Cheikh Tidiane Gadio : «J’ai rendu hommage au président Wade, pour ce qu’il a fait pour notre pays »

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Présent à Abidjan dans le cadre d’un séminaire de la Fondation Friedrich Naumann et de la Deutsche Welle sur le rôle des médias dans les pays africains en situation post-conflit, l’ex-ministre des Affaires Étrangères du Sénégal se prononce sur l’actualité de la réconciliation nationale mais aussi de ses relations avec le pouvoir en place dans son pays.

M.le Ministre d’Etat, vous avez été médiateur de la crise ivoirienne en 2002, aujourd’hui vous vous retrouvez à Abidjan en terre ivoirienne quel est votre regard sur ce pays qui a connu de durs moments ?
Cheick Tidiane Gadio : C’est vrai que la Côte d’Ivoire est un pays qui a connu beaucoup d’épreuve mais comme tous les grands pays, je sais que la Côte d’Ivoire va se relever , ce n’est pas honteux que d’avoir eu une histoire très difficile d’un coup d’état, d’une rébellion suivie d’une crise postélectorale aussi grave que ce que qu’on a vu ici en Côte d’Ivoire et les milliers d’ivoiriens qui ont perdu la vie. Ce pays demeure un pays de concorde, de fraternité et de réconciliation. C’est pour dire comme je l’ai toujours dit, la Côte d’Ivoire est un pays pilier, un pays fondamental de l’Afrique de l’ouest. On ne peut rien de grand et de grande chose en Afrique de l’ouest sans la Côte d’ivoire. Il faut que tout le monde en soit convaincu. Si la Côte d’Ivoire est souffrante, toute l’Afrique de l’ouest est souffrante quelque part. Je crois qu’il est important que nos frères et soeurs de la Côte d’Ivoire réfléchissent sur leurs responsabilités et leur leadership dans cette sous-région et dans ce continent. C’est pour ça que je dis pour faire la réconciliation, il faut des partenaires prêts à la réconciliation. Elle ne peut être ni unilatérale ni sur le dos ou la responsabilité de la presse ou des médias. C’est d’abord les leaders politiques, ceux qui se sont le plus affrontés, eux qui sont le plus préparés, il faut qu’ils prennent leur courage à deux mains et qu’ils disent qu’il est temps que la Côte d’Ivoire fasse un saut vers l’avenir et non un saut vers le passé. C’est en ce sens, je pense que le Président Ouattara travaille, personnellement je lui fais confiance et j’espère qu’il a un grand coeur et qu’il aime son pays et qu’il aime ce continent. Et que si on lui donne cette chance là et tout l’entourage et les leaders politiques, tous regardent dans la même direction, on peut obtenir des résultats extraordinaires. Je dirai que Mandela avec De Klerk et nous avons eu la chance d’avoir un Desmond Tutu pour faire la paix et la réconciliation nationale en Afrique du Sud. Il faut bien qu’on trouve un Mandela en Côte d’ivoire, un De Klerk en Côte d’ivoire, un Desmond Tutu en Côte d’ivoire qui puissent pousser ensemble, ramer dans la même direction pour sauver ce grand pays africain. C’est devenu une urgence, l’état de convalescence peut conduire a une rechute plus dramatique, toute chose que nous ne souhaitons pas du tout
.
En 2002, vous étiez au plus fort de la crise, envoyé sur le théâtre des opérations à Bouaké pour tenter d’obtenir un cessez- le- feu. Aujourd’hui avec le temps qui s’est écoulé, lorsque vous voyez Guillaume Soro, qu’est-ce que vous lui dites ?
Entre temps, on a développé des relations très fraternelles d’abord. D’abord à l’époque, il m’avait fait confiance, ce qui n’était pas évident. On a communiqué dans des conditions dont aujourd’hui quand on se souvient, on rigole un peu. Je lui parlais, je croyais qu’il était à Bouaké alors qu’il était là à mes côtés à Abidjan, caché bien entendu, ensuite on a eu des discussions très franches parfois très dures et souvent quand j’allais à Bouaké, je me rendais compte qu’il avait déjà donné son avis à ses camarades qui m’attendaient pour discuter. il a eu une parfaite coordination de tout avec bien entendu l’appui du président Wade qui lui aussi a apporté toute sa contribution. Mais c’est surtout l’entêtement qui a fait, je disais à mes interlocuteurs de Bouaké que l’échec n’était pas une option, que la Côte d’Ivoire méritait mieux, que chacun accepte un dépassement et que quelles que soient les rancoeurs, et comme ils disaient nous sommes attachés à notre père Houphouët, je dis c’est pas comme ça qu’on s’attache à son père Houphouët en acceptant ou de répondre à une provocation ou de défendre des idées par des armes. Si Houphouët était un homme de paix, on ne défend pas des idées par des armes, il faut bien que des concessions et des compromis soient faits de part et d’autre. Vous pouvez avoir été des victimes d’injustice, de discrimination de marginalisation, mais la solution va en définitive être politique. Si vous détruisez votre pays, vous allez prendre plusieurs générations pour le reconstruire.

