Comme ils l’avaient fait à la veille de la presidentielle de 2012 : Les rappeurs à l’assaut du pouvoir

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ABDOU AZIZ DIOP, POLITOLOGUE, SPÉCIALISTE EN ANALYSE DE DISCOURS : «Un mouvement comme ‘Y en a marre’ est obligé d’affiner son discours politique, sinon, à la longue, il risque d’ennuyer les électeurs»

Les rappeurs, à l’heure actuelle, qui sont bien déterminés, se sont engagés dans la vie politique. Une situation qui ressemble à bien des égards à celle de 2000, lorsque les jeunes en général se sont levés pour porter Abdoulaye Wade au pouvoir. Analysant cette nouvelle situation, Abdou Aziz Diop, politologue et spécialiste en analyse du discours, se penche sur ce fait que l’on appelle «phénomène rappeur».
«Même dans leurs chansons, les rappeurs s’intéressent à la vie politique, à la vie économique à travers, par exemple, la dénonciation de la cherté de la vie, à travers l’emploi. Les rappeurs s’intéressent également à la vie économique et donc à la vie sociale. Ils s’intéressent également à la vie culturelle, parce qu’ils représentent déjà un point de l’aspect culturel à travers la musique, le rap en particulier», indique le politologue.
«Le prolongement de l’intérêt des rappeurs à la vie politique, économique, sociale et culturelle explique leur irruption dans le débat politique. Il s’y ajoute que les rappeurs pour la plupart font partie de la jeunesse. Faisant partie de la jeunesse, leur participation à la vie politique est d’un grand intérêt. Pour une raison très simple, nous sommes dans un pays jeune, où les deux tiers de la population ont moins de 25 ans où le nombre de personnes âgées de 65 ans ne dépassent pas 30% de la population et que l’âge médian au Sénégal est de 18 ans. Donc la population au Sénégal est une population jeune. De sorte que l’intérêt pour la politique au niveau de la jeunesse est particulièrement intéressant quant à l’évolution de la vie politique au Sénégal, en particulier lorsque nous nous approchons d’une échéance majeure qui est l’élection présidentielle de 2012», confie le professeur en analyse du discours.
«Alors pourquoi maintenant une implication des rappeurs qui représentent un pan extrêmement important de la jeunesse à un an de l’élection présidentielle comme en 2000 ?», s’interroge Abdou Aziz Diop. Sa réponse coule de source : «C’est parce que simplement cette frange majoritaire de la population qui a notoirement contribué à porter Abdoulaye Wade au pouvoir en mars 2000 et se rend compte aujourd’hui que ce pourquoi elle s’était engagée, il y a 11 ans, pour porter Abdoulaye Wade au pouvoir, n’est pas au rendez-vous. En matière d’emploi en particulier ; et cette incapacité du système actuel, du régime à satisfaire en particulier en matière d’emploi la jeunesse a été surtout perceptible vers 2007 et bien même avant 2007 à travers l’émigration clandestine vers un eldorado européen tout à fait hypothétique. Donc, pour n’avoir pas répondu aux attentes de la jeunesse, majoritaire dans le pays, cette jeunesse, au bout de 11 ans de magistère de Abdoulaye Wade, refait irruption dans le débat politique pour peser de tout son poids. Et je sais que la jeunesse représente un poids extrêmement important dans un pays particulièrement jeune comme le Sénégal». Aussi, dira-t-il : «C’est comme cela à mon avis qu’il faut expliquer ce que l’on considère comme étant un phénomène rappeur, mais en vérité qui est un phénomène de jeunesse qui s’intéresse à la vie politique à nouveau comme en 2000 pour peser de son poids».

