Charlie Hebdo: Boubacar Boris Diop se prononce …

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Boubacar Boris Diop, essayiste, dramaturge, journaliste et enfin linguiste sénégalais a donné une interview au quotidien le Témoin sur l’affaire Charlie Hebdo qui a secoué tout récemment la France, mais aussi le monde entier.

Je reprends l’interview dans ce blog avec l’aimable concours de Alassane Guèye, le journaliste ayant fait l’interview.

L’attentat perpétré dans les locaux du journal Charlie Hebdo a soulevé beaucoup  de passions au Sénégal.  Avec le regard lucide qu’on lui connait, l’écrivain et journaliste  Boubacar Boris Diop, qui fut lauréat du Grand prix du président de la République pour les Lettres, dissèque  avec objectivité  ces douloureux évènements  qui l’ont trouvé en France. Entretien…

Le Témoin : L’actualité c’est le carnage dans les locaux de Charlie Hebdo. Comment cela a-t-il été vécu à Paris ou vous vous trouviez ?

Boubacar Boris Diop : Il n’y a pas eu de panique, on a nettement perçu de la stupéfaction et surtout un certain embarras, les gens étaient gênés de voir une telle chose se produire en France. Dans le métro, les Maghrébins se sentaient déjà regardés de travers et certains avaient du mal à cacher leur malaise. C’était plutôt compliqué, tout ça…

Etes-vous Charlie ?

Ce slogan ne me semble avoir du sens qu’en France et en particulier dans la famille de la presse. Imaginez qu’ici au Sénégal un commando de fanatiques exécute le même jour une douzaine de nos grosses célébrités médiatiques : l’émotion serait immense et personne ne perdrait du temps à finasser. « Je suis Charlie », ç’a été là-bas une façon d’exprimer une certaine solidarité, voire de resserrer les rangs dans un pays se croyant au bord de l’abîme. Malheureusement, on a aussitôt prétendu étendre le concept au monde entier et il en a résulté toutes sortes de polémiques. Si vous voulez, dire « Je ne suis pas Charlie » c’est tomber dans ce piège et je préfère l’éviter.

Les présumés terroristes ont tous été tués. N’est – ce pas troublant ?

Je comprends votre scepticisme. Coulibaly et les frères Kouachi avaient décidé de mourir en martyrs mais on peut aussi se demander si, même sans cela, ils n’auraient pas été abattus par la police. Un procès aurait été l’occasion de remuer le couteau dans la plaie pendant de longs mois, l’Etat français n’en voulait sûrement pas.

N’existe-t-il pas une certaine duplicité occidentale pour expliquer le terrorisme  selon que l’on soit arabe ou juif. Ce d’autant plus que ceux qui piétinent les valeurs juives sont constamment rappelés à l’ordre voire réprimés.

Il ne faut surtout pas céder à la tentation du manichéisme. Dans les circonstances actuelles, elle ne peut qu’alimenter la concurrence des mémoires, recette idéale pour tous les désastres à venir. C’est bon que l’antisémitisme soit systématiquement réprimé partout et s’il en est ainsi c’est parce que la communauté juive a su s’organiser avec une forte détermination après la Shoah. Les autres ne se donnent pas cette peine. Faute de moyens ou de volonté ? Il y a un peu des deux, peut-être. Lorsqu’en janvier 2014, sur Canal+, Nicolas Bedos se moque des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en des termes d’une rare vulgarité, presque aucune voix ne s’est élevée sur le continent africain. Cela dit, Nathanayou en tête de la marche du 11 janvier, c’est un scandale. Après ce qu’on sait des crimes d’Israël dans la bande de Gaza, là, oui, il y a de quoi s’indigner.

La liberté d’expression a été évoquée pour justifier le soutien à Charlie Hebdo. Mais au nom de cette liberté d’expression doit–on s’autoriser à insulter la foi de milliard de personnes ?

Ces caricatures, tout le monde en parlait mais très peu les avaient vues. Je les ai découvertes, comme des centaines de millions de personnes, sur les réseaux  sociaux. Eh bien, je les trouve tout simplement abominables, tout comme celles contre Jésus-Christ, postées dans la foulée. Mais je tiens à être clair : on ne doit tuer personne pour des dessins, aussi offensants et irresponsables soient-ils. Cette effroyable tragédie doit nous alerter. On ne peut pas prendre le risque de mettre un pays société à feu et à sang sous prétexte que l’on a le droit de tout dire. Les mêmes qui ne supportent pas que les musulmanes de France se voilent le visage leur demandent d’accepter sans broncher les insultes les plus grossières contre leur foi. C’est complètement fou.

Mais que faites-vous du droit de rire de tout ?

On peut rire de tout mais pas de n’importe quelle manière. Un journal comme Le canard enchaine, très irrévérencieux, a toujours su prendre le recul nécessaire pour manier une certaine dérision sans tomber dans le piège de la haine. Je signale au passage que cette idée  que tout est permis est une exception française, même dans le monde occidental. La plupart des grands medias américains ou européens ont choisi de ne pas reprendre les caricatures de Charlie Hebdo. On en est aujourd’hui dans la presse française aux bravades, a un « même-pas-peur » puéril mais je suis sûr que ces gens vont très vite se calmer !

En guise de solidarité certains chefs d’Etat Africains  se sont « déportés » à Paris pour une marche de solidarité.  N’est – ce pas choquant dès lors que tout près de chez nous, Boko Haram massacre des milliers de personnes sans que cette « solidarité parisienne » ne se manifeste au Nigéria ou au Cameroun.

