Avis lucides et réalistes sur l’avant-projet de Constitution proposée par la CNRI

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Le décret n°2013-730 du 28 mai 2013 mettant en place la Commission Nationale de Réforme des Institutions CNRI demandait à cette structure de « proposer des reformes pouvant trouver leur traduction dans une modification de la constitution, des lois organiques et des lois ordinaires ». Le décret parle clairement de modification à apporter à la constitution, aux lois organiques et aux lois ordinaires. Parlant de lois ordinaires, la CNRI n’a pas par exemple proposé un nouveau code pénal. Pourtant elle a mis sur la table un tout neuf avant-projet de Constitution avec 154 articles en lieu et place des 108 de l’actuelle loi fondamentale soit une augmentation en terme numérique de 42%. Sans verser dans un fétichisme numérique, à titre d’exemple la constitution française comporte 104 articles et celle américaine en a 37 au moment où la Grande Bretagne a une constitution non codifiée à base plutôt coutumière.
Le Sénégal a-t-il besoin de 154 articles pour rendre accessible et digeste sa constitution ? A notre humble avis, 154 articles ne pourraient qu’en rajouter à la complexité de lecture et de compréhension par le citoyen. A la décharge de la CNRI, nous convenons que le Sénégal a traversé une période difficile surtout dans la période préélectorale de 2012 avec une constitution utilisée souvent à des fins politiciennes à force de modifications. Le contexte était exceptionnellement fait de dérives souvent anticonstitutionnelles dictées par une volonté de dévolution filiale maladroite du pouvoir. Fallait-il, pour la CNRI, partir des dérives exceptionnelles pour TOUT recréer ?
Certes dans l’avant-projet de constitution proposée par la CNRI, il y a du bon. C’est le cas de propositions claires sur le Conseil National des Collectivités locales, le Médiateur de la République, l’Autorité de Régulation de la Démocratie et le Conseil de Régulation de la Communication. Les points qui ont le plus fait couler d’encre dans cet avant-projet de constitution sont à rechercher dans les dispositions relatives au pouvoir exécutif, législatif et judiciaire.

Sur l’Exécutif
Concernant le Président de la République, la CNRI propose l’encadrement de son âge d’éligibilité entre de 35 ans au moins et 70 ans au plus le jour du scrutin. S’il est vrai que 35 ans révolus sont normalement acceptables pour des raisons liées à la maturité, il reste discutable qu’aucune règle ne justifie la limitation à 70 ans. La qualité de la vie et les progrès de la médecine font qu’à 70 ans on peut bel et bien garder sa lucidité et sa santé physique. La CNRI a semblé s’inspirer de la période électorale qui a vu un candidat briguer les suffrages péniblement à près de 80 ans. Je crois que les électeurs en 2012 avaient bien compris qu’on ne donne pas un Job aussi important à un jeune homme de 80 ans. La sanction des urnes suffit largement et je trouve non démocratique une limitation de l’âge maximal d’accès à la candidature suprême. Le bon sens des électeurs fixera naturellement cette limite dans les urnes sans codification superflue.
Dans un autre aspect, ce sont sans doute les prétentions manifestes de dévolution filiale du pouvoir qui ont poussé la CNRI a interdire aux ascendants, descendants, collatéraux au premier degré, ou conjoints d’un Président en exercice d’être candidat à la succession. Cette disposition tirée du vécu récent me semble cependant non démocratique et totalement discriminatoire. Interdire à un citoyen le droit de briguer les suffrages parce que son père a été le dernier Président de la République me semble inopportun. C’est aux électeurs de trancher même si la CNRI pense que les descendants du Chef peuvent avoir des positions de privilège démesuré comparativement aux autres prétendants.
Autre point relatif à la fonction de Président de la République : son incompatible souhaitée par la CNRI avec une fonction dirigeante dans un parti politique. La question essentielle est de savoir si le fonctionnement des partis politiques actuels au Sénégal permet d’avoir des espaces démocratiques et d’élégance pour donner à un Président de la République toute la sérénité requise pour gérer la nation en s’écartant de la structure qui l’a porté au pouvoir. Qu’en sera-t-il demain d’un Chef d’Etat qui voit au loin son parti se disloquer ou des camarades lui voler son leadership ? Restera-t-il zen face à l’exigence de conduite de la nation ? L’histoire politique du Sénégal a montré qu’il y a eu des moments graves de bicéphalismes réels ou supposés au sommet de l’exécutif avec des répercussions fratricides au sein des partis au pouvoir. Si nous avons pu éviter le pire n’était-ce pas parce que les Chefs d’Etat avaient (même avec des procédés souvent non orthodoxes) pu rétablir la mainmise sur leur parti ? Je crois que ce sujet sur la conduite des rennes d’un parti par un Président de la République doit être traité avec la lucidité contextuelle d’un pays en construction et non dans un angélisme démocratique naïf idéaliste. Cette question va passionner le débat sur le referendum de 2016 mais, il faut savoir que le Président Macky élu à plus de 65% avait bien une position claire de garde de la fonction dirigeante du parti par le Chef de l’État. Il a le mérite de la franchise sur une question aussi tranchée. Voulons-nous de l’hypocrisie d’un Chef d’Etat qui accepte de ne pas être dirigeant officielle de son parti tout en l’étant officieusement. Je crois qu’on peut laisser la possibilité pour un Chef d’État d’être chef de parti tout en exigeant dans la pratique une élégance démocratique de respect des frontières éthiques.
Je passe sous silence les propositions sur la restriction des pouvoirs de nomination par le Président de la République. Je crois qu’en choisissant de faire d’une personne une institution, les citoyens doivent lui laisser de la marge de manœuvre pour constituer son équipe et le sanctionner positivement ou négativement à la prochaine élection. Si l’entraineur d’une équipe nationale de football peut mettre les joueurs qu’il veut, ce n’est pas au Chef de l’Etat qu’on devrait demander de ne pas avoir ce pouvoir de choix libre. Un entraineur d’une équipe nationale doit-il avoir plus de pouvoir qu’un Chef d’État ?
En définitive, nous devons à mon humble avis savoir que la clef de voute des institutions incarné par le Président de la République est gage de stabilité dans une République. On n’élit pas une personne pour ensuite le dépouiller de tout son pouvoir. Il est vrai que sur certains aspects, son pouvoir peut être encadré notamment avec des filtres dans le processus de nominations avec des exigences restrictives. De là à trop affaiblir le Président de la République, le risque est grand d’une instabilité chronique.

