A Batons rompus avec… Moustapha Touré, ancien président de la CENA: CONSEIL CONSTITUTIONNEL : « Une déclaration d’incompétence sur la candidature du Président Wade est exclue »

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Plus d’un an après avoir quitté la Commission Electorale Nationale Autonome poussé à la sortie par le président Abdoulaye Wade, le président Moustapha Touré observe de très près encore l’actualité politique sénégalaise. Le débat sur la candidature du président le passionne et il donne quelques pistes d’éclairage sur l’invalidité de la candidature du président de la République sortant et pourquoi le conseil constitutionnel ne peut se déclarer incompétent sur cette candidature controversée.

M. le Président depuis votre départ de la Commission électorale nationale, suite à votre différend avec le président de la République, qu’est ce que vous avez fait ?

Moustapha Touré : j’ai beaucoup voyagé pour aller voir mes enfants et me reposer auprès d’eux après d’intenses activités menées à la tête de cette institution.

Vous suivez quand même l’actualité politique ?

Tout à fait. Je suivais l’actualité à travers la presse. Beaucoup de choses se sont passées

Est-ce que vous étiez à Dakar le 23 Juin ?

Pas encore. J’étais aux USA mais je suivais tous les matins la revue de presse avec Ahmet Aïdara.

Qu’est ce que vous vous êtes dit quand vous avez vu la tournure des événements ? A un moment donné, ne vous êtes vous pas dit on l’a échappé belle ?

Le 23 Juin, c’était extraordinaire. Je me suis dit : le Président va réfléchir.

Trois mois après, pensez-vous qu’il a réfléchi. Vous avez vu les actes qu’il a posés. Il veut être candidat à son âge ?

Il veut être candidat parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il l’a déclaré depuis belle lurette. Maintenant est ce qu’il peut être candidat ? c’est cela la grosse question.

Pensez-vous en tant que juriste que Abdoulaye Wade peut-être candidat à la présidentielle de 2012 ?

De mon point de vue, la réponse est non, catégoriquement non. Je le dis par ce qu’il a été élu en 2000 pour un mandat de 7ans qui est arrivé à expiration en 2007. En 2001, il a fait modifier la constitution qui a été soumise par référendum. Et généralement une constitution qui est soumise au suffrage du peuple doit être claire, précise et ne doit prêter à aucune équivoque.

Est-ce qu’à votre avis la constitution est claire ?

Oui la constitution est claire. Elle a été votée le 22 Janvier 2001 et elle proclame que la constitution adoptée entre en vigueur à compter du jour de sa promulgation par le Président de la République. Cette constitution proclame que le mandat est de 5ans, renouvelable une seule fois. Il s’est trouvé qu’il y avait déjà un mandat de 7ans qui était en cours. Donc le mandat de 5 ans proclamé par la Constitution est en cours. En partant de Janvier 2001, c’est à dire la date de la promulgation de la constitution, le premier mandat de 5ans devait arriver à expiration avant 2007 donc en 2006. C’est donc un mandat de 5ans qui est en cours. Ce mandat de 5ans devrait arriver à expiration avant la fin du mandat de 7ans et la constitution règle ce problème en disant que le Président de la République poursuit son mandat. Si c’est le cas, son mandat est concerné par la limitation ? Non seulement il est concerné mais il est prorogé jusqu’en 2007.

Donc la constitution proroge le premier mandat de 2 ans ?

Oui. Et là je fais une réflexion, une observation. Je dis que la loi n’exige pas que les deux mandats soient consécutifs. Et c’est dire donc qu’en en 2007 si le Président de la République n’était pas candidat, il pourrait postuler à un deuxième mandat après 2012. Par conséquent ceci confirme que le Président ne peut pas briguer un troisième mandat. Il a obtenu un mandat de 5ans prorogé de 2ans par la Constitution et a obtenu un deuxième mandat.

La nouvelle constitution entre en vigueur et lui a prorogé son premier mandat. Le Président de la république a donc eu un mandat de 7 ans ?

Oui. Supposons que la constitution ait été votée en 2003 au lieu de 2001, avec la même disposition de 5ans renouvelable une seule fois donc en 2003, le premier mandat expirerait en 2008. Alors dans ce cas là, la constitution aurait immédiatement exclu le premier mandat. Et il y aurait en ce moment un mandat qui finit en 2008 et 2013.

