[Chronique] Ils se métamorphosent en laudateurs du prince, voire de la femme du prince. Par Lamine Niang

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Dans la lutte contre les dérives du pouvoir de l’ancien président Abdoulaye Wade, des figures patriotiques de la société civile s’étaient démarquées à côté de l’opposition politique de l’époque. On peut citer, entre autres personnes : Abdou Latif Coulibaly, Penda Mbow, Souleymane Jules Diop, Amsatou Sow Sidibé, Alioune Tine et Jacques Habib Sy. Elles  s’étaient appropriées, pour ainsi dire,  le combat du peuple. Leur engagement citoyen ne faisait l’ombre d’aucun doute aux yeux de la population. Par leurs écrits et leurs interventions périodiques sur le débat public, ils participaient activement à l’éveil des consciences et s’étaient forgé un capital de sympathie indéniable auprès de  toutes les différentes couches de la société. Leur engagement était d’autant plus bénéfique qu’il s’adossait sur un réel travail de l’esprit à travers une production continue d’idées.

L’estime que  leur vouait une bonne partie des Sénégalais résidait essentiellement dans les multiples sacrifices qu’ils se disaient être prêts à surmonter  pour la libération du peuple et leur supposé désintérêt des délices du pouvoir. Bref, ils incarnaient ce que nous aimons appeler des intellectuels. Car comme l’affirmait Blanchet : «  L’intellectuel est d’autant plus proche de l’action en général et du pouvoir qu’il n’exerce pas de pouvoir politique. Mais il ne s’en désintéresse pas. En retrait du politique, il ne s’en retire pas, il n’y prend point sa retraite, mais il essaye de maintenir cet espace de retrait et cet effet de retirement pour profiter de cette proximité qui éloigne. »  Tout le contraire alors d’un  regroupement politique dont le combat final de ses membres  demeure la conquête ou la conservation du  pouvoir. Une ambition « pouvoiriste » clairement affichée dès le départ et connue de tous.

Si la liberté individuelle des uns et des autres autorise à décider des choix et des orientations que chacun se fait de sa vie, n’y a-t-il pas une forme d’incohérence, voire une trahison d’user de la confiance des masses en arborant fièrement les habits de l’intellectuel engagé  pour ensuite finir dans les lambris du pouvoir et participer au partage du fromage? La vocation d’une élite intellectuelle d’un pays doit-elle se limiter à crier plus fort que tout le monde avec le dessein inavoué de se taire lorsqu’elle  aura obtenu sa part  du butin?

Oui, la politique est noble, on peut y trouver des idéaux et de  la grandeur. C’est une tâche  ingrate qui amène souvent  l’individu à s’oublier pour se consacrer exclusivement à la défense des intérêts de ses semblables et à l’amélioration de leur condition de vie. Elle permet, malgré les nombreux coups bas et les attaques de toutes sortes, de   transcender la «brièveté de l’existence » et d’atteindre la « grande immortalité » dont parle Milan Kundera. Car plutôt que de rester dans les gradins en simple spectateur et se suffire à chialer, le politicien décide de descendre sur le terrain  et  de poser  sa  brique dans une construction sans fin, qui est celle de la Cité. C’est par elle que d’illustres Sénégalais comme Valdiodio Ndiaye, Mamadou Dia et Léopold Senghor ont marqué de leur empreinte indélébile  l’histoire de leurs contemporains. Oui, elle  peut certes attirer dans la plupart des cas des simples d’esprits, mus simplement par l’appât du gain facile et la recherche des privilèges, mais elle peut aussi être  le terreau des meilleurs de chaque génération.  Mais faire de la politique,  au sens partisan et clanique,  doit-elle être la finalité de l’engagement de chaque intellectuel? Se pourrait-il qu’un intellectuel se jure éternellement une infidélité à toutes les formations politiques en préférant garder  intacte son indépendance d’esprit?

