BAISSE ANNONCÉE DES PRIX DES DENRÉES Leurres et leçons d’une décision inopérante

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Au sortir d’une rencontre avec le Conseil national des consommateurs (Cns), le gouvernement du Sénégal a décidé de baisser de 10 à 15% les prix de certaines denrées de première nécessité. Toutefois, l’application de la mesure parait impossible.

L’un des grands avatars de la mondialisation est d’avoir dépouillé les Etats de leur faculté de conduire efficacement leurs politiques économiques, notamment celles relatives aux prix. Ce constat est en voie d’être expérimenté par le Gouvernement du Sénégal, qui a annoncé la baisse de 10 à 15% des prix de plusieurs denrées de première nécessité, après une réunion avec le Conseil National de la Consommation. Ainsi, sans doute saisi par la gravité de la situation des ménages, l’Etat a décidé de les soulager de la spirale haussière des étiquettes. Seulement, si sur le principe, cette mesure est louable, elle s’avère inopérante sur le terrain. L’échec programmé de la décision est par ailleurs riche de leçons sur les errements de la politique budgétaire et sur certains acquis supposés de l’alternance en matière de politique d’offre de produits alimentaires. L’impossibilité d’appliquer la décision de baisser les prix tient à l’inexistence de contrôleurs des prix. Elle s’explique, en outre, par la méconnaissance des couts d’achat des commerçants et des conditions entourant les approvisionnements (délais de livraison, gestion des stock, etc). Les crédits bancaires qui ont permis la constitution de ces stocks ont été établis sur la base d’un prix de sortie qu’il est difficile de remettre en question. Plus généralement, il est quasiment impossible de modifier les prix, sans toucher à leurs principaux déterminants en amont.

Durant les discussions qui ont donné lieu à cette décision de diminuer les prix, aucun des facteurs à l’origine de la flambée des prix n’a fait l’objet d’ajustement ni de la part du gouvernement, ni des commerçants. Autrement dit, l’Etat n’a consenti aucune baisse de la fiscalité, tandis que les commerçants n’ont pas souhaité renoncer à leurs marges. Dans ce contexte, la mesure prend des allures d’un coup d’épée dans l’eau donc sans effet pour les consommateurs.

Il y a lieu de rappeler qu’au Sénégal, à la suite de l’adoption de la loi N°94-63 du 22 août 1994 instituant la libéralisation et la concurrence, l’orientation des prix résulte essentiellement de l’offre et de la demande. Sur cette base, faute d’une offre locale suffisante, l’inflation des biens de consommation courante est déterminée notamment par la répercussion des prix internationaux (inflation importée). Mais, en l’absence d’un contrôle des prix, cette répercussion est souvent opérée avec des abus préjudiciables au pouvoir d’achat. Par ailleurs, les taxes sur ces produits sont parmi les plus importantes dans l’UEMOA, malgré les dispositions communautaires. Cette situation est liée à une plus forte absence d’équité fiscale liée à la concentration des recettes budgétaires sur un nombre réduit de produits. En particulier, le Sénégal se caractérise par une fiscalité anachronique sur les produits pétroliers qui n’obéit à aucune rationalité économique, sinon de permettre une aisance dans la collecte des ressources. A la fiscalité commune aux pays de l’UEMOA (TVA à l’importation, droits de douane, TVA intérieure et taxe spécifique), l’Etat sénégalais a ajouté sur les hydrocarbures trois autres taxes (prélèvement au titre du Fonds de sécurisation des importations de produits pétroliers, droit SENELEC et les moins-values). Ces ponctions représenteraient environ 60% du prix des hydrocarbures à la pompe et rapportent, en moyenne, 34% des recettes fiscales (2005-2010). Il s’y s’ajoute la corruption endémique au Sénégal pour expliquer le niveau structurellement élevé des prix, les coûts et charges afférents à cette pratique étant ine fine, supportés par le consommateur.

La récente flambée des prix, qui préoccupe l’Etat, est essentiellement liée à un choc d’offre d’origine externe qui traduit la forte vulnérabilité du Sénégal aux aléas de la conjoncture internationale. Cette vulnérabilité, entretenue par un degré d’ouverture de plus de 50% de l’économie sénégalaise, l’expose en permanence aux incertitudes du commerce international. Les prix des denrées alimentaires ont atteint un nouveau record historique de hausse de 3,4% en janvier 2011 par rapport à décembre 2010.

Ce renchérissement est lié à une série de facteurs, notamment les déréglements climatiques qui détruisent les récoltes (innondations, secheresse,..etc) et l’ajustement des coûts de l’énergie et du transport. Ces contraintes d’offre sont aggravées par la mise en place, au sein des principaux pays producteurs, notamment au Viêtnam, en Inde, (2e et 3e plus grands exportateurs de riz) et en Chine, de mesures de restriction des exportations pour satisfaire la demande intérieure. L’Egypte, qui connait des incertitudes politiques, a décrété l’arrêt de ses exportations pour une période indeterminée. Du côté de la demande, la hausse de la consommation dans les économies émergentes suscitée par la poussée démographique et l’amélioration du niveau de vie en Asie a eu un impact haussier sur les prix. Par ailleurs, des retentions de stocks de la part des négociants ont amplifié la pénurie. Enfin, la montée des prix refète les comportements spéculatifs sur les produits céréaliers devenus un refuge contre les fluctuations du dollar et les poussées inflationnistes.

