Biennale dak’art: mine d’or et rails d’argile. (Par Amadou Lamine)

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Il faut toujours commencer par le commencement: l’État du Sénégal !

             Une fois n’est pas coutume, cet État doit être loué et remercié. Il faut apprendre à ne jamais oublier ceux qui vous ont aidé à grandir. On dit souvent « l’État n’a pas tout fait ». Si, ici, il a tout fait, car de 1990 à sa création et à la tenue de la 1ère édition de la Biennale internationale des Lettres et des Arts, à la prochaine édition attendue en mai 2018, vingt huit années se seront écoulées et l’État assume le budget du Dak’Art. Ce n’est pas peu. Moche, belle, pauvre ou riche, la Biennale a tenu, parce que l’État est là, toujours présent. Elle est née d’une volonté politique partie d’un rêve de poète et d’intellectuels et de l’affirmation d’un homme dont le nom doit être retenu: Moustapha KA, alors ministre de la Culture du Président Abdou Diouf. Les archives sont là pour l’attester. Une correspondance adressée au président de la République pour instituer cette rencontre internationale des lettres et des arts, dans son appellation première, aura un écho favorable par une réponse signée par un certain Jean Colin, puissant ministre d’État de son époque, pour nous dire que le feu vert nous était donné pour tenir la première édition. L’année 1990 accueillera les lettres, 1992 les arts, avant que la Biennale ne passe, contre notre volonté, comme 1er Secrétaire Général -cela aussi fait partie de l’histoire- en une Biennale de « l’art africain contemporain » magistralement conduite par notre successeur, le solide Rémy Sagna. Ce dernier accomplira un travail qui mérite, avec le recul, d’être salué par l’histoire. Pas un seul Secrétaire Général de la Biennale ne doit être omis dans nos félicitations. Les ministres de la Culture également, même si certains nous laissent des souvenirs bien douloureux, à vite oublier. Le Dak’Art est un tout. C’est l’œuvre d’une formidable famille depuis sa naissance. Ce qui fait sa marque, c’est qu’elle est loin d’appartenir toujours à la famille de l’art. Cela ne lui a pas toujours valu le respect dû à la fonction. Jean Loup Pivin, critique d’art, auteur d’essais sur les expressions contemporaines africaines, également fondateur de la célèbre Revue Noire en 1991, écrit ceci après le Dak’Art 2016: « Dommage en tous points de vue, cette obstination à transformer des fonctionnaires en organisateurs professionnels réactifs. » Tant pis ! La Banque mondiale n’a t-elle pas été dirigée par un médecin: Jim Yong Kim ? Celui-ci confie: « La mission de la Banque mondiale est beaucoup trop complexe pour être dirigée par une seule discipline.» La Biennale également, sans doute. Pour l’histoire, nous avions convaincu le très chic et couru « Beaux Arts Magazine » de Paris, dont le directeur de publication était Jean-Noël Beyler, de publier sous forme de numéro spécial, le catalogue de la Biennale des arts 1992, pour plus de rayonnement international, pour une première sur le continent africain.

         Le temps passe et Dak’Art ne lasse personne. Même en décomposition très avancée, elle trouvera preneurs. Sa permanence, la foi des acteurs qui l’animent, la forte demande artistique africaine, l’encrage de la place de Dakar comme foyer ardent des arts depuis Senghor, le rôle discret mais combien décisif du village des arts de Dakar et de ses inspirés artistes résidents -posez la question au roi du Maroc Mohammed VI-, la résonnance des galeristes dakarois, l’engagement admirable des critiques d’art nationaux producteurs d’articles de référence, la résistance poignante et le travail colossal des journalistes culturels laissés à eux-mêmes, avec le nom du brave et inépuisable Alassane Cissé à retenir. Autant de dynamiques plurielles qui nourrissent la pérennité du Dak’Art et la gardent sous les lumières malgré sa fragilité. Il nous faut avoir la grandeur de citer les noms de ceux qui ont donné leur vie à la Culture, dans un département ministériel mouvant, souvent poignant et surréaliste, mais toujours attachant et solidaire. Mes pensées vont à des personnes qui se reconnaitront ici et qui ont laissé de belles pages d’histoire, comme Moustapha Tambadou.

