Acte 3 de la décentralisation: la planification, une exigence pour la internationalisation des politiques publiques

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La politique de décentralisation au Sénégal relève d’une tradition très ancienne. Initiée bien avant les indépendances, elle s’est traduite, dès l’accession à la souveraineté nationale et internationale du pays à plusieurs initiatives visant à approfondir cette politique.

Celles-ci ont débouché sur  certaines mesures phares :

ü  La transformation, en 1960, des cercles, subdivisions et cantons, hérités de la colonisation, en régions, départements et arrondissements ;

ü  La mise en place, en 1966, du code l’administration communale qui, tout en dégageant un cadre d’exercice clair à ces collectivités, n’a pas étendu le droit commun à l’ensemble des communes ;

ü  L’adoption, en 1972, de la Réforme de l’Administration Territoriale et Locale (RATL) qui a consacré la mise en place des communautés rurales ;

ü  L’élargissement, en 1990, du statut de plein exercice à toutes les communes et de l’autonomie de gestion à toutes les collectivités locales ;

ü  L’adoption, en 1996, des lois et décrets de la régionalisation, consacrant, entre autres, l’érection de la région en collectivité locale et le transfert de certains domaines de compétence aux collectivités locales.

En 2013, les autorités sénégalaises ont cependant manifesté la volonté de procéder à une réforme plus aboutie de la décentralisation. Celle-ci, improprement appelée Acte 3, au vu de l’histoire de cette politique au Sénégal, se confond déjà avec la territorialisation des politiques publiques, le concept pivot qui devrait structurer toutes les interventions en la matière.

A la lumière des premières esquisses de la nouvelle politique de décentralisation, il ressort que plusieurs questions interpellent les pouvoirs publics. Parmi celles-ci la place de la planification, objet de la présente réflexion,  constitue une interrogation de taille.

 

QUEL EST LE SENS DE LA NOUVELLE REFORME ?

La nouvelle réforme part de certaines défaillances notoirement constatées au niveau des collectivités locales et essaye d’apporter des rectifications aux travers observés.

Des faiblesses manifestes notées dans l’exercice de la décentralisation

D’année en année, plusieurs contraintes ont été pointées dans la prise en charge du développement au niveau local. Celles-ci ont trait entre autres :

ü  au manque d’attractivité de certaines collectivités locales déshéritées qui, en dépit des interventions des nombreuses agences et projets dédiés au développement local, ne disposent pas d’un niveau d’infrastructures et d’équipement critique leur permettant de soutenir un minimum d’activité économique (absence de secteur secondaire et de secteur tertiaire) ;

ü  à la modicité des ressources financières des collectivités locales caractérisées par des disparités énormes dans les budgets en milieux rural et urbain mais aussi entre grandes et petites entités ;

ü  aux déficiences dans le pilotage du développement au niveau local liés aux ressources humaines (management des collectivités locales, ressources humaines insuffisantes et sans qualification, bas niveau ou absence de formation des élus…) et aux outils (plans locaux parfois non intégrés et sans instrument d’opérationnalisation).

De tels éléments, loin d’être exhaustifs, en vérité, sont sans doute à l’origine de la nouvelle inflexion prise par les autorités actuelles.

Les mesures correctives esquissées par la nouvelle politique

Partant des insuffisances dénoncées par les acteurs de la décentralisation,  la nouvelle réforme met en avant le crédo de la territorialisation considérée, par l’autorité, comme une voie d’émergence des collectivités locales en ce qu’elle fait véritablement appel aux ressorts du développement local.

En effet, la territorialisation des politiques publiques fait intervenir les deux leviers clés  que sont l’aménagement du territoire et la planification qui semblent être des solutions appropriées aux difficultés rencontrées à la base.

Au stade actuel de la formulation de cette politique, si l’on jette un regard rétrospectif sur les idées fortes dégagées par la réflexion antérieure et les mots-clés structurant le discours du chef de l’Etat, en prenant comme date repère son annonce de mars 2013, il ressort que  les préoccupations relatives  à l’aménagement du territoire sont réelles.

