Adieu, esprit puissant et éclairé

Date:

Bien avant l’heure annoncée de la levée du corps du professeur Amady Aly Dieng,  ce jeudi 14 mai 2015, pour 11h, la mosquée du Point E à Dakar, était prise d’assaut par une foule immense. Beaucoup de personnes n’ont pu accéder à l’intérieur du lieu de culte qui a refusé du monde. Jusqu’à un rayon de plus de trois cent mètres, impossible de trouver un espace ou garer sa voiture. Même chose pour le cimetière musulman de Yoff qui ne pouvait contenir le nombre impressionnant de véhicules garés dans l’immense parking.

S’il en est ainsi, c’est parce que le disparu était une figure intellectuelle exceptionnelle. Il a marqué d’une empreinte indélébile l’histoire politique et sociale du Sénégal et de l’Afrique de ces cinq dernières décennies.

En parcourant d’un long regard la vie et l’œuvre du Pr. Amady  Aly Dieng, on est frappé par l’étendue de son érudition et sa culture encyclopédique. Il avait une conviction morale profonde sur la nécessité du droit des peuples africains, de prendre en mains leur propre destin, dans le combat pour la reconquête de leur indépendance et de leur dignité. Il faisait partie du peloton de tête des intellectuels africains qui n’ont jamais déviés de cette trajectoire, même pas d’un « pouce », ajoute le Pr. Samir Amin, dans cette ligne droite  qu’il s’était tracé depuis sa tendre jeunesse, jusqu’à son dernier souffle.

Parler du Pr. Amady Aly Dieng, n’est pas chose aisée, tant les facettes de sa personnalité sont multidimensionnelles. Economiste, historien, philosophe, anthropologue, épistémologue, critique littéraire, chroniqueur, essayiste, enseignant, formateur, banquier, militant panafricaniste…, voila quelques unes des facettes de ce pharaon du savoir. Rarement autant de spécialités n’auront été réunies chez une seule et même personne. En résumé, on peut dire que le  Pr. Amady Aly Dieng était un concentré de talent, de compétence et de générosité .

Le Pr. Dieng, était d’abord et avant tout un homme de principe, un homme de savoir, un homme pétri de qualités intellectuelles incontestables et incontestées. Il était à lui seul un livre. Mais plus qu’un livre , il était une bibliothèque .Le journaliste Jean Meissa Diop, dira : «  ce grand monsieur ne fut pas qu’une bibliothèque. Il en fut deux : une bibliothèque physique et une autre immatérielle » (Walfadjri  N° 6946 du vendredi 15mai 2015).

Je n’ai pas eu le privilège d’avoir des relations personnelles avec le Pr. Amady Aly Dieng. On s’est rencontré plusieurs fois, à l’occasion de conférences ou d’activités intellectuelles. Mais, j’ai gardé de  lui un souvenir qui est resté gravé dans ma mémoire vers les années 1974 à l’université Cheikh Anta Diop. Au plan géopolitique mondial, c’était la période de la guerre froide entre le camp capitaliste et le camp socialiste. Cela avait des prolongements au sein de l’espace universitaire sénégalais, avec des rivalités entre organisations estudiantines de sensibilité de gauche qui se disputaient le leadership et le contrôle des Amicales de Faculté (prosoviétiques, maoïstes, trotskystes, situationnistes, anarchistes). Ce fut l’époque de rudes batailles idéologiques au sein de l’espace universitaire entre les organisations telles que l’AGES (Association Générale des Etudiants Sénégalais), l’UES (Union des Etudiants Sénégalais), l’UNAPES (Union Nationale Patriotique des Etudiants Sénégalais), l’UDED (Union Démocratique des Etudiants de Dakar).

J’ai vu pour la première fois le Pr. Amady Aly Dieng, à l’occasion d’une table- ronde organisée par l’Amicale de la Faculté de Droit et des Sciences économiques,  en  1976 à l’amphithéâtre « Ousmane Socé Diop » ,  sur le thème qui portait sur l’Impérialisme,  le système capitaliste et la crise financière mondiale. Parmi les panélistes, il y’avait des professeurs d’économie de renom tels que Moustapha Kassé, Makhtar Diouf, Samir Amin, Amady Aly Dieng. Lorsque ce dernier prit la parole, ce fut l’apothéose dans un amphithéâtre plein à craquer. Pour les jeunes étudiants marxisants que nous étions, ce fut une véritable fête de l’esprit.  Des ovations nourries et prolongées, ont interrompu très souvent le professeur Dieng que beaucoup d’étudiants venaient de découvrir. Il avait réussi à capter l’attention de l’auditoire qui buvait ses paroles. Magnifique, le port vestimentaire sobre, le professeur Dieng promenait son auditoire dans les arcanes complexes de la théorie marxiste léniniste, avec de nombreuses références aux œuvres des fondateurs du socialisme scientifique. Sa rigueur intellectuelle, son franc parler, la qualité de son argumentaire et la façon très pédagogique dont il disséquait la théorie marxiste pour la rendre accessible à son auditoire , suscitaient beaucoup d’enthousiasme chez les étudiants.