          C’est dans le sillage de ce même sommaire hommage, que nous invitons, en marge, le ministre Abdou Latif Coulibaly que nous aimons et apprécions -ceci dit sans détour- à ériger une stèle quelque part dans Dakar, dont la maquette aura la validation esthétique des artistes, stèle qui porterait les noms de tous les artistes sénégalais, au sens large, «des pionniers aux plus jeunes générations», dont le nom et la vie ont nourri notre pays, pour une mémoire et une patrie reconnaissantes. Certains sont morts dans l’anonymat, l’oubli, alors que d’autres ont connu la notoriété et les honneurs. Le merveilleux livre du professeur Omar Guèye consacré au comédien « Sanokho, le métier du rire », comme celui décisif et révélateur du défunt Amadou Guèye Ngom consacré à « La musique sénégalaise de 1950 à nos jours », nous offrent nombre de noms et de références à inscrire sur ladite stèle. Tous les ministres étrangers en charge de la Culture en visite au Sénégal, iraient y déposer une gerbe de fleurs, à défaut d’une gerbe de prières, accompagnés par leur homologue sénégalais présents et à venir. Nos artistes disparus et vivants le méritent. Pour une fois, une stèle ne portera pas les seuls morts!

         Revenant au Dak’Art, bien sûr qu’il est temps que l’État du Sénégal dont nous ne cesserons jamais de louer l’action, accepte enfin, depuis des décennies, de franchir le pas et de donner à la Biennale un statut noble et décisif qui sied à ses missions, dû t-il garder avec elle un cordon ombilical protecteur. Cela pourrait être sous la forme d’une « Fondation internationale d’utilité publique » dénommée, entre autre, « Fondation Art Mécénat International ». Les États, on le sait, sont un peu comme les continents. En effet, les continents se déplacent plus lentement que les hommes. Avec l’État, tout semble être lent, figé, interminable. Combien d’études ont été financées sur le renouveau du statut de la Biennale et d’argent dépensé, pour aboutir à des rapports laissés aux rats dans les tiroirs des ministres, des propositions constructives jamais exploitées qui donneraient au Dak’art un modèle d’existence et de fonctionnement adapté à notre temps? En un mot, il ne s’agit de rien d’autre que de créer un outil performant et gagnant, un réservoir précieux de ressources humaines qualifiées, toutes aptes à conduire Dak’Art et à lui offrir l’opportunité d’aller capturer des financements internationaux hors de portée d’un État, pour mieux assurer l’avenir toujours chancelant mais incroyablement debout d’une Biennale unique en Afrique, d’une densité artistique étonnante! Jean Loup Pivin revient pour écrire encore ceci: « …la survie de la Biennale ne viendra que dans son externalisation à une structure tiers sénégalaise avec un droit de regard sur la probité de sa gestion, soit  avec un État qui continue mais arrête de faire croire qu’il sait faire. » Il ajoute: « …le Sénégal ne capitalise pas ce formidable engouement, mais au contraire le détruit. Sa gestion étatique remet en question sa crédibilité et interdit tout autre forme de financement… ». Ce qui n’est pas totalement juste, à notre avis. Pivin, bavard comme il convient de l’être dans le combat, assène encore ces mots: « Qu’un pays, le Sénégal, s’investisse dans la propagation de sa vitalité reste à célébrer. Mais qu’il en finisse avec le bricolage organisationnel ». Ce qui est totalement vrai. Enfin, Pivin fait sa propre évaluation de l’édition Dak’art 2016, allant du choix des commissaires, aux productions et expositions, au colloque international « invraisemblable de désorganisation et sans traducteurs », aux « torpeurs du Village des arts, un village atone, des artistes assoupis qui vous accueillent comme des marchands maladroits d’une galerie de misère », « le non retour des œuvres quand elles arrivaient à être dédouanées et exposées », « un programme inaccessible », bref: « Il semblait qu’il n’y avait pas de pilote dans l’avion ». Ceci dit, à l’administration de la Biennale de répondre en commençant par publier l’évaluation du Dakar 2016 devant les critiques d’art et journalistes culturels sénégalais et étrangers, pour mieux avancer ensemble en mai 2018 et corriger les impairs.