Sur le législatif
La CNRI a aussi réécrit le chapitre sur le pouvoir législatif. L’avant-projet de constitution lui a consacré 26 articles. C’est trop parce que la CNRI a voulu traiter de questions qui devraient être du ressort du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. L’article 82 proposé par la CNRI dispose : « Le député qui est exclu de son parti siège comme non-inscrit au sein de l’Assemblée nationale. Il ne peut, en aucun cas, s’affilier à un autre groupe parlementaire au cours de la législature ». Cette disposition plus draconienne devrait être méditée par ceux qui s‘offusquaient de la récente modification du règlement intérieur de l’assemblée nationale.

Sur le judiciaire
La principale innovation réside dans la proposition d’une Cour constitutionnelle avec ses sept membres ayant la latitude de choisir eux-mêmes leur Président (parmi les magistrats). Ces sept membres comme proposé par la CNRI sont choisis comme suit : trois par le Président de la République, deux par le Président de l’Assemblée nationale, un par le Premier Ministre, un par l’ordre des avocats. Ces sept sages sont nommés par décret pour un mandat de six ans non renouvelable. Je crois que le souci de donner aux questions constitutionnelles plus d’ancrage dans le judiciaire, ne devrait pas créer une sorte de République des juges. La stabilité de notre pays est à ce prix et d’ailleurs un pays comme la France a encore un conseil constitutionnel de neuf membres choisis certes équitablement par les Présidents de la République, du Senat et de l’Assemblée nationale. Pour garantir une certaine stabilité de l’institution, le Président du conseil constitutionnel français n’est pas élu par ses pairs mais par le Président de la République. Je crois, que l’angélisme ne doit pas nous pousser à une démarche plus progressiste que la France (qui plus de 200 ans de vie républicaine !) au risque de constituer les germes d’un contrepouvoir antagonique « conflictogène ».