C’est dire que la complicité intellectuelle entre le Pr Amady Aly Dieng et  la jeunesse ne date pas d’aujourd’hui. Ce natif du Baol a contribué à la formation de nombreux étudiants à qui il a inculqué le goût de la recherche et de la lecture. Il a nourri la pensée de plusieurs générations d’étudiants  qui lui vouent une admiration sans limite. L’hommage, que la communauté universitaire lui a rendu le 17 janvier 2007 à l’UCAD II,  pour magnifier l’initiative qu’il avait prise , d’ offrir  à la Bibliothèque centrale de l’UCAD plus de 1500 titres de documents d’archives et de livres, est très significatif. Au cours de cette cérémonie solennelle émouvante, le Pr Djibril Samb qui a parlé au nom de tous ses collègues, a fait observer, que le Pr Amady Aly  Dieng, appartient au paysage universitaire sénégalais, à la tradition dont il est l’une des figures  les plus brillantes et les plus attachantes. Et c’est à juste titre, que le philosophe-écrivain Hamidou Dia, qui fut son étudiant au département de philosophie de l’UCAD, a dit qu’il était  «  un catalyseur des intelligences sélectives et électives ». (Sud Quotidien n°6608 du vendredi 15 mai 2015) .

Nombreux étaient les amis du Pr Amady Aly Dieng , qui ont tenu à l’accompagner dans sa dernière demeure. Il y’en avait de toutes les générations et de toutes les catégories socio professionnelles que compte notre pays : la classe politique toutes sensibilités confondues, la communauté universitaire , les milieux syndicalistes, les professionnels de l’édition, le monde de la presse, la communauté des écrivains et des artistes, les  milieux des finances et de la banque, les collectivités locales, la société civile sénégalaise, sans parler de ses condisciples du quartier latin avec qui il a fait ses humanités en France. Parmi ses amis avec qui il a partagé beaucoup de choses, j’en connais quelques uns : Le magistrat Ousmane camara qui est son ami d’enfance, le président Amadou makhtar Mbow ancien directeur général de l’UNESCO, l’honorable député Serigne Mansour Sy, les professeurs Abdoulaye Bara Diop, Boubacar Ly , Maguette Thiam, Makhtar Diack à qui il soumettait très souvent ses manuscrits pour relecture avant publication, sans oublier les défunts tels que les professeurs Cheikh Anta DIOP, Abdoulaye LY, Amath Ba.

L’itinéraire syndical et politique du Pr Amady Aly Dieng est, à vrai dire, remarquable.  Apres de brillantes études secondaires sanctionnées par le baccalauréat en 1954 avec mention BIEN, il obtient sa licence en 1956, à l’université de Dakar. Il réussit brillamment au concours d’entrée à l’ENFOM (Ecole Nationale de la France d’Outre- Mer) en 1957.  A la veille du Référendum de 1958 pour  l’indépendance, il se rendit au Sénégal pour battre campagne en faveur du « NON ». Dès son retour en France, l’Administration de l’ENFOM, qui était informé de son déplacement sur Dakar, le mit en demeure de démissionner. Il refusa cette injonction. C’est ainsi qu’il il fut exclu de cet établissement prestigieux dont la vocation était de former des cadres dans le commandement territorial, devant assurer le relais du colonisateur dans les colonies de l’Afrique.

Pour l’étudiant Amady Aly Dieng, cette exclusion fut plutôt une délivrance, puisque cette situation lui permettait de se consacrer à la rédaction de sa thèse de doctorat et de se consacrer à temps plein aux activités de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique noire en France) .Depuis lors, l’histoire de cette organisation qui était le creuset de l’intelligentsia d’Afrique noire et de la diaspora, se confondait avec sa propre histoire. La FEANF, dont la devise fut « former des cadres politiquement conscients et techniquement compétents », a joué un rôle essentiel dans l’émancipation  des peuples noirs colonisés.  De tous les présidents de cette importante  organisation, seul Amady Aly Dieng a eu à avoir trois mandats successifs (de 1960 à 1962). Cela lui a permis de voyager dans de nombreux pays à travers le monde. Il a participé à beaucoup de  rencontres où  se jouait le destin du continent africain. Il  a hissé très haut le drapeau de la FEANF dans les quatre coins du globe, à telle enseigne qu’on le surnommait le « le Grand Dieng ».Certes, GRAND pas par la taille , mais par la puissance de son esprit, par son envergure intellectuelle.