                 Nombre d’acteurs affirment que le Dak’Art pourrait s’autofinancer si on lui accordait l’autonomie adéquate et laisser enfin l’État sénégalais souffler. Le Président Sall a dû revoir à la hausse le budget du Dak’Art, ce qui est une marque de considération à saluer. Ce n’est pas l’argent qui manque chez les bailleurs. Il fait florès. Ceux qui savent le trouver, vous le diront. La Biennale est « vendable ». Elle est crédible, créatrice d’emplois, de visibilité et elle rayonne. Le Président de la République nous invite avec presque les larmes aux yeux à nous passer de la dette en gérant mieux ce que nous possédons nous-mêmes, chez nous et entre nous pays d’Afrique. Si une volonté politique d’autonomiser la Biennale en adoptant « la bonne et juste formule » était trouvée, nous aurions aidé l’État à mieux cheminer.  Ce qui a fait jusqu’ici défaut, c’est l’engagement concret de ministres en charge de la Culture qui n’ont jamais pris solidement en main le dossier de la Biennale et le porter sur le bureau de Monsieur le président de la République. Encore que ce dossier de réforme peut être traité sans que l’on soit obligé d’aller déranger le Président qui a tant à faire. Parions que Abdou Latif Coulibaly s’y essayera. Rien ne lui en coûte. Et puis, il a du bagou, une prise de parole loin de la langue de bois et sans cette frousse incomprise et surprenante découverte chez certains ministres qui fuient le Président comme la peste, quand il s’agit d’aller défendre un dossier. Parions que le nouveau patron de la Culture, avec un courage réel d’intellectuel avisé et d’artiste assumé -on est artiste dans la manière d’être et de recevoir le monde- tranchera et convaincra qui de droit pour sortir le Dak’Art d’un très long chemin d’épines et le mettre enfin sur les rails d’une exigence de modernité et « d’émergence » véritable. L’Ambassadeur de Tombouctou nous confiait que la vérité était que nous appartenions à des États mis d’abord entre les mains de Présidents, ensuite du peuple, car le peuple en élisant souverainement son guide, lui avait conféré constitutionnellement tous les pouvoirs de décision pour décider, trancher, gouverner. Voilà pourquoi, finalement, les Présidents tranchent sur tout, décident de tout. C’est un choix libre de gouvernance, bon ou mauvais. Je ne veux pas croire, toutefois, pour notre part, que le Président Sall exige que l’on  remonte à lui pour décider de tout, trancher sur tout, sauf sur les « lignes imprenables ». Ce sont des ministres -et nous le disons avec respect, car ne pas respecter un ministre, c’est manquer de respect à celui qui l’a choisi- qui ne prennent ni ne mesurent leur responsabilité républicaine. Quand on décide de faire du bien, d’avancer, d’innover, de grandir son pays, de le servir, de servir son développement, de l’offrir en exemple aux autres, en quoi le président de la République pourrait-il s’opposer? Il faut plutôt l’aider à avancer en avançant soi-même et non en restant inanimé. Si je me trompe, je ne demande pas à être pardonné. Le dossier de la Biennale devrait pouvoir être enfin tranché.

              Des observateurs avertis regrettent que certains ministres de la Culture, plus préoccupés que d’autres de ne pas trop s’éloigner des prairies budgétaires de leur département, ont cru bon, de par le passé, de garder enfermée sous leur tutelle la Biennale et de tenir la laisse bien courte. Ce ne sera plus le cas avec le nouveau ministre de la Culture qui, convaincu que le bon schéma est de donner au Dak’Art une large autonomie d’action, ira jusqu’au bout. Par ailleurs, que penser de ceux qui proposent de surseoir à la fonction de président du Dak’Art, pour dégrossir, après le double mandat de l’actuel bien désigné président de la Biennale, comme homme d’Affaires et comme collectionneur, en espérant que sa présidence aura beaucoup apporté à la précédente édition 2016 dont l’évaluation tarde encore, en perspective de la prochaine édition de 2018. Les évaluations sont incontournables. Elles reflètent le sérieux et la rigueur d’un management! Le Comité dit d’orientation devrait ainsi pouvoir être légitimement dirigé par le Secrétaire général avec à ses côtés les membres dudit comité, le Directeur artistique et ses commissaires. Le poste de président de la Biennale, dit-on, à tort ou à raison, serait redondant. Il arriverait même que le président et le Secrétaire Général se marchent sur les pieds. D’ailleurs, à la vérité, ni l’un ni l’autre n’occupe des fonctions bien définies. Quelqu’un l’a déjà écrit, c’est un arrêté ministériel tiède, pour le dire ainsi, sans définition des missions de la fonction, qui nomme aux deux postes. Pour le reste, « à l’africaine », on prend fonction, on s’installe dans ses meubles avec ses « eaux », ses « cornes » et ses « talismans », on s’arrange, on se ménage, on se respecte, on se fait poliment de la place et Dieu est Sauf !  Pour le « Comité d’orientation » il est utile, sinon nécessaire, quand, d’abord, il sert l’échange, la cohérence d’ensemble, la critique, les choix et surtout l’innovation artistique. Quand, ensuite, ce comité est composé d’une diversité d’acteurs dûment reconnus, surtout sévèrement sélectionnés et au nombre réduit, pas péniblement pléthorique comme c’est le cas, note t-on. Ainsi, tous viennent enrichir le Secrétaire général et le Directeur artistique, par un travail de conseils avisés. Pour ce job, le Secrétaire général y suffirait, pense t-on, avec son Directeur artistique, deux têtes de locomotive et non trois avec le président! Bien sûr, pour notre part, et il faut le dire clairement ici, dans un pays si prompt au fouet, l’honorable président actuel de la Biennale auquel nous rendons au passage un bien respectueux hommage, et que l’on a entendu dire lui-même qu’il avait été presque « contraint d’occuper ce poste », ne pourrait pas être  nommément soupçonné d’une quelconque incompétence. Le débat est ailleurs, dans l’efficacité de l’organigramme. Il y a longtemps qu’il a fait ses preuves. Son honneur est sauf ! Il s’agirait plutôt, selon des opinions avisées, de supprimer un poste redondant et encombrant, c’est selon. Nous pensons d’ailleurs, pour notre part, que ce cher président, si un jour la Biennale était managée par une Fondation internationale, qu’il pourrait être désigné comme président du Conseil d’Administration. Il en a le profil, le doigté, le savoir-faire et le flair financier, la sagesse. Il s’est  déjà immergé durant deux mandats dans les problématiques infernales du Dak’Art, ce qui va rajouter à son expérience.