Sur les autres questions
Dans l’avant-projet de constitution déposé par la CNRI, des questions comme l’obligation de concertation (article 8) devraient être prises avec dextérité pour un pays en développement ayant besoin de plus de souplesse dans son fonctionnement. Avons-nous besoin de constitutionnaliser comme le propose la CNRI des questions comme l’exploitation et la gestion des ressources naturelles, le droit de pêche, les concessions minières et la garde à vue ? A notre avis, ces questions peuvent relever de lois ordinaire sans que cela ne nuisent à leur portée obligatoire. Je crois que l’avant-projet de constitution a bien fait de relever les questions liées aux libertés de presse, d’association, de conscience et de culte etc. Fallait-il trop détailler ces aspects essentiels qui d’une manière ou d’une autre seront nécessairement repris dans des lois ordinaires spécifiques ? C’est le cas également des questions comme le droit de propriété, l’inviolabilité du domicile, le droit d’exercer librement l’activité économique licite de son choix, les droits à la santé, au travail, à un environnement sain, à une éducation gratuite dans une école publique, à l’alphabétisation dans toute langue nationale. Je crois que c’est trop alourdir le texte fondamental que de trop détailler ces questions. Une simple évocation générique aurait pu suffire et renvoyer aux lois ordinaires.
En outre, en plus des réformes sur les trois pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire, sur les autres aspects traités par la CNRI, il y a matière à réfléchir. C’est comme si la CNRI a voulu recréer les bases de notre République qui, en dépit des soubresauts, est un des rares ilots en Afrique à n’avoir pas connu de coup d’Etat militaire. Nous avons certes un problème de constitution mais, nous ne sommes pas au Sénégal en manque de République.
En vérité, à lire à bien des égards l’avant-projet de constitution de la CNRI, c’est comme si on avait voulu TOUT traiter par voie constitutionnelle. Qui trop embrasse, mal étreint nous apprend l’adage. Le désir de verrouillage d’éventuels dérives a sans doute était érigé en méthode pour essayer de tout constitutionnaliser. Il est vrai que dans certaines situations le pouvoir exécutif a besoin de freins pour éviter la dérive. Trop de freins peuvent aussi nuire au décollage de notre pays qui déjà regorge de lourdeurs socioculturelles à nécessairement prendre en compte par tout régime politique sans que cela ne soit expressément écrit.
A mon humble avis, le pouvoir émanant d’un peuple mérite plus de préjugé favorable pour l’exécutif élu qui doit inscrire son action dans un cadre défini par des règles d’entrée, de contrôle et de sortie du pouvoir. C’est pourquoi l’inscription dans la constitution de règles comme la déclaration de patrimoine et d’intérêts paraissent essentielles. D’ailleurs dans ce domaine, le régime du Président Macky Sall a fait des bonds reconnus à travers le monde avec la mise en place de l’OFNAC et de la loi sur la déclaration de patrimoine.
Au total
Il est important de saluer le travail patriotique colossal des éminents membres de la CNRI. La mission de « modification » aurait pu être faite sur les 108 article de l’actuelle Constitution avec un blanco pour rayer les dispositions non conformes et un stylo pour compléter celle essentielles. Cette méthode simple aurait à notre humble avis permis d’éviter de réécrire une nouvelle constitution comme si le Sénégal était à recréer. Certes la CNRI a fait un travail énorme et ses membres sont à féliciter pour toute l’énergie mise dans leur mission. La lettre du Président Macky remise au Président Amadou Makhtar Mbow demandait déjà en 2012 à la CNRI de proposer des « réformes à mettre en œuvre à court, moyen et long termes».
La CNRI a certainement regrouper les trois temps (court, moyen et long terme) en un seul en proposant un avant-projet de constitution. Je crois qu’une reformes aussi progressiste soit-elle pourrait sans réflexion globale déstructurer les bases de la nation. Nous devons savoir qu’aussi solide puisse paraitre notre nation, il n’en demeure pas moins vrai que nos diversités constituent aussi des germes délicates à gérer avec intelligence. Le charme de notre pays est aussi sa complexité ! C’est pour cela que le prochain referendum doit rester à la fois progressiste et réaliste en évitant vitesse et précipitation. Nous devons oser relire l’avant-projet de constitution proposé par la CNRI pour en faire une critique objective. C’est une œuvre humaine colossale et pleine de mérite mais aussi largement perfectible. Il serait dommage de verser lors du référendum de 2016 dans un populisme conjoncturel en évitant le débat essentiel sur une Constitution certes garante de nos libertés mais aussi et surtout socle inébranlable de la stabilité nationale. C’est sous ce rapport qu’il faut lire cette modeste contribution qui a juste la petite teneur d’un avis citoyen et militant.