Les perspectives apparaissent d’autant plus défavorables pour la puissance publique que les cours des principales denrées sont appelés à augmenter dans les 5 prochains mois selon la FAO. Les risques que font peser la sécheresse annoncée en Chine, les inondations en Australie et les tensions en Ukraine laissent présager une situation inédite chez les importateurs comme le Sénégal. Au plan macroéconomique, le cercle vicieux qui pointe à l’horizon prendrait la forme d’une baisse des importations, liée aux restrictions opérées par les principaux fournisseurs, débouchant sur une contraction des recettes fiscales. Cette situation induirait une réduction de la marge de manœuvre budgétaire et un endettement accru qui entamerait la solvabilité de l’Etat.

L’orientation des prix au Sénégal renseigne au moins que les formules telles que la GOANA et « Retour Vers l’Agriculture » (REVA) n’ont pas atteint leur objectif d’autosuffisance alimentaire pour constituer des remparts contre les chocs exogènes. Qui plus est, en décidant de limiter son action par la définition de mesures aussi légères que des « prix conseillés » aux commerçants ou le rétablissement d’un contrôle des prix, le Gouvernement avoue son impuissance dans cette matière. Cette impuissance est du reste partagée avec tous les pays fragiles ayant souscrit au « consensus de Washington », qui adoptent des politiques budgétaires contestables. On ne peut pas être adepte des lois du marché et partisan d’une économie administrée à la fois. Pour son efficacité, le libéralisme ne s’accommode de rien d’autre que d’incitations et d’externalités régaliennes pour assurer une saine concurrence susceptible de concourir à la maîtrise des prix. La situation apparaît d’autant plus délicate que le trésor public semble avoir épuisé ses moyens avec un déficit budgétaire à plus de 5% du PIB, largement au dessus des critères de convergence de l’UEMOA (3,%), tandis que le FMI n’est pas disposé à tolérer des excès. L’Etat, incapable d’appliquer des aides et subventions ou d’autres mécanismes de relance, faute de marge budgétaire, s’expose à la critique populaire qui justifie ces mesures vouées à l’échec.

Au lieu de jouer au laborieux sapeur-pompier, l’Etat aurait du s’ériger en architecte, en construisant un mode d’allocation fondé sur l’augmentation de l’offre censée garantir durablement une maîtrise des prix des céréales. Cette exigence est renforcée par ses effets en matière de création d’emploi, d’équilibre de la balance commerciale et de stabilité socio-politique. L’Etat doit s’atteler à la définition d’une réelle politique de sécurité alimentaire, fondée des incitations visant la fourniture de produits vivriers. Cette modalité implique une attention plus soutenue aux producteurs de riz de la vallée du fleuve et du bassin de l’Anambé . A plus long terme, se posera la discussion, plusieurs fois retardée, autour de la tyrannie de l’arachide, dont tout le monde sait maintenant qu’elle n’est pas stratégique en matière de sécurité alimentaire, ni rentable au regard de sa demande déclinante sur les marchés internationaux. Les actions devraient être centrées également sur la baisse de la fiscalité, singulièrement celle du pétrole. Elle serait de nature à impacter les autres produits tant sa transversalité apparaît grande au Sénégal. Après l’abandon brutal des subventions, les autorités auraient du organiser une meilleure optimisation des approvisionnements.

Dans cette perspective, le pays dispose d’un certain nombre d’atouts et de potentialités, dont l’exploitation se ressent malheureusement d’un manque de volonté politique, accentué par l’opposition de forces privées soucieuses de préserver leurs rentes au détriment de l’intérêt collectif. L’exemple du fuel destiné à l’électricité, dont nombre d’experts considèrent qu’il est acheté au prix de plus cher, en atteste. Le lobby du riz, qui refuse de céder toute parcelle à la mise en valeur des terres de la vallée, dans le seul but de perpétuer ses profits, est également une preuve tangible de cet état de fait.

A force de créer des dépenses de prestige qui évincent la satisfaction de la demande sociale, l’Etat a accentué les inégalités, accroissant du coup son impopularité auprès des couches les plus fragiles. En effet, le manque de marge budgétaire pour faire face au déficit de produits alimentaires accentue la rancœur d’un peuple qui voit ses préoccupations de base délaissées au profit de dépenses destinées à entretenir le prestige d’un seul homme (Monument de renaissance Fesman, achat d’avion, etc). La combinaison de cette brusque poussée inflationniste avec les délestages d’électricité, pourrait être lourde de dangers pour le pouvoir, tant les populations apparaissent lassées de l’incurie de leurs gouvernants. Comme le dit une sagesse africaine, les douleurs sont supportables quand elles relèvent des lois de la nature, mais beaucoup moins quand elles proviennent de l’injustice des hommes.

Omar Barou Senghor

lagazette.sn

 

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