              La nomination, en 1990, par le ministre de la Culture Moustapha Ka de l’écrivain Cheikh Hamidou Kane à nos côtés, comme président de la Biennale internationale des lettres et des arts, répondait à une opportunité  et un devoir d’honorer un grand écrivain et de lier son nom prestigieux à une première édition consacrée aux lettres où Wolé Soyinka, Ahmadou Kourouma, Henri Lopès, Léopold Sédar Senghor étaient présents ainsi que Maurice Druon, le Secrétaire perpétuel de l’Académie française. C’était un temps de l’histoire du Sénégal. Ce temps est passé mais en nous laissant un héritage infini. Le Dak’Art doit amorcer de nouveaux tournants! A rebours, nos pensées affectueuses et reconnaissantes vont ici à tous ces présidents des éditions passées: Sylvain Sankalé, Mme Marie José Crespin, feu Victor Emmanuel Cabrita, Gérard Sénac, Mme Thérèse Diatta, Baïdy Agne.

              Pour arriver à Simon Njami deux fois Directeur artistique de Dak’Art, disons qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, mais il a par rapport à de précédents Directeurs artistiques de la Biennale, l’éclat, l’insolence oratoire et créatrice de nous secouer. Il est écrivain, commissaire d’exposition, essayiste et critique d’art. Il est « polysémique » ! C’est cela la marque apportée par ce personnage énigmatique, subtilement génial et distant. Simon Njami est presque une œuvre artistique à lui tout seul. Ce n’est pas la huitième merveille du monde, mais il sait travailler et il contrarie ! Il ne veut rien céder sur « son territoire ». C’est un Issa Samb en moins abstrait, moins cérébral, moins théâtral, un Jo Ouakam à la camerounaise, hélas longtemps égaré en France. Le Dak’Art ramène ses enfants en terre africaine! Ce personnage-là mérite notre respect, même quand il dérange par l’esprit et l’audace. Notre monde en manque. Nos arts et lettres en ont besoin comme hier dans les années 70-80, un certain artiste insaisissable et sanguin: Mbaye Diop dont Ousmane Sow Huchard saluait  « la précocité du brouillement artistique qui le rongeait », Ibrahima Sall, Nabil Haïdar, Mariama Ba, hier, pour une littérature « culbutée », recoiffée, réoxygénée comme nous le rejoue un certain Pape Samba Kane. N’est-ce-pas d’ailleurs avec Simon Njami que Dak’Art a innové avec des thématiques osées, nouvelles, décisives ? Il est venu réveiller les éternels retardataires et poussiéreux critiques classiques de l’art africain qui se suffisent du peu, ont peur du renouveau, incapables surtout de le secréter. En art, cela fait du bien de venir avec l’insulte et le coup de pied dans la fourmilière. C’était cela la posture féconde et révoltée que l’éclectique et dérangeant artiste sénégalais El Hadji Sys avait eu face aux peintres de la fameuse école de Dakar, sortie de la non moins géniale vision de Senghor. L’art doit se refuser à l’art pour renaître, évoluer, étonner, émerveiller. C’est dans l’insouciance et l’extravagance que l’art se tisse. C’est un don de saisissement et de provocation. C’est un court-circuit électrique, une foudre. On pourrait ainsi citer dans l’histoire de l’art et ses surprises légendaires, Marcel Duchamp qui avait «envoyé une pissotière à un jury américain en déclenchant une révolution esthétique.» On pense aussi dans le contexte de l’après-guerre à cette émergence d’un art américain, une sorte « d’expressionisme abstrait » avec des peintres comme Jakson Pollock et Barnett Newman dont nous sommes allés voir, il y a quelques mois, les œuvres exposées à la Fondation Vuitton, à Paris. Des peintres rupestres à nos jours, l’art a évolué et certains refusent de suivre. Le Dak’Art est devenu un boulevard de feux verts. On ne s’arrête pas. Qui s’arrête