Aujourd’hui, la basse-cour a changé de coq Par Mody Niang

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Nous ne sommes plus qu’à quelque 70 jours du premier tour de l’élection présidentielle de 2012. Le pays ne bruit que de ce scrutin dont l’issue sera déterminante pour son avenir. Le président politicien Wade en particulier s’est lancé sans état d’âme dans sa campagne électorale avec, en bandoulière, certainement son bilan, mais surtout ses mallettes bourrées de fric et son décret prompt à nommer sans discernement à toutes les fonctions. Pourvu simplement que les bénéficiaires soient de potentiels porteurs de voix. Cette période a donc le don d’aiguiser les appétits et d’effacer des mémoires tous les faits qui lui sont antérieurs. Elle donne lieu à des déclarations parfois des plus ahurissantes. Nous en entendons à l’occasion de meetings, mais aussi lors de certains événements religieux. Á cet égard, l’exemple le plus récent et le plus illustratif est incontestablement celui 109ème Gamou de Pire, qui s’est tenu le samedi 3 décembre 2011. L’ambassadeur (honoraire) Serigne Moustapha Cissé a (encore) mis à profit la cérémonie dite officielle pour se prononcer sans équivoque sur la situation politique nationale et, en particulier, sur la prochaine élection présidentielle. Très en verve, comme il en a l’habitude en pareilles circonstances, il a déclaré ceci : « Pire, qui fait partie, aujourd’hui, des communautés rurales qui ont le plus bénéficié des chantiers du chef de l’État, doit son salut au régime libéral. » Son Excellence en tirera alors la conséquence et ajoutera sans ambages : « Nous allons réélire Wade en 2012, après l’avoir élu en 2000 (SIC), puis en 2007. » Afin que nul n’en ignore, il précisera : « Le message est clair et net dans Pire et les villages environnants. » Avant de continuer, j’invite le lecteur à retenir cette prétention que Pire et lui ont élu Wade en 2000.

Comme de coutume, le khalife de la famille Cissé de Pire n’a pas été tendre avec l’opposition, dont il a vigoureusement flétri « le discours grossier » et la volonté inacceptable de faire invalider la candidature du président Wade, alors que seul le Conseil constitutionnel en est habilité. En attendant la décision de cette institution, il donne sans ambigüité sa position : « Me Wade est sénégalais, il a un parti politique. Il a montré ses compétences à la tête du pays, donc pourquoi il ne serait pas candidat ? ». Rétorquons-lui, avant de poursuivre, que le président brésilien Lula, qui a administré concrètement la preuve de sa compétence, en laissant un bilan élogieux, s’est bien gardé de solliciter un troisième mandant que la loi ne lui permettait pas, malgré une forte popularité et le fait qu’il ne traînait aucune casserole. Peut-on en dire autant du champion (du moment) de son Excellence ?

Son Excellence appelle ensuite les autres chefs religieux à se prononcer, pour épargner le chaos à notre pays. J’invite aussi le lecteur à retenir cet appel. Je me contente de ces quelques déclarations de notre chef religieux dont les quotidiens du mardi 6 décembre – lundi 5 étant férié  –  ont largement rendu compte. Ces déclarations ne sont pas d’ailleurs pour nous une nouveauté. Nous les avons également entendues à l’occasion du 108ème Gamou, organisé le samedi 2 janvier 2010. La cérémonie dite officielle lui a servi de prétexte pour remercier chaleureusement le président de la République et lui réaffirmer son soutien sans faille. Il a alors clamé haut et fort son choix en ces termes : « Je renouvelle mon soutien au chef de l’Etat Me Abdoulaye Wade pour aujourd’hui et pour demain, ci zaahir ak ci báatin. C’est un président qui nous inspire confiance, (…), un homme qui soutient beaucoup les religions musulmane et chrétienne. (…) Nous sommes fiers de lui et le soutenons. »

C’est son droit le plus absolu de prendre cette position publique et loin de moi l’idée de le lui contester. Là où le bât blesse cependant, c’est sa sortie – encore une – même voilée contre l’opposition. « On parle beaucoup au Sénégal, on y fait trop de politique politicienne.  Cessons de parler et travaillons », a-t-il alors lancé. Il regrette surtout qu’on ne respecte pas suffisamment le kilifa (l’autorité) au Sénégal. « Kilifa Yallaa ko tánn tek ko fi. Dañu koo wara weg. Kilifa du lula neex wax ko », a-t-il tenu à rappeler avec force ! En d’autres termes, il revient sur le respect que nous devons au kilifa en direction duquel on ne doit pas se permettre n’importe quels propos.