«Les rappeurs ne sont jamais instrumentalisés par quelque parti politique que ce soit»
Répondant à la question de savoir pourquoi ces rappeurs qui veulent faire tomber les tenants du pouvoir ne proposent pas d’alternative, M. Diop se réfère à une étude faite par Mariétou Diop, professeur de philosophie à l’Université cheikh Anta Diop de Dakar, pour expliquer cette situation. «Mariétou Diop s’est rendu compte que, globalement, les femmes se révèlent beaucoup plus ouvertes et beaucoup plus généreuses lorsqu’elles s’impliquent en politique. Mais, en même temps, Mariétou Diop constate que cette frange de la population qui est majoritaire dans le pays, dont la générosité ne peut pas être contestée en matière d’idées et en matière d’implication politique, accuse un certain retard en matière de discours politique comparée aux hommes. Il y a l’implication des femmes en politique, même s’il n’y a pas de discours politique porté par les femmes, capable de concurrencer de manière significative le discours des hommes politiques. De sorte que nous sommes dans un concert politique plutôt dominé par les hommes du fait que les femmes ne disposent toujours pas de ce discours politique qui peut drainer les foules», souligne-t-il.
D’après Aziz Diop, «on peut faire le même constat concernant la jeunesse quand elle fait de la politique. Elle a tendance à s’aligner derrière les ténors, derrière les chefs de partis plutôt que de tenir un discours qui lui est propre et qui à la longue permet d’entrevoir un changement de cap, une alternative à la situation qui est vécue par cette même jeunesse. C’est ainsi qu’il faut expliquer le changement que la population, les électrices et les électeurs peuvent avoir lorsqu’il s’agit de prêter l’oreille aux rappeurs en particulier. Engagement politique, mais adossé à quel discours politique permettant de faire transparaître une alternative crédible ? Cela veut dire qu’un mouvement comme ‘Y en a marre’ est obligé d’affiner son discours politique pour convaincre et cristalliser le plus grand nombre de personnes autour d’idéaux, qui sont des idéaux du mouvement ‘Y en a marre’. A défaut de ce discours, à la longue, ce mouvement risque d’ennuyer les électrices et les électeurs pour une raison très simple, parce que quand même un peu moins d’un an qui nous sépare des élections présidentielles de 2012».
Si le pouvoir en place estime que les rappeurs sont en train d’être instrumentalisés par les partis de l’opposition, le politologue pense tout le contraire. «Les rappeurs ne sont jamais instrumentalisés par quelque parti politique que ce soit. Ceci est tout à fait faux. Il n’est pas fondé de dire que les rappeurs qui se sont regroupés autour du mouvement citoyen ‘Y en a marre’ sont instrumentalisés par quelque parti politique que se soit. C’est un mouvement autonome qui s’intéresse à la vie politique et donc à la vie économique sociale et culturelle. Parce que la jeunesse au Sénégal estime qu’elle a son mot à dire dans un contexte où les préoccupations ne sont plus prises en charge par les hommes politiques et les partis politiques en général qu’ils soient de l’opposition ou du pouvoir. La tendance est plutôt vers le concert d’un bulletin électoral, plutôt que de les associer à un véritable mouvement politique dans une perspective visible et crédible», dit-il.

Babacar Gaye du Pds et Moussa Tine de Bennoo se prononcent
L’engagement des rappeurs dans le champ politique, à travers le Mouvement «Y en a marre» notamment, est loin de laisser indifférente la classe politique sénégalaise qui, dans son ensemble, se réjouit de cette nouvelle donne.
Babacar Gaye, porte-parole du Parti démocratique sénégalais (Pds), estime que «c’est heureux que ça arrive à un an d’une élection importante». À son avis, «si les jeunes décident comme ça, de manière démocratique, d’entrer en scène, c’est une excellente chose, parce qu’ils ne sont ni avec l’opposition ni avec le pouvoir». Et de poursuivre dans la foulée : «Ces rappeurs sont des Sénégalais, des leaders d’opinion qui, parce qu’ils ont apprécié la situation du pays, décident de s’organiser autour d’un Mouvement. Je pense sincèrement qu’il faut prendre très au sérieux leur cri du coeur et essayer d’avoir une oreille très attentive à leurs revendications pour essayer d’y apporter une solution».
Car, argumente-t-il, «c’est un mouvement social important, il faut le reconnaître. C’est une frange importante de notre population qui y prend part. Je pense que c’est une chance pour les tenants du pouvoir d’avoir un moyen de sonder la vraie opinion, celle qui vit au jour le jour les difficultés économiques du moment. C’est une chance pour le gouvernement d’avoir un baromètre social assez représentatif pour mettre en oeuvre des politiques qui puissent prendre en charge les préoccupations des populations».
En tout état de cause, Babacar Gaye considère qu’«il faut déjà dégager une stratégie de communication, des conditions pour pouvoir capter les revendications de ces rappeurs, pour les décliner en une politique qui pourrait régler énormément de choses dans ce pays». «Nous avons tout intérêt à les écouter et à dégager un plan d’action, le plus rapidement possible, afin de trouver une solution à leurs préoccupations», conclut le président du Conseil régional de Kaffrine.
Moussa Tine, président de l’Alliance démocratique pencoo, un parti membre de Bennoo Siggil Senegaal, salue à son tour l’engagement des rappeurs. «Je crois qu’il faut se féliciter, dans le contexte actuel, qu’on ait à côté des partis politiques, plusieurs mouvances qui se lèvent et qui portent la revendication des populations», souligne-t-il, estimant que «ça renseigne sur l’état désastreux du pays à tous les plans».
Pour l’ancien N°2 de l’Alliance Jëf-Jël, «le discours est le même. C’est un discours de dénonciation de la situation sociale et des contre-valeurs qui sont dans le pays. Mais c’est aussi un discours patriotique». Et le fait que ledit Mouvement soit à équidistance des différentes chapelles politiques «le crédibilise davantage», à en croire Moussa Tine.
Barka Isma BA & Oumou Sidya DRAME & Marianne NDIAYE

popxibaar.com

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