Badou, le ramadan et la cigarette

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C’est foutu. Badou a voulu être sophistiqué; il a cherché à paraitre séduisant et viril. Quelques années plus tard, la cigarette s’est imposée à lui comme intrant et condition d’équilibre psychique. Lui et la cigarette sont d’ores et déjà unis dans le mal prévisible d’une santé en ruine. Sa dépendance chronique au tabac intensifie les effets désagréables de la privation qu’impose le jeûne. Difficile de savoir si c’est sa crainte du châtiment divin ou sa peur du qu’en-dira-t-on qui l’oblige à observer ce commandement. Du lever du soleil à la tombée de la nuit, ses yeux décolorés et sa mine rébarbative préviennent de sa disposition au massacre.
Les soirs du mois béni, ce fumeur malheureux se rattrape et comble par avance les besoins du lendemain. Pendant qu’il envoie des ronds de fumée vers le plafond, il revit honteusement en boucle les insanités débitées depuis le matin, sous l’effet du besoin inassouvi de nicotine. À l’épreuve de la diète, la force de ses convictions de musulman ne suffit pas à tempérer sa rage d’intoxiqué. Son humeur acariâtre laisse penser qu’il carbure beaucoup plus qu’il ne convoite les promesses de salut. À longueur de journée, le tabac que réclame le sang irriguant son soumis cerveau l’indispose jusqu’à le pousser à enfreindre les préceptes élémentaires de bonne conduite.
En vérité, la cigarette a confisqué son état normal pour ensuite le lui restituer au compte-gouttes, à chaque fois que son organisme réclame et obtient sa dose de poison. Grand Badou se résigne à l’idée d’avoir perdu à jamais sa liberté d’homme sobre, libre de tout goût obsessionnel. Il envisage, comme pour justifier sa capitulation, un rapport d’intérêt avec le tabac : fumer pour décompresser, fumer pour se concentrer, fumer contre le stress. Quand sa fille lui parle des dangers du tabac, il lance, comme pour s’innocenter, sa phrase favorite : il faut bien mourir de quelque chose. « J’aurais choisi mourir plus radieusement qu’à coup de puffs » a répondu sa fille, la dernière fois.
À la coupure du jeûne, Badou Diop allume une cigarette puis une autre, et l’envie de destruction massive disparait aussitôt. Il redevient zen et conciliant pour quelques temps encore. Il se confond dans les remords et entreprend une préparation mentale pour le lendemain. Ensuite, belote et rebelote, l’addiction prend le dessus et, à nouveau, il perd le contrôle et redevient bouillant et tapageur.
Le mal qu’un fumeur se donne, dans ses débuts d’apprenti frimeur, est révélateur de sa démesure. Il tousse et suffoque, mais il persévère à s’encrasser les poumons parce qu’il veut, à tout prix, être reconnu fumeur émancipé par sa bande de potes agités. Décider de fumer, c’est comme porter des chaussures serrées, qui font très mal, pour ressentir plus tard le plaisir de les enlever. Quelle connerie!
À présent, Diop Badou subit l’ordre privatif de bouffe, d’eau et de nicotine pour, dit il, s’élever au rang de bon croyant. Pourtant, une simple salutation mal articulée à son endroit est susceptible de virer au drame. Gare aux enfants, aux malades et aux autres exemptés de jeûne qui se prévalent de l’agrément religieux ou social à manger, à boire et à fumer.
Birame Waltako Ndiaye
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