère coloniale autour de l’Aof (Afrique occidentale française) pour les Etats de l’Uemoa et l’Aef (Afri­que équatoriale française) pour ceux de la Cemac. Ex­ception faite de la Guinée Bissau (ancienne colonie portugaise) ayant accédé à l’Ue­moa en 1997 et de la Guinée Equa­toriale (an­cienne colonie espagnole) membre de la Cemac depuis 1985. En effet, ce mécanisme de renflouement du trésor de la Métropole par les colonies remonte au 19ème siècle.
En ce temps, «les autochtones payaient un impôt de capitation à la Métropole. Une imposition (dont étaient exempts les habitants des quatre communes : Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis, considérés comme citoyens français) par tête d’habitant, mais aussi pour les biens personnels (produits vi­vrières, cheptel…) payés individuellement ou collectés par des commis locaux», ex­plique l’historien Mous­tapha Dieng de l’Université Cheikh Anta Diop. La France n’a fait que s’appuyer sur cette politique pour pérenniser sa domination vis-à-vis de l’Afri­que noire. Au nom du principe «les colonies par la métropole et pour la métropole», la France a huilé le mécanisme qui a débouché à la signature du pacte colonial après les accords de Bretton Woods (juillet 1944). Un traité avec «des clauses publiques et des clauses secrètes» qui continue jusqu’à nos jours de guider les relations France-Afrique. Le pacte colonial (encore appelé exclusif colonial) est un régime d’échanges qui garantit à la France une préférence spéciale. C’est, en quelque sorte, «un gentlemen agreement instauré à la période postindépendance entre le général De Gaulle et les pères des indépendances des pays en question», explique Siré Sy. Entre autres avantages du pacte colonial, la France se réserve l’exclusivité des exportations des matières premières locales, pourvoie le marché local pour les importations, définit les politiques à adopter, installe des bases militaires et, in fine, contrôle la monnaie des pays en question.
Ce dernier point est la clé de voûte du système. Alors que la livre sterling a sauté avec l’indépendance des pays anglophones d’Afrique (Ghana, Nigeria Sier­ra Leone…), la France est parvenue à maintenir le franc des Colonies françaises d’Afri­que (Cfa) créé suite à la réforme monétaire du 26 décembre 1945 devenu après franc de la Communauté financière d’Afrique comme monnaie pour ces nouveaux Etats. «En 1959, les pays d’Afrique de l’Ouest se sont associés au sein de la Bceao (Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest) ; la même année, les pays d’Afrique centrale ont créé la Beac (Banque des Etats de l’Afrique centrale)», renseigne le site de la Banque de France. Une coopération monétaire entre la Fran­ce et ces derniers est ainsi instituée, «régie par quatre principes fondamentaux : garanties de convertibilité illimitée ap­portée par le Trésor français, fixité des parités, libre transférabilité et centralisation des réserves de change», indi­que encore le site de l’institution financière. Le Franc français est alors l’ancre monétaire du franc Cfa (1FF pour 100 F Cfa).
En contrepartie de la garantie du Trésor français, les banques centrales des deux zones monétaires sont «tenues de déposer une partie de leurs réserves de change sur un compte dit compte d’opérations ouvert dans les livres du Trésor français». «Le taux était de 100% de 1945 à 1975, puis fixé à 65% à partir de cette année et est observé avec discipline par les Etats concernés», avise le géo-économe sénégalais Sy. «Cette proportion a été amenée de 65% à 50% pour les avoirs extérieurs nets de la Bceao, conformément à l’avenant signé le 20 septembre 2005, à la convention de compte d’opérations du 4 décembre 1973. En application de la nouvelle convention de compte d’opérations de la Beac signée le 5 janvier 2007, cette quotité a été abaissée graduellement, la proportion de 50% étant appliquée depuis le 1er juillet 2009», souligne encore sur le site officiel de la Ban­que de France qui mentionne en outre que «le fonctionnement du compte d’opérations a été formalisé par des conventions».

L’Afrique joue toujours en Cfa
Pour l’économiste sénégalais Sanou Mbaye, ex-fonctionnaire à la Banque africaine de développement (Bad), «la France investit ces réserves qui représentent des dizaines de milliards de dollars dans des bons du trésor qu’elle utilise ensuite pour garantir les prêts qu’elle lève pour financer son propre déficit public». A l’adoption de l’euro en 1999, la monnaie européenne est devenue ancre monétaire du F Cfa sans que les mécanismes de coopération de la zone monétaire en soient affectés : 1 euro est fixé à 655,95 F Cfa contrairement aux autres monnaies dont les cours sont non seulement flottants, mais également maintenus au niveau le plus bas. En effet, «il faut 1 500 wons à la Corée du Sud, 15ème puissance mondiale, pour avoir un euro, à l’Inde (Nation émergente) 12 mille roupies pour avoir un euro, à l’Iran (puissance nucléaire) 14 mille 500 rials pour avoir un euro», se désole Sy. Une telle politique monétaire consacre une valeur du franc Cfa profondément en déphasage avec la réalité et les vraies performances économiques des pays qui l’adoptent comme monnaie. Seules les entreprises françaises, détentrices du monopole dans les secteurs clés de l’économie, peuvent prospérer dans un tel environnement, fait remarquer pour sa part l’économiste Mbaye. «Ce taux de change très élevé permet aux entreprises françaises telles que Bouygues, Société générale, Bnp Paribas, Bolloré de protéger leur gain en ce sens que les prémunissant des dépréciations monétaires courantes», explique-t-il. Autre grief soulevé par l’économiste sénégalais au sujet du franc Cfa fabriqué et imprimé en France : «Les deux francs Cfa sont con­vertibles à l’euro, mais sont inconvertibles entre eux.» Mba­ye est alors con­vaincu que «la zone franc doit faire des réformes fondamentales pour obtenir la totalité de son autonomie financière».

La France gagne au change
Les cris d’alerte montent crescendo pour dénoncer «les servitudes de ce pacte» de tout le temps démenti catégoriquement par Paris. Un concert de lamentations contre la «logique prédatrice» sous-tendue par le pacte colonial se joue en effet en Afrique. Auteur de l’ouvrage Les servitudes du pacte colonial, Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale ivoirienne du temps de Laurent Gbagbo, a posé le doigt sur le mal qui «pèse lourdement» sur la destinée desdits pays depuis des dizaines d’années après leur indépendance. Dans son sillage, Siré Sy, Moustapha Dieng et bien d’autres experts et penseurs africains.
Les moyens de lutte et de résistance sont toutefois très faibles voire inefficaces, en l’absence de vrais leaders nationalistes, d’une union qui fait encore défaut à l’ensemble des dirigeants des pays con­cernés et de médias sérieux et responsables en mesure d’éveiller les consciences et de sensibiliser les peuples qui en payent le lourd tribut. «Toute tentative solitaire de résistance finira cependant par échouer. Les conflits armés qui pullulent dans le Sahel en disent mieux. Il faut une résistance collective assurée par les leaders politiques, les élites africaines et la société civile pour en finir avec ce pacte injuste», conclut le géo-stratège promettant de continuer le combat de concert avec le reste des nationalistes.

Le Quotidien

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