Maintenant en droit c’est clair que le Président ne peut pas se présenter. Existe-t-il des risques politiques s’il se représente ?

Non, il n’y a pas de risques politiques sauf de se voir humilier si le conseil constitutionnel déclare sa candidature irrecevable.

Vous savez il ya une frange de la population sénégalaise qui demande que sa candidature soit retirée, est ce que vous pensez qu’il y aura des troubles s’il veut forcer sa candidature ?

Des troubles c’est possible mais ce n’est pas souhaitable. Parce que quand même le président de la République est un citoyen, il a le droit à tort ou à raison de présenter sa candidature.

Mais si inconstitutionnellement il ne peut plus le faire ?

Mais inconstitutionnellement ce n’est pas à nous de le juger, il y’a le conseil constitutionnel à qui la loi a confié une mission bien précise.

Vous dites à tort ou à raison il peut le faire ?

Oui !

Vous dites que c’est au conseil constitutionnel d’en juger ?

Oui il peut le faire et c’est au conseil constitutionnel s’il prend le risque de se présenter de l’invalider. J’ai entendu dire qu’il commence à parler d’une déclaration d’incompétence. Mais ça c’est exclu. Ce n’est pas possible.

Et si néanmoins le Conseil constitutionnel fermait les yeux pour se déclarer incompétent ?

C’est très possible mais ce serait trop facile. Mais je ne pense pas qu’étant la plus haute juridiction sénégalaise, le Conseil ferait cela. Moi ça me surprendrait. Car s’il insiste pour se présenter c’est peut être par ce qu’il a non pas peut être la conviction, mais que le Conseil constitutionnel avec les éléments qu’il y a placés, ne peut pas rejeter sa candidature. Mais la justice ne saurait s’accommoder de cela car le magistrat ne peut pas rendre service. S’il rend service c’est que la cause n’est pas bonne. Et ce sera le cas si jamais le Conseil constitutionnel se déclare incompétent. En tout cas Wade candidat ou non perdra. J’ai vu un membre du conseil constitutionnel et il m’a dit qu’ils vont se prononcer et ils vont le faire de façon claire et précise.

Et son fils ?

Son fils a un problème, par ce qu’il lui faut fournir la preuve qu’il a renoncé à sa nationalité française.

Comment peut-il être candidat ?

Mais là aussi c’est le conseil constitutionnel qui en décidera. Le conseil constitutionnel a un pouvoir d’investigation, c’est son rôle. J’ai eu ce problème à Dakar avec l’affaire Blondin. Pour le cas de Karim, le conseil constitutionnel peut mener l’enquête pour voir s’il a la double nationalité ou pas.

En cas de double nationalité d’un candidat, le Conseil constitutionnel peut-il recevoir sa candidature ?

Oui, c’est l’article 114 qui décide. Cette disposition mérite d’être bien rappelée d’ailleurs. La candidature doit être déposée au greffe du conseil constitutionnel dans les délais. Et l’article L 116 du code électoral dit : « pour s’assurer de la validité de la candidature déposée et du consentement du candidat, le conseil constitutionnel doit procéder à toute vérification ». C’est une obligation car la loi le prescrit.

Donc le Conseil constitutionnel ne peut se déclarer incompétent ?