L’analyse de la situation sociopolitique et l’observation du comportement des intellectuels nous montrent  que l’accointance avec le régime politique au pouvoir enlève à l’intellectuel toute son autonomie, sa responsabilité et son engagement. S’il ne devient pas complètement aphone, il se métamorphose en laudateur  du prince, voire de la femme du prince et tente par toutes les subterfuges de défendre l’indéfendable, se risquant à justifier les décisions les plus impopulaires du gouvernement dans lequel il siège. Ses efforts et ses idées ne servent dorénavant qu’à soutenir et à légitimer l’action des hommes politiques. Son objectivité mise en berne, il devient le valet du chef politique et surfe  dan les sables mouvants de la rhétorique politicienne. Il devient méconnaissable aux yeux du public, aveuglé et obnubilé  qu’il est par la sauvegarde et la protection de sa sinécure et des prébendes. Ses  hauts faits et ses nobles combats du passé se noient dans sa soudaine  amnésie d’un présent devenu plus réjouissant et plus reposant.

Récemment, le journaliste Mamadou Oumar Ndiaye implorait son ancien confrère devenu  ministre de « reprendre sa liberté ». Il s’indignait littéralement contre le silence coupable  d’Abdoulaye Latif Coulibaly devant l’arrestation de l’ancien président tchadien, Hissène Habré. Le brillant Latif qui se cache aujourd’hui  derrière la solidarité gouvernementale pour ne pas exprimer son opinion sur l’injustice extrême qu’a subi celui qu’il ne cessait de défendre  farouchement depuis plusieurs  années. Pathétique tout simplement!

Et Souleymane Jules Diop new look ? Beaucoup se demandent encore si ce n’est pas sa sosie qui passe à la télé pour se porter en bouclier contre celui qu’il insultait il n’y a pas si longtemps.

D’un autre côté, c’est comme si, par un coup de baguette magique,  toutes les causes sociales que défendaient, par exemple,  Penda Mbow et Amsatou Sow Sidibé ont trouvé une solution soudaine  depuis qu’elles ressentent le scintillement des paillettes du pouvoir. J’imagine déjà le type de réponse drolatique et vide qu’elles risqueraient si on leur demandait ce qu’elles pensent encore de la vie chère et des inondations.

La politique, tel qu’elle se fait et se vit sous nos cieux, transforme radicalement le « spectateur engagé » pour reprendre Raymond Aron. Écouté et suivi par les populations comme un guide qui éclaire leur chemin, il se métamorphose  en caisse de résonnance des mensonges du prince qu’il décide de suivre s’il ne devient pas tout simplement l’ombre de lui-même.

Lamine Niang

[email protected]

www.lamineniang.blogspot.ca

7 Commentaires

  1. Lamine, si comme vous le dites travailler avec le pouvoir veut dire participer au partage du gateau je suis d’accord qu’ils ont trahis. Mais si travailler avec le pouvoir veut dire participer à l’effort de construction nationale, mobiliser ses ressources, ses relations pour faire avancer une vision et contribuer à un mieux être des sénégalais moi j’applaudis. Je pense que dés lors qu’un pouvoir a été élu démocratiquement, l’ensemble des forces vives à tous les niveaux doivent se mobiliser pour l’accompagner, l’épauler mais aussi le suivre et le controler jusqu’à ce qu’on constate unaniment qu’il est entrain de dériver et la on se mobilise pour le combattre. Je crois aussi qu’il est du devoir et de l’obligation de ce pouvoir d’avoir une politique inclusive, d’aller chercher toutes les ressources, tous les talents, toutes les personnes dotés d’un minimum de ressources et de relations pour les amener à s’investir pour le pays. Si Latif Coulibaly, Alioune Tine,et autres peuvent mobiliser leurs réseaux dans le monde entier pour appuyer le président élu j’applaudis encore. Le contraire m’aurait révulsé. Je crois que il ne s’agit pas de se mettre au bord de la route avec son tas de pierres et faire de sa profession « sanikatou khére ». Il est bon que nos intellectels beaux parleurs, profs de je sais tout se mobilisent et aillent au front. Merci

    • merci proffesseur ,si seulement l’etre est pour ensuite manipuler son peuple pour des interets perso et etrangers vous serez de cela que le peuple chatiera en 2017 c’est sure,bande de deceveurs

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