meurt. On veut des « accidents esthétiques» spectaculaires ! C’est cela l’exigence et l’éclat de l’art contemporain et cela va vite et cela est beau, créatif et prometteur! Nous sommes entrain de créer ensemble une nouvelle histoire de l’art africain avec le Dak’Art en compagnie d’un téméraire Directeur artistique. Singulier, poliment irréventieux, libre, créateur, explorateur d’espaces nouveaux, Simon Djami a apporté une nouvelle touche au Dak’Art par son imaginaire flamboyant, ne laissant jamais les mots des poètes loin des inspirations des artistes, comme « L’heure rouge », thème directeur emprunté au poète Aimé Césaire et qui portera le Dak’Art 2018 après « La cité dans le ciel bleu » de Senghor, pour le Dak’Art 2016. Quand ce sacré nègre de Simon Djami venu nous faire du bien cédera sa place, en finissant de nous « emmerder », de nous bousculer, en nous mettant face à ce que pourrait être notre propre pauvreté imaginaire artistique –mais nous n’avons pas  souvent manqué de retailler aux ciseaux sa manie d’en rajouter dans la provocation, le délire caustique- nous aurions bien fait, dans la relève, avancent des esprits libres, de choisir en 2020 ou plus tard, comme directeurs artistiques associés pour le Dak’Art, deux artistes: notre haletant, inspiré et rebelle compatriote El Hadji SY et cet autre Viyé Diba « créateur intense, râleur et jamais content » comme les mauvaises langues le décrivent. Tous deux sont  inventifs, exigeants,  détonants. Deux grands « déménageurs » qui n’ont pas toujours raison, mais deux hommes du refus, deux artistes incontournables, deux redoutables théoriciens de l’art en même temps, audacieux metteurs en scène et praticiens cérébraux d’espaces. Nous devrons également faire appel demain à des directeurs artistiques asiatiques, américains et sud-américains, afin d’ouvrir un regard toujours neuf sur le Dak’Art en l’inventant sous le saisissement d’autres cultures qui l’enrichiront en dialoguant avec l’Afrique « prodigieuse ». Le Dak’Art doit toujours être « dérangeant », en résonnance avec le temps du monde. Eh bien Monsieur le ministre Abdou Latif Coulibaly, n’êtes vous pas arrivé, par le destin,  à « l’heure rouge », « l’instant décisif » ? Aux armes alors, pour libérer le Dak’Art, le rhabiller, le bouleverser ! Le temps des modernes, c’est le temps de la libre et folle esthétique. L’art a besoin d’infini, de « coups d’État », de génocides plastiques  et de ruines habitables! Au diable l’académisme des critiques d’art ! L’imposture artistique est même devenue un nouveau  courant révolutionnaire qui nous comble par l’audace et la nouveauté des œuvres plastiques qui nous arrivent et nous perturbent, par le surgissement de supports jusqu’ici inconnus qui renversent notre vision tranquille de l’art. Il s’agit de célébrer une nouvelle avant-garde à la fois artistique et critique. Aux critiques d’art de s’adapter aux nouveaux rites en quittant les musées académiques! Aux galeristes de donner leur place aux « « voyous », aux « violeurs », aux « marginaux » d’un art qui très vite a atteint ses limites de création et d’imitation. Les embouteillages des copistes sont devenus insoutenables. Nous sommes fatigués des « photocopies ». Nous voulons de nouveaux fous. Il nous faut de nouveaux « asiles » pour l’art africain contemporain. L’avenir est dans de nouvelles autoroutes artistiques et plastiques, sans tracés et  sans péage ! Pour rester dans l’art et le réinventer, il faut être en dehors de ce qui se fait ! N’oublions pas surtout la part fondamentale que doit prendre l’enseignement de l’éducation artistique dans nos écoles, juste pour faire naître des vocations. Elle devrait être une discipline obligatoire !    