Lorsque vous avez vu la crise postélectorale ivoirienne, qu’est-ce que vous vous êtes dit en ce moment ?
Je vais faire une révélation que beaucoup ne savent pas ; je n’étais plus ministre des Affaires Étrangères du Sénégal mais je ne m’étais pas dessaisi du dossier de la Côte d’Ivoire par amitié pour ce pays et pour ce peuple. Je me suis permis d’aller en Afrique australe pour rencontrer le Président Jacob Zuma à trois reprises, de faire le tour des leaders là-bas pour leur dire « aidez la Côte d’Ivoire, rendez-vous à Abidjan, apportez votre contribution, soutenez la CEDEAO dans la recherche de solution ». Parfois c’est plus difficile pour des voisins d’aider que des voisins un peu plus éloignés et je pense avoir apporté ma contribution. Je suis venu ici une fois, j’ai rencontré le président Gbagbo pendant deux heures, j’ai parlé à Guillaume Soro pour le compte du président Ouattara. J’ai fait donc le Golf, j’ai fait le palais, j’ai fait des allers et retours. Il y a une grosse manifestation de Blé Goudé qui était prévue un mercredi et j’ai demandé que cette manifestation soit supprimée et reportée pour donner une chance à la diplomatie et le lendemain, Blé Goudé a fait une conférence pour dire nous avons décidé de donner une chance à la diplomatie. Et ensuite le président Jacob Zuma est venu. Donc dans ma petite dimension et mes limites, j’ai pesé encore une fois pour éviter l’affrontement et c’est une tragédie que d’avoir eu trois mille mort, mais la Côte d’Ivoire pourrait avoir eu cinquante mille, cent mille morts, ce n’est pas pour minimiser les trois mille morts ; trois, trente, trois cents morts, c’est trop mais le problème c’est quelle leçon on en tire encore une fois? Comment faire pour ne plus regarder vers le passé et construire ensemble l’avenir ? Et ça se fera dans le dépassement ; encore une fois le pays possède d’immenses ressources humaines, morales, des valeurs ancestrales. Si on puise dans tout ça, on peut faire le bon vers l’avenir.
Pour finir, vous êtes là dans le cadre d’un séminaire de formation sur le rôle des médias dans un pays en situation post-conflit. Pensez-vous que des leçons ont été tirées de cette grave crise que la Côte d’Ivoire a connue ?
Non, je ne crois pas. Je crois que beaucoup que beaucoup d’acteurs n’ont pas désarmé, n’ont pas baissé les armes, n’ont pas déposé les armes ; quand je dis ça, je parle de dépôt symbolique des armes. Quand quelqu’un se parle à lui-même, se met dans un coin se pose des questions et se dit que les rancoeurs du passé appartiennent au passé, l’amertume et tout, je mets de côté, maintenant, je veux que mon pays aille de l’avant, c’est une contribution à la paix. Je veux que mon pays avec ses valeurs les plus fondamentales qui sont des valeurs de paix, de bon voisinage, d’entente cordiale de toutes les communautés, de toutes les religions et je veux une Côte d’Ivoire pas ethnique, pas régionale mais une Côte d’Ivoire comme, honnêtement quand au Sénégal quelqu’un demande le nom de l’autre et qu’il dit je m’appelle Amadou Fall, vous ne lui dites pas ah Fall, donc tu es Wolof, tu es de quelle région ? On ne raisonne pas comme ça. Mais il m’arrive souvent en Côte d’Ivoire, je veux allez voir mon ami. Comment il s’appelle ? Il s’appelle Patrice Tagro par exemple ; on me dit lui, il est bété. Ce n’est pas important. Il faut qu’on arrive à régler ce genre de problème. Senghor nous y a beaucoup aidé, le Sénégal ne réfléchit plus je crois en ethnie ou en région, en tout cas moi je ne le fais pas, je crois qu’un grand qu’un grand nombre ne le fait pas. Donc les médias ne peuvent pas être blâmés pour tout. Les médias jouent parfois un rôle négatif, c’est évident mais ce n’est pas les médias qui produisent, qui manufacturent, qui imposent la réconciliation nationale. Ce sont les leaders politiques qui prennent leurs responsabilités et les médias les y accompagnent et vont dans la même direction et dans cette synergie entre médias, société civile, partis politiques, dignitaires religieux, il y a un mouvement national un peu comme Mandela l’a promu en Afrique du Sud, c’est comme ça que je vois la réconciliation.

