Banjul, Cérécunda et Bircama: villes presque fantômes

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ENQUÊTEPLUS – Ces derniers jours, des milliers de populations composées de Gambiens, de Sénégalais, de Guinéens, entre autres nationalités, fuient leurs habitations des grandes agglomérations et se réfugient au Sénégal ou dans la Gambie rurale chez leurs parents. Tous craignent pour leur vie. La majorité de ces personnes déplacées sont des femmes et des enfants. Ainsi, Banjul, Cérécunda et Bircama sont-elles devenues presque des villes fantômes. Ces trois centres villes vivent un véritable exode.

Des Ecoles, des boutiques, des magasins fermés. Une activité économique au ralenti. Des rues presque vides…. La Gambie retient son souffle, à l’approche du 19 janvier, date de la prestation de serment du président élu, Adama Barrow. D’ailleurs, le pays est devenu un no man’s land pour les journalistes étrangers. Interdiction formelle de prendre des photos. Aucune interview n’est tolérée. Brandir sa carte de presse, lors d’un contrôle, expose à un grand danger. La crise politique tétanise le pays.

A Banjul et Bircama, en passant par Cérécunda, le constat est saisissant. L’armée a pris le contrôle. Les militaires qui ont fait allégeance à Yahya Jammeh, le président sortant qui refuse de reconnaître sa défaite, ont quadrillé les villes. Lourdement armés de mitrailleuses, de lance-grenades et autre arsenal de guerre, ils ont fini de jeter l’effroi dans le cœur des Gambiens qui ne demandent pas leur reste et décampent. Car ils sont visibles partout, aux ronds-points et « axes stratégiques ».

Des « Check-points » sont érigés le long du tronçon Banjul-Soma. Le contrôle est strict. Les personnes ne disposant pas de carte d’identité nationale ou de papier valable sont amenées loin des regards par des soldats. Sûrement pour un interrogatoire. Ce n’est pas tout, les patrouilles de soldats sont incessantes dans les trois villes déjà citées. A bord de pick-up, surmontés de mitrailleuses, ils circulent. Ici, tout est orchestré pour installer la peur dans le cœur des populations et des visiteurs.

Les trois centres villes abandonnées par ses occupants

Et le constat est que ça marche. Des milliers de Gambiens, Sénégalais, Guinéens, entre autres nationalités, ont quitté les grandes agglomérations, destination : Ziguinchor et Kaolack, pour l’essentiel, afin d’y mettre à l’abri femmes et enfants. La Gambie vit un véritable exode. Ces personnes qui ont mis à l’abri leurs familles soutiennent qu’elles craignent « des troubles en raison de la crise politique qui secoue le pays’’. ‘’Yahya Jammeh ne veut pas lâcher le pouvoir.

Il s’accroche comme une chauve-souris qui s’est agrippée à une branche d’arbre. Il est prêt à toutes les éventualités. Donc, avant que la guerre n’éclate, nous préférons éloigner nos familles. Si la CEDEAO parvient à résoudre cette crise et que Yahya Jammeh cède le pouvoir à Adama Barrow, nous retournerons en toute sécurité pour occuper nos habitations sans problème », déclare l’un d’eux.

Toutefois, tout le monde ne peut pas fuir, faute de moyens financiers. « Nous ne pouvons pas fuir pour sauver notre peau. Parce que nous n’avons pas beaucoup d’argent pour le transport et la restauration, une fois arrivés dans un lieu d’accueil. C’est pourquoi nous préférons rester tout en ayant la peur au ventre. Parce que la crise politique risque de tourner au bain de sang », confient la plupart des chefs de familles rencontrés dans ces trois villes.

Pour se mettre à l’abri, ces personnes qui n’ont pas les moyens de quitter le pays n’ont que deux points de chute : Karang et Céléty. Les populations qui vont à Kaolack, Thiès, Saint-Louis ou Dakar passent par Karang. Celles qui ont décidé de rallier la Casamance, les deux Guinées ou le Mali passent par Céléty. Deux villes situées à la frontière sénégalo-gambienne. A ce jeu, ce sont des milliers de populations qui ont quitté la Gambie, ces derniers jours.

Kolda et Sédhiou se préparent au pire

Dans la partie sénégalaise, à Kolda et Sédhiou, aucun site d’accueil n’a encore été construit. En effet, la plupart des personnes déplacées ont été recueillies dans leurs familles ou par des proches. Du côté des autorités locales de ces régions, on souligne qu’il n’y a pas encore « d’afflux massif qui nécessite la construction de sites d’accueil. Qu’aucune instruction de l’Etat du Sénégal ne leur est parvenue dans ce sens ».

N’empêche que les autorités administratives et les élus locaux tiennent des réunions afin d’envisager l’ouverture de ces centres d’accueil, au cas où les choses empireraient en Gambie. « J’ai demandé aux délégués de quartiers de recenser toutes les personnes déplacées qui atterrissent dans leurs localités, au fur à mesure. Déjà, certains délégués ont recensé plusieurs déplacés. Mais, pour le moment, on ne peut pas qualifier ces personnes comme étant des refugiés. Mais, on peut parler de personnes déplacées. Parce que la passation du pouvoir entre Yahya Jammeh et Adama Barrow est prévue le 19 janvier », explique Malang Séni Faty, maire de la commune de Madina Wandifa.