Par Mamadou NDIONE
Economiste Ecrivain
APR DIASS

5 Commentaires

  1. Merci d’voir signe entre autres remques APR DIASS . Cela nous renseigne sur le but que tu recherches . Macky va te reconnaitre et te donner un strapontin , mais de grace n’envahis plus notre espace de discussions .
    Wassalam .

  2. Ce qui en premier est le plus contestable dans cette tentative de Macky de rouler dans la farine le peuple sénégalais dès son accession par défaut à cette station , c’est ce vocable de NATIONALE dont il a sournoisement affublé cette commission , qui en vérité n’avait rien de NATIONALE justement . La preuve , Macky Sall a ouvert le tiroir le plus bas de son bureau pour y fourrer définitivement dans l’oubli , les dites conclusions , qui ne lui appartiennent pas , si tant est que la commission est NATIONALE .

    Toutefois acceptons malgré tout , de débattre de façon ramassée hein , de quelques points de l’opportunité ou non de l’ adoption de ces fameuses conclusions , en suivant les tracées de votre développement somme toute pertinent à certains égards .

    – Le nombre , que vous jugez pléthorique des articles par opposition à la constitution française , n’a absolument rien de bien significatif en vérité ; nos réalités sociales et politiques et notre culture à chacun , étant totalement différents . Encore qu’il faut remonter à bien longtemps pour voir si pour la Constitution française , le nombre des articles n’a pas évolué au fil du temps . Il faut aussi croire qu’en ce qui nous concerne , plus nous ferons dans le détail , mieux cela vaudra pour nous . L’exemple du malaise crée par les opinions contraires des constitutionnalistes , sur la rétroactivité ou non sur le mandat qui était en cours du Président Abdoulaye WADE , de la loi sur le nombre de mandats de la Constitution révisée pendant son premier mandat , est très illustratif de cette nécessité de détails . Et puis quoi !? Nous sommes une jeune République et surtout une très jeune démocratie . Quand en plus nous pouvons avoir le malheur d’être pris entre les serres d’arrivistes sanguins et bornés tels que Macky Sall par exemple … . La preuve , sa confiscation inexplicable des conclusions de la Commission NATIONALE . Ces pratiques de grande crapule .

    – Pour l’exécutif et en ce qui concerne l’âge d’éligibilité , si la majorité pour l’homme est établie à 21 ans et pour la femme à 18 ans ; âges qui supposent l’aptitude à appréhender les choses de la vie avec toutes les garanties d’une expérience avérée . Pourquoi nous priver trop longtemps de ce que les âmes bien nées pourraient bien nous apporter à la tête de l’Etat ? Dans l’autre sens , les aptitudes à définir la politique de la nation , à créer les voies et moyens pour y parvenir , sont-elles une question d’âge ? Si non , 80 , 90 , 100 ans et même plus , changeraient quoi au bonheur du peuple d’être bien guidé ?

    En ce qui à trait à la  » dévolution filiale  » , tout a été taillé sur mesure pour barrer la route à Karim WADE ; alors qu’en démocratie réelle , en vérité le bon sens seul des électeurs décidera de tout .

    Je vais m’en arrêter là , parce que de toutes les façons , il ne sert à rien de spéculer sur ces conclusions qui ne serviront à rien du tout , et qui semblent être la propriété exclusive de Macky , qui regrette maintenant amèrement dirait-on , d’avoir initié ce projet qui lui est revenu à la figure comme un boomerang .

    QUAND IL NE SERA PLUS LA EN 2017 , NOUS AVISERONS .

    EUYINEUW …………………………………………..

    .

  3. Ah oui j’oubliais , c’est le doyen MBOW qui doit se sentir à l’étroit dans ces petits souliers , et surtout trahi et humilié à la face du monde . Bon , ils ont semble-t-il , été très grassement rémunérés à la commission . Cela étouffe bien certains ressentiments .

    EUYINEUW …………………………………..

    .

    • Excellente analyse de Monsieur NDIONE que je connais bien par sa droiture. s’il a écrit cet article, c’est en patriote. Une constitution doit etre faite en tenant compte de l’état d’évolution sociale. C’est ce que Monsieur NDIONE a compris

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