Au Sénégal, comment vous voyez la gouvernance Macky Sall ? On a vu des manifestations, aujourd’hui avec du recul, comment ça va au Sénégal ?
Macky Sall est un frère, c’est un ami. On a travaillé ensemble. Je n’ai jamais pensé que cela allait être facile, je sais que c’est difficile. Mon seul problème, c’est que je leur lance un appel. Je crois qu’il a commencé à répondre à cet appel. Depuis le mois de juillet, j’ai dit que le problème était tel au plan national qu’international qu’il me semblait difficile qu’un seul homme se base sur sa seule vision pour régler les problèmes du Sénégal. Ce n’est pas possible. On a besoin de sursaut et de rassemblement, de compétences, des énergies, de ressources pour travailler ensemble sans aucun sectarisme, sans aucune exclusion. Et je lui lance un appel ainsi qu’à toute la classe politique pour que toutes les compétences nationales se regroupent autour de lui, pour qu’on relève le défi. Il a commencé à le faire donc je pense qu’on aille de l’avant.

Vous avez évoqué avec lui la question du fils Wade?
Non, jamais. Voilà un sujet que je ne touche pas.

Un sujet tabou pour vous ou c’est la tête de Karim qui ne vous passe pas ?
Non, je ne touche pas. Pour moi, ce n’est pas ça qui est important. Ce qui est important, il y a un projet de lutte contre la corruption, de bonne gouvernance et tout ça. J’ai là aussi donné mon avis. Depuis longtemps, J’ai dit aux sénégalais que je l’aurai mené différemment. Je n’aurais pas l’impression que mon programme se réalise. Il y a des urgences qui ont besoin d’action, l’électricité, l’eau, l’éducation, la santé, à l’agriculture ; ce combat pour la bonne gouvernance est un combat important. Donc j’essaie d’équilibrer tous ces combats pour qu’il n’y ait pas de confusion. Mais quand vous me donnez le nom de quelqu’un, ce qui me gêne c’est que je ne vois pas ça à titre personnel, ça n’a rien de personnel. Je ne me prononce jamais sur le nom de ces personnes-là. J’ai rendu hommage au président Wade, pour ce qu’il a fait pour notre pays, j’ai regretté qu’il ait choisi cette sortie-là, je dis qu’il avait quand même contribué à apporter une vision pour l’Afrique et le Sénégal. Et designer les angles de développement de l’agriculture, les infrastructures, la santé, l’éducation, il a bien raison. Mais malheureusement politiquement sa gouvernance s’est mal terminée mais je ne pense pas qu’un homme soit un tout positif ou tout négatif. Je pense qu’il a fait du bien comme il a fait du tort comme tous les êtres humains mais ce qu’on doit retenir de lui c’est qu’il a essayé de faire pour son pays et comprendre que c’est un être humain avec ses faiblesses et ses erreurs. Mais je raisonne plus institution que personne.

Cheick Tidiane Gadio se voit-il comme une alternative crédible pour un avenir du Sénégal ?

Certainement, Moi, j’y crois.

Réalisée par Adam’s Régis Souaga,

SOURCE LEBANCO

2 Commentaires

  1. Nous, nous avons dépassé la phase d’hommage à Wade pour avoir relevé le niveau du Sénégal dans tous les domaines. Lui rendre hommage n’est pas une qualité de celui qui rend hommage. Ce qu’il a réalisé étant aussi flagrant qu’un nez sur un visage. Voilà pour Wade.
    Maintenant, pour le Sénégal. Le seul combat qui vaille c’est le combat contre le négationnisme lancé par le pouvoir Arc en Ciel. Parce que le travail de négationnisme cache un reniement du droit à l’indépendance du Sénégal. Parce que Wade a essayé et que cela risque d’ouvrir des yeux, il faut y mettre rapidement fin et de la plus féroce des manières. Voilà ce que le Sénégal est entrain de vivre présentement. Les commanditaires montrent leur museau, après s’être longtemps cachés. Allez voir du côté du Port. Et les exécutants ne sont personnes d’autres que nos légionnaires.

  2. C’est ca waaaye Gadio t’es tres decevant quand meme tu fais parti de ceux la qui doivent demander pardon aux senegalais pour ces mensonges portes meme a l’international sur la gouvernance Wade.Comme SOUL KER DOUKO TERE FEGNE,plutot de vouloir arrondir les angles ce serait plus louable de faire son mea culpa.On l’a entendu en pleine campagne electorale se victimiser lui aussi des ambitions de Wade fils au son du JOG JOTNA plutot que de nous proposer un projet de societe credible.Ses agissements pour faire Bloquer le cheque du MCA au nom de la soit disante dictature de Wade,la facon dont il a voulu s’accaparer de ce credit qui reviens au peuple senegalais a Washington a la signature finale du document etc Tu as ete demasque traffiquant de personnalite c’est pourquoi Macky t’a vite snobe.
    qu’en est il du fameux slogan vide LIBERER LES ENERGIES?
    Voici tout un groupe de jeunes senegalais que Wade a monte de toute piece et impose aux senegal.Tout ce qu’ils ont trouve de normal c’est de lui cracher dessus pour se positionner dans le choix des maitres recruteurs de legionnaires.

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