             Se faire un nom aujourd’hui dans l’univers distingué et fermé de l’art contemporain, serait, dit-on, un défi presque impossible sans la complicité à la fois des incontournables et des très douteux directeurs artistiques et commissaires internationaux qui se nourrissent et prospèrent dans les biennales et expositions mondiales, conseillent des musées de référence, fréquentent des critiques d’art reconnus et accrédités. Une faune bien particulière, bien organisée, bien introduite, et dont, hélas, on ne peut se passer souvent dans l’espace artistique international! Un artiste qui se vend aujourd’hui, dit-on avec le sourire, est celui qui se  « fabrique » à Paris, Londres Tokyo, New-York, Shangaï et maintenant Dubaï, sans avoir besoin d’être « un bon » artiste. Un « bon artiste » qui n’est pas validé par les puissants réseaux des faiseurs et fabricants d’artistes» aurait peu de chance, dit-on, d’être reconnu comme il se doit. La filière de la  bonne ou de la fausse validation existe et celle qui gagne le plus est surtout la dernière. On la connaît. Secrétaire Général et initiateur de la 1ère Biennale internationale des arts et lettres de Dakar dans les années 90, nous avons personnellement sillonné le monde, vu de nos yeux vu et entendu tout ce qui pouvait advenir d’un artiste dont on voulait ou souhaitait le succès et la reconnaissance mondiale. C’est moins évident pour un mauvais écrivain dont on voudrait vendre la production, même si certains arrivent à passer entre les mailles mais que le temps rattrape toujours. En art, le temps ne rattrape jamais les mauvais artistes déjà consacrés. Il les renforce. L’art plastique moderne dit contemporain a les mailles larges. Cet art est plus tolérant, plus ouvert, plus rusé, moins saisissable, moins clos, moins dogmatique, plus trompeur, plus maquillé, plus libre, plus sexy donc plus exposé à nombre de sensibilités hybrides, d’accords, de rejets. C’est un art moins exigeant, moins dirigé, moins codé, moins fermé, laissé à la merci d’un public divers, imprécis, pluriel, libre, imprévisible, dominant. C’est du « Aimez-moi les uns les autres, ou passez votre chemin, quelqu’un m’aimera, quoiqu’il advienne ». Qui disait qu’il est des œuvres d’art que notre regard valide et désigne comme œuvre d’art, alors qu’elles ne le sont point ? Pour dire que l’on trouve toujours preneur, laid, moche ou beau !

              Sur un autre registre, la vérité est qu’un artiste n’a pas besoin de savoir lire ou de visiter la bibliothèque de l’art du monde pour bien peindre, créer, se faire un nom. Nous  ne le croyons pas. On peut être analphabète et créer, en artiste-peintre, une nouvelle esthétique. On peut se passer de « l’alphabet » en peinture et proposer son propre alphabet et l’imposer au monde ! Senghor ne serait pas d’accord avec moi, car il tenait à l’école, à l’académisme, à l’apprentissage minimum du dessein. Le temps des manuels et des bibliothèques de l’art, le temps de l’école ne sont plus imposables aux artistes. Laissons ces époques et ces pratiques aux maîtres des amphithéâtres. La liberté est souvent la meilleure clef pour accéder au génie, à l’universel. Le temps des modernes, c’est le temps de la libre esthétique. Il est des œuvres qui sont de véritables mensonges artistiques et elles gagnent, elles éblouissent. Au diable les critiques d’art académique! L’imposture artistique est même devenue un nouveau courant révolutionnaire qui nous comble par l’audace et la nouveauté des œuvres qui nous arrivent et le surgissement de nouveaux supports qui perturbent notre vision tranquille de l’art ! Il s’agit de célébrer une nouvelle avant-garde à la fois créatrice, grand pinceau et grande gueule. Aux critiques d’art de s’adapter aux nouveaux rites en quittant leur salle de classe, leurs cahiers, leurs livres, les galeries et les musées académiques! Voilà un nouveau marqueur de l’art moderne auquel il faut faire face. Vivement que Dak’Art continue à enfanter des enfants de l’oxygène! C’est un désir d’interrogation, de renouvellement artistique et une force de briser les chaînes qui tenteraient d’emprisonner administrativement le Dak’Art, dont nous avons besoin! Le « Off » mérite notre attention. Il recèle les vrais trésors de demain.