Il s’insurge aussi avec force contre le fait qu’on demande au président de la Républiquede démissionner. « Ce ne sont pas des choses à demander à un président de la République qui a été élu par le suffrage des Sénégalais », a-t-il martelé.

Á l’occasion de ce Gamou il a fait, comme à l’accoutumée, de nombreuses recommandations et invites. Nous en prenons acte. Comme lui, nous sommes d’accord sur l’obligation qui nous est faite de respecter le kilifa. Il est vrai que ce dernier nous facilite la tâche s’il inspire et impose lui-même le respect par son comportement au quotidien. Nous avons, par contre, de sérieux problèmes quand il est, par ses faits et gestes, aux antipodes du kilifa. C’est exactement le cas avec notre président politicien qui est constamment sur la brèche de la polémique et de la provocation, parle de tout et de rien, tire sur tout ce qui bouge et commet bévue après bévue. Comment pouvons-nous avoir du respect pour cet homme qui est le premier à se discréditer ?

Nous prenons aussi acte du soutien sans faille que notre marabout apporte à l’actuel président de la République, devenu aujourd’hui compétent, très fréquentable, presque un « sans faute », à ses yeux. Il n’est vraiment plus du camp des « menteurs et des hypocrites ». Il était perçu pourtant bien autrement avant le 19 mars 2000. Je me rappelle, comme si c’était hier, la cérémonie dite officielle du 99e Gamou de Pire, le samedi 4 décembre1999, dont la télévision rendit très largement compte dès le lendemain (de 20 heures 30 à 0 heure 30 mn). Ce jour-là, le marabout très en verve, comme toujours, chargea copieusement l’opposition (les gouvernants d’aujourd’hui), dont des membres étaient pourtant bien présents. Il a alors traité ses chefs (Me Wade en premier) de tous les noms d’oiseaux, notamment de « menteurs et d’hypocrites ». Et, pour illustrer son propos, il les compara à Abdalah ibn Abi Saad ibn Abi Saakh et à Abdalah ibn Saanoun. Le premier « fin lettré et sélectionné parmi les secrétaires qui réécrivaient les propos révélés par Allah, fera prospérer la thèse selon laquelle le Coran n’était en somme que des paroles falsifiées par Mouhammad (PSL) et les siens. » Le second, expliqua notre chef religieux, est à la base de la « déplorable affaire du chameau mettant en cause la fidélité de Aïcha, mère des croyants et l’instigateur de pas mal de manœuvres destinées à miner le crédit de Mouhammad (PSL). » Ces individus-là, qui « ont failli mettre en péril l’existence même de l’Etat musulman de Médine », notre marabout n’avait pas hésité un seul instant à les comparer aux opposants d’alors qui « injurient, invectivent, calomnient et jurent par monts et vaux qu’ils vont gagner la présidentielle de l’an 2000. Pire encore, ils avancent, foulant aux pieds la liberté de choix, l’esprit de tolérance inhérents à toute démocratie, que dans le cas contraire à leur rêve, ils mettent le pays à feu et à sang. » Et il lançait fameuse cette prière : « A dieu ne plaise que de telles personnes, capables de pareils propos démagogiques n’aient jamais la victoire ! Car, où nous mèneraient-ils s’ils parvenaient à leurs fins ? » Le lecteur se rappelle-t-il son invite aux autres chefs religieux à se prononcer pour éviter que les opposants d’aujourd’hui et gouvernants d’hier installent le pays dans le chaos ? C’était tout récent : le 3 décembre 2011.

