Au Mozambique, la police accusée de violences dans une mine de rubis

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Une série de vidéos de scènes de torture et d’humiliation impliquant des agents de la police mozambicaine ont été divulguées cette semaine sur les réseaux sociaux. Selon plusieurs sources concordantes, les victimes qui apparaissent sur les images sont des « garimpeiros », des mineurs informels, arrêtés dans la mine de rubis de Montepuez, au nord du Mozambique. Des incidents loin d’être des cas isolés dans cette zone majoritairement exploitée par une société britannique, d’après notre Observateur.

Quatre vidéos illustrant les méthodes douteuses des policiers mozambicains chargés de surveiller la mine de rubis de Montepuez ont été publiées lundi 17 juillet sur la page Facebook d’un journaliste mozambicain. Vêtues d’habits recouverts de poussière et de terre, les victimes font face à des agents armés en uniformes que l’on peut entendre parler en portugais. France 24 a décidé de ne pas publier les vidéos, mais nous diffusons ci-dessous des captures d’écran.

Dans la première vidéo, les policiers demandent à une dizaine d’hommes alignés les jambes écartées et les bras en l’air de répéter « Je suis un voleur » alors qu’ils reçoivent des claques.

Une autre séquence montre un groupe d’hommes, tête contre le sol, contraints de se frapper eux-mêmes le postérieur.

Dans les deux dernières vidéos, plus violentes, des hommes attachés à des arbres se font frapper à coups de bâton par des bourreaux qui, cette fois-ci, ne portent pas d’uniformes.

Contacté par France 24, le journaliste qui a publié ces images, Lazaro Mabunda, a confié les avoir reçues de la part d’une source fiable qui préfère rester anonyme et assure qu’elles ont été prises dans la concession de la mine de rubis de Montepuez (MRM). Cette coentreprise a été créée en 2011 par la société britannique Gemfields, qui en est l’actionnaire majoritaire, et Mwiriti Limitada, une société locale qui entretient de solides liens avec le parti au pouvoir à Maputo.

Notre Observateur Estacio Valoi est journaliste indépendant. Cela fait près de quatre ans qu’il enquête sur les nombreuses exactions commises par les forces de l’ordre et les agents de sécurité privée chargés de surveiller la mine à l’encontre, notamment, des mineurs illégaux. Selon lui, il n’y a aucun doute sur le fait que ces images proviennent de Montepuez.

Estacio Valoi

Estacio Valoi

Plusieurs détails permettent d’affirmer cela, notamment les trous creusés que l’on voit dans les vidéos qui prouvent que c’est une zone où des hommes font des recherches dans le sol (voir captures d’écan ci-dessous). Ensuite, la zone est un peu boisée ce qui n’est pas le cas dans toutes les mines du pays. Enfin, on entend les policiers parler en portugais et ils portent les uniformes de l’Unité d’intervention rapide qui apporte son soutien à la mine pour la protéger des mineurs illégaux.

La seule chose que nous ne savons pas, c’est la date exacte. Il y a deux hypothèses : la première, c’est que cela s’est déroulé entre 2014 et 2015, une époque marquée par des disparitions, des fusillades et des intimidations de la part des forces de sécurité contre les mineurs illégaux et sur lesquelles j’avais enquêté. La deuxième, c’est que cela a eu lieu au début de cette année quand il y a eu une vague d’arrestations de mineurs illégaux et d’expulsions. [En février 2017, près de 3 700 mineurs illégaux avaient été arrêtés en quelques semaines, dont deux tiers d’étrangers en situation irrégulière, selon la police mozambicaine, NDLR].

 

Une enquête ouverte après la diffusion des vidéos

La rédaction des Observateurs de France 24 a envoyé les images à la Commission nationale des droits de l’Homme au Mozambique (CNDH). Custódio Duma, le président de cette institution gouvernementale, a confirmé que les uniformes étaient bien ceux de l’Unité d’Intervention Rapide mozambicaine, mais a assuré n’avoir aucune autre information sur ces vidéos.

La CNDH a également transmis à France 24 un communiqué indiquant avoir ouvert une enquête en partenariat avec la police de la République du Mozambique et le parquet pour déterminer les responsables de ces exactions. Cité par la presse locale, le porte-parole de la PRM, Inácio Dina, a dénoncé des actes « condamnables » et appelé à une investigation « profonde ».

Pour notre Observateur, ces images ne sont pourtant pas si étonnantes et illustrent des pratiques qui ont déjà maintes fois été dénoncées.

Il faut rappeler le contexte à Montepuez. En 2009, les locaux ont été les premiers à découvrir qu’il y avait des rubis sur leurs terres. Mais la découverte leur a rapidement échappé et les bénéfices de celle-ci aussi. Avec la création de la mine de rubis de Montepuez (MRM), [qui a obtenu en 2012 une licence exclusive de 25 ans pour l’exploitation des ressources de cette zone], c’est la société Gemfields qui fait désormais fortune et gagne des millions de dollars chaque année avec la vente de ces pierres. [En 2016, près de 40 % de la production de rubis vendus dans le monde provenait du Mozambique, NDLR].

Mais il n’y a aucune retombée pour les communautés locales. Gemfields a toujours promis qu’elle contribuerait au développement de la région en construisant des écoles ou des hôpitaux. Cette promesse n’a pas été tenue. Elle a également promis de délivrer à certains villageois des licences minières, pour qu’ils revendent ensuite leur rubis à la MRM. Mais, de la même manière, cela n’a pas eu lieu.

« Des enquêtes ont donc déjà été ouvertes, des preuves déjà dévoilées et rien n’a changé »

Dans cette région, où il y a par ailleurs un problème d’emploi majeur, beaucoup de villageois ont décidé de tenter tout de même leur chance. D’autres illégaux, parfois venus des pays voisins, ont également été attirés par l’essor de la mine. Du coup, cette mine est étroitement surveillée par des compagnies privées et les forces de l’ordre.

Ce n’est pas la première fois que l’usage excessif de la force pour lutter contre des mineurs ou trafiquants est dénoncé. Cette fois-ci, nous avons des images, mais auparavant j’avais pu avoir des documents de la part des hôpitaux, qui confirmaient des cas de violences. Il y a également eu des plaintes déposées en justice. Des enquêtes ont donc déjà été ouvertes, et des preuves déjà dévoilées. Pourtant, rien n’a changé. Les villageois sont toujours spoliés de la richesse de leurs propres terres et Gemfields continue à se défendre de toutes incitations à la violence.

Lors de précédentes enquêtes sur des cas de violences à l’encontre de mineurs illégaux dans le périmètre de la mine de rubis, la société Gemfields s’était défendue en assurant que les forces de l’ordre n’étaient pas « gérées par l’entreprise et qu’elles avaient été envoyées pour sauvegarder les intérêts nationaux [du Mozambique] ». Cité par l’AFP en mars dernier, le patron des opérations de la mine, Gopal Kumar, avait également assuré ne jamais encourager les « activités violentes ». « Nous avons une politique de tolérance zéro envers la violence » avait-il souligné.

Selon l’Agence Ecofin, lors de sa dernière vente de rubis bruts extraits à sa mine de Montepuez, Gemfields a réalisé des recettes totales de 54,8 millions de dollars. Sur l’année 2017, les revenus globaux de ventes aux enchères de pierres précieuses de Gemfields s’élèvent désormais à près de 132,7 millions de dollars. À titre de comparaison, le Mozambique était classé en 2016 à la septième position des pays produisant le moins de richesses par habitant.

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