Pour rappel, les mesures proposées tournent autour des points suivants :

ü  L’introduction de la notion de communalisation intégrale comprise ici comme un moyen de doter des fonctions urbaines à l’ensemble des collectivités locales du Sénégal. Celle-ci vise surtout à réduire, voire casser, le clivage entre les niveaux rural et urbain ;

ü  L’érection du département en collectivité locale est une innovation dans ce qui se faisait jusque là, ces entités se confondant seulement à des circonscriptions administratives regroupant les communes et les communautés rurales ;

ü  Un autre élément de taille introduit par la réforme concerne la notion derégions territoire qui insiste sur l’importance d’adosser l’identification de ce type de collectivité à des réalités composites tenant en compte l’économie, la géographie et la sociologie, triptyque garant de la viabilité de ce nouvel espace devant regrouper les départements et certaines régions telle que connues actuellement. Une telle mesure devrait permettre de revenir à un découpage du territoire à 7 régions, comme en 1960 au lieu des 14 actuels sur un territoire qui n’a pas connu d’extension ;

ü  Le dernier élément concerne un réexamen des compétences à attribuer aux collectivités locales afin de les rendre plus performantes dans la gestion du développement local.

On remarquera que ces éléments relèvent uniquement de l’aménagement du territoire. La planification économique, second volet devant sous-tendre la territorialisation des politiques publiques, ne constitue pas un terrain défriché par la réflexion en cours. Pourtant, la volonté de l’autorité d’approfondir la décentralisation par la territorialisation des politiques publiques pour booster le développement local passe nécessairement par la planification.

DÉCENTRALISATION ET PLANIFICATION

Nous pouvons nommer décentralisation toute politique visant à ramener l’État au niveau du citoyen à travers les collectivités locales réputées être des institutions proches et accessibles aux populations, dotées d’une personnalité morale, avec un territoire, des compétences propres.

Cela veut dire que  la gestion du développement s’exerce au niveau local dans le cadre de la décentralisation. Qu’il y ait décentralisation ou non, les territoires des collectivités locales constituent toujours les véritables lieux d’application des politiques publiques que celles-ci soient d’initiative nationale ou locale. L’on a introduit le concept de territorialisation des politiques publiques pour mieux rendre compte de la responsabilisation de l’échelon local qui a lieu en cas de décentralisation.

Il y a donc un lien très étroit entre les concepts de décentralisation et de territorialisation d’une part et celui de développement local de l’autre. Pour précisions, le développement local est considéré soit d’un point de vue technique, soit d’un point de vue politique.

Sur le plan technique le développement local se définit comme un processus consensuel visant le développement global en rapport avec les besoins des acteurs à la base. D’un point de vue politique, il s’agit d’une volonté émise par des décideurs d’enclencher des dynamiques locales afin de stimuler le développement économique global d’un territoire.

On voit bien que ces deux approches mettent en jeu des processus, desacteurs, un territoire et un projet. On retrouve les mêmes variables dans la compréhension que l’on peut avoir de la décentralisation et de la territorialisation des politiques publiques précédemment définies.

Ces clarifications conceptuelles font clairement apparaître le rôle de la planification en tant que liant entre les différentes variables opérationnalisant les concepts. En effet les variables processus, acteurs, territoire et projet sont précisément celles qui définissent la planification. Cette dernière se conçoit, techniquement,  comme étant le déploiement d’un projet sur un territoire donné avec des acteurs bien identifiés durant un temps déterminé. Malheureusement, cette dimension planification, pourtant essentielle à la mise en œuvre d’une politique de décentralisation réussie, est absente des discours actuels sur l’acte III de la décentralisation. La définition d’une technique de prise en charge du développement au niveau local est véritablement le chaînon manquant encore en souffrance dans les discours et dans les réflexions sur l’axe III.

Dès lors, il est urgent et primordial de se focaliser sur la définition d’une politique de planification locale si l’on veut que cette phase d’approfondissement de notre décentralisation ne se limite pas uniquement à un réaménagement territorial sans effet sur le niveau de vie des populations. Dans ce qui suit, nous allons diagnostiquer l’existant en matière de planification locale avant d’esquisser des propositions destinées à faire des plans de développement au niveau local un instrument essentiel dans le succès de l’Acte III et dans l’amélioration de la vie des populations locales.

 

QUELLE PLANIFICATION POUR L’AXE III ?

Les collectivités locales étant le cadre naturel de déclinaison des politiques publiques, il est important de revenir sur les modalités de pilotage de la planification locale et sa mise en œuvre. Le principe de libre exercice des collectivités locales leur confère un rôle primordial dans le pilotage de la planification du développement local. Ces entités, dont la principale mission est d’animer le développement dans leur localité, disposent de plusieurs instruments de planification censés constituer des moyens privilégiés pour réaliser leur développement économique et social.