Revenons au sévère réquisitoire du nouvel allié du président Wade contre « ces menteurs et ces hypocrites déguisés en politiciens » ! Il invitait ses compatriotes à ne pas les prendre au sérieux pour le moins du monde. « Leur catastrophisme tendant à nous servir le tableau d’un Sénégal pouvant être demain comme le Burundi, le Libéria, la Sierra Léone, etc., demeurera vain, car ces pays-là n’ont pas les atouts si enviés et enviables dont recèle le nôtre », prophétisa-t-il alors. Et si cette prophétie se révélait exacte ! Me Wade n’est-il pas sur le point d’installer le pays dans le chaos, de le mettre à feu et à sang à force de s’accrocher au pouvoir à presque 90 ans ?

Son Excellence avait même traité Me Wade et consorts de fous à lier, eux qui clamaient partout qu’ils allaient gagner une élection qui ne s’était pas encore tenue. « Xanaa ñii da ñoo faf telbati » (sont-ils finalement devenus fous ?), s’exclamait-il ! Pourtant, il avait à ses côtés son doomu ndey, son plus que frère Ousmane Tanor Dieng entouré d’une forte délégation de Socialistes, qui déclaraient sur tous les toits qu’ils allaient élire leur candidat dès le premier et à 60 % au moins des suffrages exprimés !

Après avoir ainsi copieusement cloué au pilori Me Wade et les autres opposants d’alors, notre marabout s’adressa à ses talibés en ces termes : « Soyez donc rassurés et faites votre devoir de citoyen dans la liberté et la tolérance ! Quant à nous, publiquement, nous déclarons soutenir la candidature d’Abdou Diouf. C’est notre droit et au nom de la démocratie, au nom de la citoyenneté, Abdoo ñu doy ! » Afin que nul n’en ignorât, il se frappait la poitrine et clamait haut et fort, en langue nationale walaf : « Man Abdoo ma doy, man de Abdoo ma doy, man Abdoo ma doy waay ! » En d’autres termes, c’est Abdou qui a sa confiance, toute sa confiance. Aujourd’hui, la confiance a changé de camp : elle est du côté de l’ex-hypocrite, l’ex-menteur, l’ex-incendiaire.

Dans une contribution publiée à Sud quotidien du 14 décembre 1999, je lui rétorquais alors ce qui suit : « Quoi de plus naturel qu’il (lui Serigne Moustapha Cissé) vote et appelle à voter pour le candidat socialiste ? A-t-il vraiment besoin de le clamer avec autant d’insistance et de façon si solennelle ? C’est le contraire qui eût étonné et surpris. La volaille peut-elle se situer ailleurs que du côté des bonnes ménagères qui pilent le mil dans la basse-cour ? ». Le maître de la basse-cour, c’est aujourd’hui le coq Wade.

Chaque fois que l’occasion m’est donnée d’écouter cet homme et de nombreux autres qui, comme les caméléons, changent de couleur au gré de l’environnement, je ne peux m’empêcher de penser à ces mots de Jacques Attali, dans l’introduction de son « Verbatim 1 » (page 12) : « L’exercice du pouvoir grossit les caractères des êtres comme la loupe ceux de l’imprimerie. Il est une drogue qui rend fou quiconque y touche, qui corrompt quiconque s’y installe, qui détruit quiconque s’y complaît. Aveuglés par les phares de la renommée, les chenilles dévoués ont tôt fait de se métamorphoser en vaniteux papillons. » « J’ai découvert, poursuit l’ancien conseiller spécial du président Mitterrand, que le pouvoir politique donne à celui qui y accède l’illusion de disposer de quelque chose comme un gage d’éternité : insouciance, impunité, flagornerie, tout concourt à laisser l’homme de pouvoir se croire affranchi des contraintes de l’humain, donc de la loi et de la morale. Á le pousser à confondre renommée et réputation, gloire et célébrité, reconnaissance et révérence, curiosité et admiration. Á cesser de douter, à perdre l’esprit critique, à ne plus être soi. Bref, à être, au sens propre du mot, aliéné. »

Je suis tenté de croire que c’était en direction du Sénégal et des Sénégalais de ces bientôt douze dernières années que le grand érudit français écrivait déjà ces mots. Ils s’appliquent en tout cas parfaitement aux Wade et aux mille courtisans qui se bousculent dans leur senzala, qu’ils soient hommes/femmes politiques, notables, chefs religieux ou autres.

 

Mody Niang, [email protected]

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