              La Biennale a fait du Sénégal la capitale artistique et culturelle de l’Afrique et ajoutons, sans hésiter, du monde. « Ce que la politique et la diplomatie n’ont pas su faire », Dak’Art le fait. C’est incontestable. Il suffit juste de constater. Ils viennent de partout, ils sont tous là les passionnés de l’art contemporain, jusqu’aux réguliers et fidèles pilleurs et voleurs de patrimoine aux yeux bleus. Le concours de l’exposition internationale du Dak’Art étant souvent boycotté, dit-on, par orgueil ou vanité, par ceux reconnus comme étant les grands plasticiens de notre pays, nous avait conduit, comme d’autres, à proposer l’ouverture d’un « Grand Pavillon » exclusivement réservé à la peinture sénégalaise, afin de faire moins de mécontents. Notre avis était que le Dak’Art ne pouvait pas tout de même se tenir sans rendre visible et valoriser, à l’occasion, notre propre production artistique qui a fait le tour du monde. Il fallait corriger ce manquement et donner à nos artistes qui le méritent, qui travaillent et qui refusent le sur-place et la mort, la vitrine qui est la leur dans leur propre pays. L’actuelle Secrétaire Générale Marième Ba a inscrit ce pavillon du Sénégal pour l’édition 2018 à venir et c’est une belle innovation qu’elle apporte elle-même, par son écoute et son ouverture.

            Vivement, par ailleurs, la mise en fonction du musée d’art contemporain. Celui-ci devrait d’ailleurs contenir un pavillon spécial permanent ouvert sur les œuvres du patrimoine plastique sénégalais. Le président de la République a affecté le lieu: l’ancien palais de justice. Bravo et merci Monsieur le Président, mais faites encore plus avec votre décisif ministre de la Culture: avoir un musée, c’est bien, s’y installer est encore mieux. Puisse le budget 2017-2018 être rattrapé pour une inscription financière apte à l’inaugurer avant la fin 2018. Dommage que nous ne puissions pas laisser l’État tranquille et aller chercher nous-mêmes de quoi installer ce musée d’art contemporain autour d’une mobilisation nationale et internationale jamais tentée par la communauté culturelle et artistique sénégalaise et sa diaspora! Le ministre Abdou Latif Coulibaly aurait été homme à relever ce défi. Bien sûr, nombre d’acteurs culturels avaient préféré que la gare de Dakar soit retenue comme le musée d’art contemporain sénégalais. Comme patrimoine architectural précieux, elle en a le corps, la beauté et la centralité. Un autre plus grand rêve national est venu nous vaincre en ayant sûrement raison: le TER! Nous le traduisons comme le TOUT EN RÊVE  ou TOUT EN RÉALITÉ! Son emprise et son impact seront révolutionnaires. La réhabilitation de la gare de Dakar comme un inestimable patrimoine à conserver et à protéger a bien commencé par le truchement de l’Apix que nous félicitons au passage, après l’avoir montré du doigt, sans fusil, dans la panique, quand nous nous sommes réveillés un matin devant des installations inquiétantes sur son parvis. Quand on sait ce dont est capable le pouvoir de l’anarchie et de l’indiscipline dans notre pays, nous avions cru bon de sonner les cloches. Au passage, nos respects à son Directeur Général qui en avait pris quelques rides, à tort, et dont les collaborateurs fort sympathiques ont corrigé l’impair avec compétence et doigté.