Le professeur Amady Aly Dieng était un homme avisé parce que informé. D’une grande générosité intellectuelle, il avait le sens du partage. Il fustigeait la paresse intellectuelle qui mine dangereusement les élites. La richesse  de sa culture et la diversité de ses centres d’intérêts font qu’il est incontestablement un partisan  de l’émancipation de l’Afrique et du Sénégal.  Sa pensée étincelante, voire scintillante a tracé dans  le firmament des peuples africains, des traits de lumière qui éclairent  la route de l’Afrique, dans sa longue marche vers le progrès et la justice sociale. Grâce à sa faculté d’enthousiasme,  sa capacité de travail,  son appétit de la connaissance,  sa maitrise de la dialectique,  son sens élevé du devoir, il a été heureux de pouvoir accomplir, tout ou partie, de la tâche qu’il s’était fixée au départ de sa vie , avec la certitude que celle-ci se projetait sur un avenir tel qu’il l’avait décidé dans sa raison et dans son cœur. C’est pourquoi, Yoro Deh a parfaitement raison de dire, que le professeur Amady Aly Dieng « était un homme totalement libre(…) qui agissait véritablement en intellectuel, sans se préoccuper de prébendes, du pouvoir ou de l’avoir » (walfadjiri du vendredi 15 mai 2015).

D’avoir délibérément choisi  la quête du savoir et non  la course effrénée vers l’avoir, fait que la vie et l’œuvre du professeur Amady Aly Dieng, serviront incontestablement, d’exemple et de viatique à la jeunesse sénégalaise et africaine. A coup sûr, l’héritage qu’il nous a légué constitue une oasis intarissable dans laquelle les générations actuelle et future pourront se désaltérer, pour étancher leur soif de liberté et de justice sociale.

Mais, on ne saurait témoigner sur Amady Aly Dieng sans évoquer la verve provocatrice qu’on lui connaît et qui fait l’originalité de son style. Ce chercheur était un esprit indépendant qui avait horreur d’être enfermé dans des formules et des dogmes .Si au plan intellectuel, il ne faisait aucune concession au plan des idées, ses critiques ne respiraient ni méchanceté ni  haine. Sa longue et riche expérience de la vie, des hommes et des choses faisait qu’on ne s’ennuyait jamais avec lui. Il avait l’art d’enseigner sans en donner l’air, en faisant tordre de rire son auditoire, par des anecdotes croustillantes et savoureuses.

L’historien Abderrahmane Ngaïdé de l’UCAD, a recueilli le témoignage du disparu dans une brochure  intitulée : « Entretien avec Amady Aly Dieng : lecture critique d’un demi siècle de paradoxes », et qui constitue une illustration saisissante du style du Pr Dieng      :

«Malgré ses 79 ans (83 aujourdhui), Amady Aly Dieng déroute par sa jeunesse et sa fraîcheur d’esprit. Il est souvent taquin lorsqu’il n’est pas moqueur avec un langage anecdotique, plein de sarcasme et d’humour .Il fait sourire et détend l’atmosphère s’il n’énerve pas. Les débats engagés , voire vigoureux, qu’il entretenait avec les jeunes en témoignent amplement. Il a toujours ce petit mot qui incite à la réflexion . »

C’est cet homme exceptionnel que le peuple sénégalais vient de perdre. Il fut un grand ami de la Ligue Démocratique (LD) et a assisté à beaucoup de ses congrès comme invité. C’est pourquoi le  Bureau Politique et le Secrétaire Général Mamadou Ndoye, adressent leur sincères condoléances à sa famille, à ses amis et à tout le peuple sénégalais qui vient de perdre un authentique militant de  Gauche .  Que la terre de Yoff où il repose lui soit légère et que le Tout puissant l’accueille dans son Paradis Eternel.

Dakar le 24 mai 2015

Ousmane BADIANE

Chargé des élections de la LD

Mail :[email protected]

2 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

Lutte contre l’émigration clandestine : sept individus arrêtés à Nianing

XALIMANEWS-Les autorités ont intensifié leurs efforts dans la lutte...

CENA – CENI : Quelle alternative pour le Sénégal (Par Ababacar FALL )

La décision annoncée par le Président nouvellement élu Bassirou...

Affrontement tragique à Thiombé : Un homme poignardé lors d’une soirée entre amis

XALIMANEWS-La quiétude du village de Thiombé, situé dans la...