C’est une critique que je comprends mais ici aussi j’aimerais mettre en garde contre un certain simplisme. On ne peut pas reprocher aux chefs d’Etat africains de n’être pas allés à une rencontre sur Boko Haram que leur homologue nigérian, plus préoccupé par sa réélection, n’a jamais cru devoir organiser…

Vous approuvez donc… ?

Non, justement. Je n’approuve pas du tout mais pour des raisons différentes. Ces chefs d’Etat partis défiler à Paris ont plus de respect pour Hollande que pour leurs compatriotes.

Ne se pose t –il pas un problème de respectabilité voire de souveraineté  vis-à-vis à de nos Etats qui se présentent toujours comme des enfants à qui on doit indiquer le bon chemin ?

C’est bien cela le fond du problème. La question de la souveraineté de nos pays n’a jamais été aussi centrale, elle est aujourd’hui la clef de tout mais elle se pose avec une acuité toute particulière dans l’espace francophone. Tous les six présidents africains présents dimanche dernier à Paris viennent de là… Ce n’est pas bien d’aller défiler place de la République à Paris en donnant l’impression d’être un président de seconde zone. Ca se voit hélas très nettement sur les images, qui sont cruelles.

Pensez–vous que le Président Sall devait faire le déplacement  à Paris dès lors qu’il avait déjà  signé le registre de condoléance à l’Ambassade de France à Dakar ? 

A mon avis, il n’était pas dans l’intérêt du pays qu’il fasse ce déplacement. La question religieuse est très sensible au Sénégal et cette affaire peut revenir au premier plan à tout moment et peut-être même lui empoisonner la vie. Le voyage de Benghazi a fini par coûter très cher à Wade, qui ne s’y attendait sans doute pas. En fait, à la faveur de divers événements, un sentiment anti -occidental diffus mais très vif est de plus en plus perceptible dans les pays du Sud et il est imprudent de ne pas en tenir compte.

Et la marche elle-même, comment la jugez-vous ?

Je me dis parfois que nous surestimons peut-être les grands de ce monde en leur prêtant une maîtrise absolue de leurs émotions. Le sommet de Paris, improvisé en quelques heures, s’est voulu une démonstration de force, il a surtout été révélateur du sentiment de fragilité d’un Occident essayant de se persuader, sans trop y croire, qu’il reste la force motrice de l’univers.

Qu’en est-il de la comparaison souvent faite ces jours-ci avec le 11 septembre… ?

Elle est surprenante mais justifiée au sens où plus rien ne sera comme avant en France. Il reste que les attentats du World Trade Center ont été perpétrés par des étrangers. Ce n’est pas le cas des terroristes qui ont frappé Charlie Hebdo. Ce sont des jeunes des banlieues.

On les dit paumés, largués par la société française  etc… Cela suffit-il à expliquer la vulnérabilité de la France ?

La question identitaire est certainement cruciale en France mais il y a un aspect essentiel que l’on a tendance à occulter et c’est la politique étrangère de l’Etat français. Les jeunes radicaux des banlieues vont se former à Raqa, Benghazi et Baghdad. Mais qui donc a créé  ces véritables  incubateurs du terrorisme international ? Paris, après s’être opposé à la guerre de Bush en Iraq, a en revanche été en pointe dans les agressions contre la Libye et la Syrie puis au Mali. Ce désir de continuer à exister sur la scène internationale est légitime, même s’il semble devenir une véritable obsession. La France en a-t-elle encore les moyens ? Rien n’est moins sûr.

Doit-on redouter une fracture définitive à l’intérieur de la société française ?

Je l’ai dit il y a un instant, plus rien ne sera pareil en France. On y a parlé il y a quelques années d’une « lepenisation des esprits » et à mon avis elle va s’aggraver à partir de l’attentat contre Charlie Hebdo. Certains rêvent tout haut de lois d’exception, des journaux auparavant soucieux de mesure et de respectabilité se montrent de plus en plus haineux. Les juges ont d’ailleurs commencé à frapper très fort et tout cela est très inquiétant.

Quel est selon vous le principal enseignement à une échelle plus globale ?

Quitte à me répéter je dirai que le plus grand danger à l’heure actuelle c’est le manichéisme, qui tend  à nous rendre le monde totalement illisible. Des situations extrêmement complexes sont ramenées à une simple opposition entre les bons et les méchants, entre les doux humanistes, défenseurs des droits humains et les barbares. Cela dit, on peut parier sur un sursaut de lucidité des femmes et des hommes de bonne volonté en Occident. Peut-on se permettre de leur rappeler le mot de Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » ? A notre époque, il est insensé de se montrer à ce point incapable de comprendre les sentiments profonds et la vision du monde des autres tout en se glorifiant en toutes occasions de son ouverture d’esprit et de son respect des différences ! Cette inaptitude à se remettre en question procède d’un autisme suicidaire.

Inters

« Nathanayou en tête de la marche du 11 janvier, c’est un scandale. Après ce qu’on sait des crimes d’Israël dans la bande de Gaza, là, oui, il y a de quoi s’indigner. »

« Les mêmes qui ne supportent pas que les musulmanes de France se voilent le visage leur demandent d’accepter sans broncher les insultes les plus grossières contre leur foi. C’est complètement fou. »

 

cequejaidanslatete.wordpress.com/

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