              Soyons ambitieux. Redonnons à l’Afrique sa place dans l’histoire de l’art. Elle a plus donné qu’elle n’a reçu. Il reste aux autres de lui rendre un jour, enfin, ce qu’on lui a pris sans honte, depuis tant de siècles. Le Président Macron vient de rendre les armes -cela l’honore- en promettant de restituer à l’Afrique ce que la France lui a « emprunté » comme patrimoine, sans permission, pour en dire moins dans notre rage et notre très longue colère contre cet occupant tenacement fiché dans un orgueil désuet et pourri qui lui fait fuir son mea culpa devant les errements commis comme « civilisateur ». L’homme Blanc, aveugle conquérant d’hier, ne sait pas qu’en demandant pardon, en s’agenouillant même devant ses victimes, ceux-là ne pourraient pas l’empêcher de repartir avec ses genoux, en grandissant son geste. Finies pour nous les lamentations et les pleurs. Nous regardons vers l’avenir. Nous travaillons pour l’amour et la solidarité entre les peuples et les nations. Nos artistes, sans injure, décolonisent en silence notre art et ses espaces de représentations. Nous sommes assez puissants et « divins » pour reconstituer et proposer au monde un art nouveau et des musées vivants. Nos artistes le prouvent. Les musées modernes du monde, les palais royaux et comme nombre d’institutions internationales célèbrent l’art sénégalais, l’art africain tout court. Le Dak’Art n’est plus seulement une Biennale, un pays. Le Dak’Art est ce qu’un continent peut apporter à d’autres continents dans l’émerveillement et le métissage artistique mondial. Si nos artistes ne dialoguent pas avec les autres créations esthétiques du monde, ils mourront. Tant mieux alors si la Biennale dialogue désormais sans perdre l’esprit de son temps, aux confins des métissages, avec de meilleurs Picasso, de meilleurs Manet, des Gauguin plus fous encore, de meilleurs Manessier, de meilleurs Vinci. Je repensais aux deux tableaux de Picasso revendus il y a peu, à 27 millions d’euros, soit 17 milliards 721 millions de FCFA et au Vinci récemment découvert et vendu à plus de 450 millions de dollars, soit près de 250 milliards de FCFA. Comment devant le vertige de tels chiffres, ne pas replacer l’art dans sa dignité et les artistes dans leurs droits au respect, au confort, à la reconnaissance! C’est si injuste cette dignité des mendiants dont on habille nos artistes en Afrique ! Un marché de l’art africain crédible et puissamment pensé et encadré par un partenariat syndiqué des plus puissantes institutions financières et bancaires africaines avec leurs homologues du Nord, pourrait faire rêver les héritiers de Pape Ibra Tall, Ibou Diouf, Bocar Diongue, Iba Ndiaye, Souley Keïta,  Ndary Lo, l’éthiopien Zérihun Yetmgeta, le Zimbabwéen Tapfuma Gutsa, le Nigérian Muaina Oyélami, l’algérien Malek Salah, et tous les autres grands artistes de notre continent. Le Dak’Art doit avoir cette ambition et ne pas s’arrêter à rien d’autre qu’à des expositions in et off, des colloques, des remises de distinctions et des prix si faiblement dotés et vite oubliés! C’est d’ailleurs ici l’occasion de rechercher et de trouver toutes les œuvres primées depuis la Biennale des arts de 1992 à nos jours, pour les exposer dans notre prochain musée d’art contemporain avec un espace dénommé entre autre: « Regard sur les trésors nominés du Dak’Art ». Nous sommes déjà largement servi dans ce travail par un inconnu et remarquable garçon, désintéressé et émargeant au Secrétariat Général de la Biennale, du nom d’Abdou Diouf Ndiaye, qui vient d’accomplir et d’achever un travail de recherche et d’archivage admirable sur la totalité des œuvres primées par la Biennale et ce, sur sa propre initiative. Et dire qu’il s’échine comme un diable, le pauvre, à trouver quelques misérables francs pour publier ce travail considérable et unique! Puisse Madame la Secrétaire Générale -première femme nommée à cette fonction- prendre ce travail en main et le porter à son achèvement !

          Nous saluons de nouveau l’État du Sénégal qui a permis cette Biennale. Nous nous honorons de la voir vivre dans ce grand petit pays qu’est le Sénégal. Le Dak’Art reste notre seule vitrine internationale et notre plus solide rapport au monde de l’art moderne. Quelque chose de plus grand que nous veille et souffle sur les braises chaque deux ans, afin que la Biennale s’enflamme et enflamme tous les espaces et lieux artistiques internationaux. Il n’existe pas d’autre explication pour tenter de comprendre comment le Dak’Art a pu continuer à exister à nos jours ! C’est ici, à Dakar, que la terre se donne rendez-vous pour voir, admirer, juger de la créativité de l’art africain moderne contemporain. Les suites et les retombées sont immenses et dépassent notre attente, sans que nous essayions d’en consigner les statistiques, ce qui a toujours fait notre faiblesse non usurpée. Comment diable, dans notre maladive manque de rigueur et de vision, arrivons-nous d’ailleurs, avec deux sous, une organisation boiteuse et plâtrée, à toujours étonner le monde, à rassembler, à créer le beau?

         Puisse l’Afrique, par le Dak’Art, continuer à demeurer ce « lieu de passage et d’affirmation, d’incarnation et de transcription de la primauté de l’esprit ». Bonne chance au grand combattant, au ministre Abdou Latif Coulibaly ! Bienvenue dans l’enfer climatisé à la Secrétaire Générale Marième Ba pour son premier baptême de couleurs, de lignes, de formes, en mai 2018, devant tant de visiteurs venus de tous les horizons vivre le Dak’Art! Elle gagnera son pari notre si chère sœur !

      Quoiqu’il arrive, ce sera encore une belle fête, même avec une claudicante organisation C’est notre secret! Toutefois, la réussite existe toujours. Il suffit d’en payer le prix !

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