Ah non. Certainement pas. Il est obligé de se prononcer. C’est une obligation. Il est obligé de se prononcer sur la validité d’une candidature. Parce qu’il ne s’agit pas d’un recours mais d’une obligation. C’est une compétence dédiée c’est clair. Et l’article qui suit dit ; le Conseil constitutionnel arrête et publie la liste des candidats. Donc si on réfléchit bien le Conseil constitutionnel a le même rôle que le juge d’instruction. Le juge d’instruction est saisi par le procureur, il instruit et ensuite prend une décision. Le Conseil constitutionnel est saisi par le dépôt de la candidature. Il vérifie et prend une décision. Maintenant, il y a des cas où le Conseil constitutionnel est obligé de prendre une décision immédiate. C’est quand il s’agit des conditions de fond. Les conditions de forme et de procédure sont celles prévues par le Code électoral. Les conditions prévues par la Constitution sont l‘âge, la nationalité. C’est le cas de Karim qui est de nationalité française. Il est né en France d’une mère française. En France dès l’âge de 18 ans, vous êtes inscrit sur les listes électorales. Mais dans ces cas là où le Conseil doit se prononcer par rapport à la nationalité, à l’âge, à la conservation de ses droits civils, au mandat dans ses cas là, le Conseil a l’obligation de se prononcer immédiatement, de rendre un arrêt ou un jugement pour le notifier au candidat et au parti. Ceci pour permettre au parti concerné de présenter un autre candidat pour éviter la forclusion. C’est les cas prévus par la Constitution. Maintenant dans les cas prévus par le Code Electoral, il s’agit juste de faire des corrections.

Comment voyez-vous les élections de 2012 ? Etes-vous angoissé, inquiet ?

Non je ne suis pas inquiet. Ma femme est au PDS, elle est responsable, fait partie du comité directeur actuellement. Elle est à Dakar au Point E où elle milite. Elle essaie de mobiliser. Depuis plusieurs mois, je lui dis ne te fatigue pas par ce que Wade ne sera pas candidat.

Avez-vous suivi le débat sur l’audit ou la révision du fichier électoral ? Etes vous rassuré par rapport au million et quelques d’électeurs dont on avait parlé ?

Non je n’ai pas suivi, je sais que il y a toujours certains politiciens qui parlent toujours de ce problème là mais à partir du moment où Wade ne m’a plus reçu, je ne m’en suis plus occupé. C’est vrai que depuis, on l’a emmené à dire que l’informaticien de la Cena n’est pas compétent, les machines sont vétustes etc.

Qui le dit ?

C’est Ousmane Ngom qui l’a amené à le dire.

Justement avant de partir il y a eu cet incident lors de la présentation du rapport de 2010 de la CENA, le Président vous a invité à prendre la parole et vous avez refusé.

Depuis le différend avec le ministre de l’intérieur sur le fichier et le gap d’1 500 000 électeurs qui nous divisait, le Président de la République ne m’a pas reçu. Je lui ai envoyé le rapport sur les élections présidentielles, j’ai demandé une audience pour la remise officielle du rapport mais il n’a pas répondu. Après les élections législatives, je lui ai envoyé le rapport et j’ai encore demandé une audience pour la remise officielle du rapport et il n’a pas répondu. Idem pour les locales. Alors je lui ai envoyé le dernier rapport sur les élections locales et j’ai demandé une audience pour la remise officielle des quatre rapports, cette fois ci il a accusé réception, mais il n’a pas répondu sur la demande d’audience. Je suis parti en France pour des raisons d’ordre médical et avant de partir j’ai écrit au directeur de Cabinet du président qui était à l’époque Zakaria Diaw pour lui dire que je m’absentais du Sénégal et je lui ai demandé d’aviser le Président au cas où il aurait besoin de moi. C’est pendant que j’étais en France que Madame Mbaye l’assistante du Président m’a appelé pour me dire que le Président reçoit la Cena à 19 heures. Je lui ai dit que je n’étais pas à Dakar, mais en France. Que j’allais demander au vice président de conduire la délégation. Donc j’ai demandé à Sambaré le vice président de conduire la délégation et j’ai appelé le Secrétaire Général pour qu’il avise les membres. Je suis revenu vers Madame Mbaye et elle ma dit qu’elle va me mettre en rapport avec le directeur de cabinet. Effectivement elle me met en rapport avec Zakaria qui me dit « vous aviez écrit pour demander une audience et je pensais que vous étiez à Dakar. C’est pourquoi j’ai lancé cette invitation mais ce n’est pas un problème. Le président ne peut pas vous recevoir parce qu’il veut que ce soit vous qui remettiez le rapport de la Cena et non quelqu’un d’autre. C’est pour respecter le parallélisme des formes ». C’est ainsi qu’il décide de proposer le report de l’audience. Après avoir raccroché avec Zakaria, je téléphone à Madame Mbaye, elle me dit effectivement que nous allons renvoyer l’audience à plus tard. Je reprends contact avec le secrétaire général de la Cena pour lui dire que l’audience est renvoyée. Une demi-heure après madame Mbaye me rappelle pour me dire qu’elle venait de voir le Président de la République qui maintient l’audience pour ce soir à 20 heures. J’ai répliqué en disant que le directeur de Cabinet venait pour tant de m’annoncer le renvoi. Bref, c’est Sambaré le vice président qui a conduit effectivement la délégation ce jour là. A mon retour de France, je reprends mes fonctions.