En outre, il est difficile pour les communes frontalières avec la Gambie de faire face à ces arrivées massives. Car, la plupart du temps, ces personnes n’ont rien apporté avec elles. Présentement, elles sont logées, nourries, vêtues et soignées par les parents ou proches. Un élu local qui préfère garder l’anonymat soutient que « dans les semaines à venir, si la situation ne s’améliore pas, les mairies, sur instructions de l’Etat, vont procéder à la construction de camps pour venir en aide à ces milliers de personnes déplacées ».

Avant de préciser qu’il est difficile pour le moment de faire la différence entre les personnes déplacées dont la vie est réellement menacée et les migrants qui veulent changer de pays dans l’espoir d’avoir une vie meilleure. Mais, de toute façon, assure-t-il, des solutions seront trouvées entre le Sénégal et le Haut-Commissariat des refugiés pour aider ces personnes qui ont tout laissé derrière elles. Qu’elles puissent avoir une vie décente, autrement dit, vivre dans des conditions acceptables. ‘’Car, notre devoir est de leur ouvrir les bras. Parce que le Sénégal et la Gambie sont des pays frères’’, confie l’élu.

Ces derniers jours, les postes de police frontaliers avec la Gambie enregistrent des centaines de personnes déplacées. Dioussé Michael, policier au poste frontalier de Sénoba, confirme l’exode. Le chef de poste de la Douane de Sénoba, Mamadou Samba Sy, de préciser : « ce sont en majorité des femmes et des enfants qui fuient la Gambie ».

Toutefois, il ne peut s’empêcher de déplorer la porosité de la frontière. Avec dépit, il lance : « depuis le début de la crise, aucun trafiquant de drogue n’a été arrêté. Pour éviter de tomber dans nos pièges, les trafiquants empruntent les pistes de la brousse afin d’écouler leurs produits ». Comme quoi, le malheur des uns fait le bonheur des autres.

L’activité économique est au ralenti

En Gambie, ce ne sont pas les acteurs économiques qui sont à la fête. Depuis la volte-face de Jammeh, les activités sont au ralenti, même s’il n’y a pas eu de coups de feu ni de scènes de violence à Banjul, Cérécunda et Bircama. La tension palpable est très mauvaise pour les affaires. Dans les rues et avenues presque désertes, seuls quelques véhicules de transport en commun et taxis sont visibles. Les seuls endroits où l’ambiance bat son plein, ce sont dans les gares routières. Le mot d’ordre est de partir et d’observer la situation de très loin. Conséquences : beaucoup de magasins et boutiques sont fermés.

La majorité des commerçants rencontrés à Banjul, à Cérécunda tout comme à Bircama n’ont qu’une phrase aux lèvres : « Le président sortant Yahya Jammeh est à l’origine de cette crise. Il doit céder le pouvoir à Adama Barrow, le vainqueur de l’élection présidentielle ». Mamadou Aliou Diallo, un commerçant établi à Banjul, de dire : « Nous avons peur que la guerre éclate ici. » « Mieux vaut, ajoute-t-il, sauver sa peau, avant que le pire ne s’abatte sur nous. Mes amis et moi avons décidé de fermer et de rentrer en Guinée Conakry, en attendant que la situation s’améliore. Nous ne pouvons pas apporter de la marchandise et les véhicules se font rares. »

En effet, la plupart des propriétaires de véhicules ont préféré amener leurs familles loin de la capitale. D’ailleurs, la clientèle se fait rare. Un brin optimiste, son ami Ibrahima Barry d’ajouter : « Nous avons décidé de partir, en attendant que Yaya Jammeh et Adama Barrow trouvent un consensus et fassent revenir la paix en Gambie. »

La passation du pouvoir entre Yahya Jammeh et Adama Barrow étant programmée ce 19 janvier, ces commerçants espèrent que les activités économiques pourront reprendre sous peu.

Les écoles publiques et privées fermées

Si l’activité économique est au ralenti, que dire du secteur éducatif ? De Banjul à Cérécunda, en passant par Bircama, des écoles françaises comme anglaises sont fermées. Pas de cours, ni l’ombre d’un élève ou d’un enseignant. Les parents d’élèves ont fui avec leurs enfants.

Une situation qui inquiète les responsables du secteur éducatif. « Cette situation est inquiétante. Parce que nous n’avons même pas atteint les 50% d’écoles pour la circonscription. C’est valable pour tout le pays. Le plus grand problème auquel nous sommes confrontés, en plus de l’insécurité, c’est surtout le manque de personnel enseignant. Car certains éducateurs ont été ciblés par Yahya Jammeh comme étant ses ennemis, parce qu’ils sont de l’opposition », explique Moussa Barrow, directeur d’une école élémentaire située à Banjul.

A en croire cet inspecteur d’éducation à Banjul qui préfère garder l’anonymat, l’arrêt des cours dans ces établissements est un sujet préoccupant et, à titre d’exemple, plus de 2 000 enfants du cycle primaire n’ont pas pour le moment accès à l’éducation. « Dans notre pays, le droit à l’éducation est bafoué par Yahya Jammeh », martèle-t-il.

Le fameux slogan « éducation pour tous » n’a donc pas droit de cité au pays de Yahya Jammeh. Les portes des écoles publiques comme privées sont hermétiquement fermées depuis quelques jours. « A ce rythme, il y a bien lieu de s’inquiéter du sort de nos futurs cadres si la crise persiste », prophétise Moussa Barrow. « Attendons de voir », répond son collègue Chérif Cissé.

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