Plusieurs outils cohabitent au niveau local. Si pour la région, le schéma régional d’aménagement du territoire et le plan régional de développement intégré, plans transversaux par excellence, irriguent ou s’inspirent des plans sectoriels, pour la commune il est surtout question du plan d’investissement communal et des plans d’urbanisme alors que la communauté rurale s’appuie sur le plan local de développement.

Cette diversité des plans ne peut occulter le fait que la planification locale ne s’est jamais affirmée comme un creuset de cohérence dans lequel toutes les initiatives des acteurs du développement devaient être fédérées. Depuis leur adoption, les plans de développement des collectivités locales n’ont jamais été qu’un catalogue de projets. Ce n’est qu’avec la régionalisation qu’on a connu une réorientation de la planification. Malgré tout, l’adoption d’un niveau stratégique n’a pas toujours produits des résultats escomptés en raison même de la conception que les élus ont de cet instrument de politique économique qu’est le plan.

De fait, la planification telle qu’elle s’est jusqu’ici pratiquée au niveau des collectivités locales a toujours fait apparaître ces entités comme des électrons libres sans aucun lien autre que financier avec l’Etat central. Les outils mis en place pour encadrer le développement n’offrent souvent aucune perspective à la collectivité puisqu’élaborés uniquement pour la forme et dans l’optique de capter des financements.

Le niveau local sénégalais est actuellement caractérisé par un foisonnement d’intervenants qui ignorent sciemment les orientations définies au niveau des instruments de planification locale et encore plus des méthodes et du système en place. Ces intervenants sont d’autant plus à l’aise dans leur action solitaire que ni les élus ni les autorités déconcentrées ne se soucient de mettre en cohérence le dispositif de planification.

Les types de projets répertoriés dans les instruments de planification ne sont pas non plus exempts de reproches. Il ne saurait en être autrement si l’on sait que la concertation nécessaire à la formulation des projets importants reste un vain mot et que les exemples d’intercommunalités sont rares. Pourtant, les dispositions ouvertes par les textes de la décentralisation encouragent les associations entre les différents ou mêmes ordres de collectivités locales, ce qui aurait dû favoriser la mise en œuvre de projets structurants et l’articulation des projets sur des territoires connexes.

Sur d’autres aspects, les projets locaux ne sont pas pris en compte dans le cadre de planification national par les autorités dans le cadre de cette politique de territorialisation puisque les tentatives de régionalisation du Budget consolidé d’investissement (BCI) n’aboutissent pas encore. Une des raisons de cet échec tient au fait que les Plans triennaux d’Investissements des régions n’existent que dans deux ou trois régions et sont, dans l’essence, inutiles puisque les Plans d’Opération Régionaux (POR) de la Stratégie Nationale de Développement Économique et Social (SNDES) sont téléguidés depuis le niveau national, dans une approche top down, au lieu d’obéir à des logiques locales.

La non inscription des projets des Plans régionaux de développement intégré (PRDI), fédérant les initiatives de l’ensemble des collectivités locales d’une région, dans le Programme triennal d’investissements publics (PTIP) demeure, dans le même ordre d’idées, une limite de taille à une bon développement des collectivités locales.

La mise en œuvre optimale de ces instruments de négociation et de financement du développement régional et des plans des autres collectivités locales (communes et communautés rurales) est également obérée par la timidité des tentatives de mobilisation des ressources issues de la coopération décentralisée, par le niveau local.

De même, les services de l’Etat dans les collectivités locales ne jouent pas encore pleinement leur rôle d’appui à ces entités. Or cette fonction d’appui est d’autant plus essentielle que les ressources humaines des collectivités locales sénégalaises sont notoirement sous-qualifiées. Il n’existe pas encore dans notre pays un corps de fonctionnaires territoriaux bien formés à l’instar des fonctionnaires de l’Administration centrale ni une normalisation des profils de fonction à l’échelon local.

À tous ces problèmes s’ajouteront, à n’en pas douter, les nouveautés introduites par la politique de territorialisation des politiques publiques. Celles-ci tournent autour de la communalisation intégrale avec la transformation des anciennes communautés rurales en communes, le redécoupage des régions en entités plus viables et l’érection des départements en collectivités locales ; soit autant d’innovations qui appellent l’abandon du plan local de développement et l’adoption d’un plan pour le département dont l’érection peut d’ailleurs susciter des interrogations quant à sa pertinence, notamment en tant qu’échelle de planification, si l’on sait que cette entité, tout comme la région, aura le même territoire qu’un ensemble de communes. Cela veut dire que des efforts de mise en cohérence et d’harmonisation de la part des autorités déconcentrées et élues sont aussi à faire à ce niveau où le principe de subsidiarité devrait être un maitre mot devant présider aux compétences à répartir.