Mais vous avez fini par rencontrer le président quand même ?

C’est vrai j’ai demandé une audience au Président et je suis resté chez moi jusqu’au jour où un de ses hommes m’a appelé pour me dire de lui rendre ce qu’il m’avait confié. J’ai donc démissionné et j’ai été remplacé par le président Ndir. Ce dernier quand il a lu le rapport de 2010, il l’a envoyé au Président et il a demandé une audience qui a été acceptée. Quand j’ai appris cela, je me suis dit que le président de la République ne voulait pas me recevoir parce que je lui ai envoyé quatre rapports avec des demandes d’audience et je n’ai jamais eu satisfaction. Le président Ndir m’a informé de la remise du rapport 2010 au Président de la République et m’a informé que celui-ci souhaitait ma présence. Je me suis accordé un temps de réflexion par ce qu’il fallait que je réfléchisse sur la demande pour voir si je dois accepter ou non. je suis finalement parti avec le président Doudou Ndir. L’’audience était prévue à 18 heures, nous avons été reçus à 20 heures. Le Président arrive et salue tout le monde, on se met autour de la table. Moi j’étais en face de lui de l’autre coté puisque je n’étais plus membre de la Cena. Il m’a invité à venir à coté de lui. Il y avait donc Ndir à sa gauche et moi à droite. Ensuite, le président Ndir a voulu présenter son rapport. Le président de la République lui a dit que c’était à moi de la faire. « Ce n’est pas à vous de présenter le rapport puis qu’en 2010 vous n’étiez pas encore à la Cena mais c’est à Mr Touré lui-même de présenter le rapport. » Et lui-même il prend le micro qui était devant Ndir et le place devant moi. Ndir prend son rapport et me le donne (rires). « Je lui dis Monsieur le Président, il est vrai qu’en 2010 j’étais à la tête de la Cena mais J’ai quitté en Décembre et j’ai été remplacé. Le rapport doit être préparé de janvier à mars. Dès lors que je ne l’ai pas préparé, je ne vais pas le présenter. C’est au président Ndir de le faire. » Il m’interpelle : « vous n’allez pas me présenter le rapport ? » J’ai dit non. Il se lève et dit je mets fin à l’audience. Quand on a quitté la salle d’audience son garde du corps est venu appeler Ndir pour lui dire que le Président de la République lui demande de le rejoindre à son bureau. Je suis allé à la Cena où j’ai attendu le retour de Ndir. Il m’a dit à son retour que le Président Wade lui avait demandé s’il confirmait qu’en 2010 c’est moi qui était à la Cena et non pas lui. Depuis évidemment je n’ai plus entendu parler de ça.

Ne pensez-vous pas qu’il avait des arrière-pensées en vous demandant de présenter le rapport ? Histoire de vous humilier peut-être ?

C’est ce que j’ai pensé. Je ne suis pas sûr mais je crois que ce qui s’est passé. Il a été très contrarié que je n’aie pas présenté le rapport, cela ne lui a pas plu du tout. Il a vu rouge. Et jusqu’à présent le rapport 2010 n’a pas été présenté.

Entretien réalisé par Abdoulatif Coulibaly et Pape Amadou Fall


1 COMMENTAIRE

  1. Merci,Mr Toure,vous avez ete plus que clair et on sent que vous etes un homme de conviction.La jeune generation a besoin de vos temoignages pour la posterite.Vous avez tire votre epingle du jeu et pourquoi pas ecrire un livre pour la posterite car ce que vous avez dit dans votre interview demontre carremment que nous avons un monarque a le tete du Senegal.Je conseille a tous les etudiants en droit constitutionnel de lire votre interview.Merci,encore et que le Bon Dieu te protege et te donne longue vie!Amen.

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