[Chronique] Garder la foi en terre étrangère. Par Lamine Niang

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Elle est arrivée au travail avec la même passion et la même énergie qu’elle enfourche habituellement chaque matin. Elle vérifie sa boite électronique, lit ses messages et consulte son agenda. Une rencontre avec son patron et une autre avec la nouvelle stagiaire sont au programme de la journée. Sinon, c’est la routine quotidienne : dossiers à traiter, commandes à placer et quelques lettres à rédiger. Seynabou est secrétaire de direction.

À midi, c’est la pause. L’heure d’aller manger. Les bureaux se ferment et les bruits des pas se font de plus en plus entendre dans les corridors. L’idée de bien remplir le petit creux dans les ventres et de profiter d’une  heure de détente met tout le monde de bonne humeur.

On cogne à la porte du bureau de Seynabou. C’est Justine. Une collègue. Celle avec laquelle elle s’entend le plus depuis son arrivée dans cette entreprise il y a de cela trois mois. Les deux filles partent manger ensemble tous les jours.

– Je ne mangerai pas aujourd’hui. Je fais le ramadan, dit Seynabou.

La grande surprise qui se lisait sur le visage de Justine était perceptible par son  front plissé,  ses sourcils froncés et le petit cercle que formait sa bouche entrouverte. Elle paraissait même défaillir un peu.

–  Arrête! Es-tu sérieuse? Comment peux-tu rester toute la journée sans manger ni boire ?  Tu ne vois pas la chaleur qu’il fait dehors? Tu vas te déshydrater. Tu peux même tomber malade.  Ça n’a pas de sens, ton affaire.

– Pour moi, cela a une grande signification. C’est la foi et le respect d’une recommandation divine qui  ont guidé  mon choix de m’abstenir de manger de l’aube jusqu’au coucher du soleil pendant un mois.

– Et tu vas vraiment faire ça pendant un mois?

La désolation se lisait dans sa  voix.

– Oui, et je suis heureuse de le faire.  Je trouve que cela fait du bien au corps. On se sent d’aplomb après. Ceux qui nous observent de l’extérieur ne voient que cette sorte de souffrance que l’on inflige au corps et pourtant le jeûne va au-delà de cela. Je cherche, par le biais de ce mois béni, à devenir quelqu’un de meilleur. Au-delà de la pratique mécanique, il répond à un besoin spirituel. Tu sais, la religion musulmane, elle n’est pas seulement une batterie d’interdictions et d’exigences. Sa finalité ultime est la propagation de l’Amour sur terre avec des êtres humains qui, imprégnés des valeurs qu’elles véhiculent,  s’aimeront les uns les autres. On nous apprend dans le Livre saint que Dieu est miséricordieux et qu’il propage sa clémence sur toute l’humanité. On nous dit aussi que nous sommes ses représentants sur Terre, ce qui veut  dire qu’il y a une part de divinité en chacun de nous.  Alors,  je ne pourrai pas adorer le Tout-puissant tout en détestant mon semblable. Autrement dit, je ne peux croire en Dieu et te détester, toi, même si nous ne partageons pas la même religion et même si nous voyons les choses différemment.

– C’est intéressant ce que tu dis, mais moi, je ne crois en aucune religion. Elles sont toutes pareilles. Tu dois aussi surement savoir que les Québécois ont tourné le dos à la religion et à toute forme de domination cléricale  depuis la Révolution tranquille des années 60 et après les pénibles années de la Grande Noirceur.

– Je respecte ton choix de ne pas croire. Seul Dieu est juge. Mais n’oublie pas que je suis immigrante et que j’ai été façonnée depuis ma naissance par une culture, dont la religion musulmane  en est une composante essentielle. Loin de mes proches parents, de mon pays d’origine, de ma culture première et de tout ce qui a participé à la fabrication  de mon identité de la naissance jusqu’à l’âge adulte, je suis une feuille si fragile accrochée dans un arbre aux racines profondes. Je vis conjointement le passé et le présent, sans bien connaitre  les surprises du futur. Je suis écartelé entre l’ici et l’ailleurs. Ma foi religieuse est avant tout un besoin pour survivre. C’est ce qui me retient en partie en vie dans ce pays. Tel un accoudoir pour ne pas m’écrouler, ma croyance en Dieu me permet de tenir à la vie.

– Bon, il me semble qu’on ne se comprendra pas. Je vais manger avant la fin de ma pause.

Seynabou se retrouve seule dans son bureau, un peu déçue par la teneur de la discussion qu’elle venait d’avoir avec sa collègue. Un débat  sur  l’identité ou la culture des gens risque souvent  sinon de déraper, au moins de soulever  de vives passions.  Toutefois, au lieu de s’épancher dans une mélancolie dans ce pays étranger où on la pousse à justifier ses croyances, elle se rappelle des propos du Seigneur à l’adresse de son prophète bien-aimé : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi  [ô Mouhammad] de contraindre les gens à devenir croyants? Il n’appartient nullement à une âme de croire si ce n’est avec la permission d’Allah. Et il voue au châtiment ceux qui ne raisonnent pas » (Verset 99-100,  Sourate 11).

Ce souvenir  lui met  le baume au cœur et elle retrouve toute sa sérénité.

Lamine Niang

[email protected]

mosqueemontreal

 

 

4 Commentaires

  1. Qu’ALLAH SWT raffiermisse notre foi et nous guide sur la voie droite . Bel example d’une bonne education de base . Qu’ALLAH SWT comble cette dame , ses parents et celui qui nous conte cette belle histoire , de graces et de bienfaits …. AMIIINNN

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