L’on ne saurait passer sous silence non plus la multiplication des échelles de planification et les problèmes de coordination de l’action de développement qu’implique la départementalisation (querelles entres autorités décentralisées et autorités décentralisées). Il en est de même de l’absence ou du retard de mise en place de fonds devant sous-tendre l’élaboration de programmes minimums d’investissement et d’équipement dans les anciennes communautés rurales à transformer en communes qui constituent autant éléments absents des discours sur l’Axe III.

Il faut dire que les fonds devant soutenir l’effectivité de la nouvelle politique risquent d’être en concurrence avec les budgets à allouer au département, en tant que nouvelle collectivité locale, et à son pendant au niveau déconcentré (préfet de département).

Compte tenu de tous ces aspects, pour augmenter ses chances de réussite, la politique de territorialisation des politiques publiques doit rectifier les errements du passé en agissant sur le pilotage et la mise en œuvre de l’action de développement au niveau local.

Ainsi, s’agissant du pilotage, il s’agira de veiller aux mesures suivantes :

ü  Faire des plans de développement au niveau local (PRDI, SRAT, PIC, Plans de département, PIC) de véritables instruments de pilotage du développement économique et social local ;

ü  Définir des programmes minimums d’investissement et d‘équipement des communautés rurales érigées en Communes afin de les doter d’infrastructures de développement ;

ü  Surseoir à la décision d’ériger le département en Collectivité locale en raison de la multiplication inutile des échelles de planification et des effets de compétition que cette décision risque d’entrainer sur les différentes autorités de la déconcentration et de la décentralisation, en plus d’alourdir le budget de l’Etat ;

ü  Harmoniser la planification locale en définissant des horizons adaptés entre les différents plans et en insistant sur la nécessité d’harmoniser et de rendre cohérent le système de planification au niveau local ;

ü  Respecter la philosophie du Nouveau système de planification (NSP) au niveau local avec des déclinaisons entre les longs, moyen et court terme ou entre les niveaux stratégique et opérationnel ;

ü  Renforcer les dynamiques d’intégration entre les instruments de planification (Aménagement du Territoire – Planification économique, Aménagement du Territoire, Planification urbaine…) ;

ü  Renforcer la coordination par les collectivités locales des actions des divers intervenants (Associations, Projets, ONG) du développement local pour une mise en cohérence de leurs interventions avec les orientations de développement local prédéfinies ;

ü  Faire jouer aux autorités déconcentrées un rôle pivot dans la coordination du développement local afin qu’elles s’assurent de l’effectivité de la cohérence entre  les plans nationaux et les plans locaux en mettant à contribution les services étatiques ;

ü  Réhabiliter les instances de coordination de l’action administrative au niveau local (CRD, CDD, CLD) afin qu’elles vérifient l’orthodoxie des interventions des différents acteurs (collectivités locales, ONG et Projets, associations,) ;

ü  Faire jouer aux services étatiques leur véritable rôle d’appui-conseil aux collectivités locales.

Concernant la mise en œuvre, il serait important de prendre en compte les éléments ci-après :

ü  faire du plan un véritable instrument de mobilisation des ressources avec une composante programmation prenant en compte la relation entre plan et budget au niveau local ;

ü  susciter la prise en compte dans la planification locale des projets structurants intéressant plusieurs collectivités locales en ce sens qu’ils sont fédérateurs, sont souvent de type HIMO et porteurs d’effets d’entrainement ;

ü  identifier des bases de données de projets locaux de grande envergure intéressant plusieurs collectivités locales et favoriser leur intégration dans le BCI ;

ü  tirer parti des aménagements juridiques offerts par le Code des collectivités locales favorables à la contractualisation  (intercommunalités, contrat plan avec l’Etat…) ;

ü  tirer parti des modes de financement alternatifs au financement public interne (PPP, Coopération décentralisée, fonds carbone, RSE etc.)

 

Par Oumar El Foutiyou BA, Conseiller en Organisation au BOM, spécialiste de la Planification du développement

Mohamed LY Président du Think Tank IPODE

Mouhamadou El Hady BA,  Directeur général du Think Tank IPODE

Pour le Think Tank IPODE

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