« Comment va le pays ?  » par Lamine Niang

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« Comment va le pays ? « , voici la question qu’on pose très souvent, avec un brin de nostalgie dans la voix, à ceux qui reviennent fraîchement d’un voyage du Sénégal. Une interrogation toute naturelle, après les salutations d’usage. Une préoccupation légitime également. Savoir si notre vécu au quotidien, pendant notre séjour au pays, correspond réellement à l’image véhiculée par les médias. Une projection médiatique dans laquelle s’entremêlent basses querelles politiques autour de l’argent et du pouvoir, complaintes sociales chroniques sur fond d’une profonde crise des valeurs et d’un déprimant désespoir d’une population laissée à elle-même.
Oui, il faut le reconnaître, la pauvreté n’a jamais été aussi présente dans certains quartiers défavorisés des grandes villes et dans certaines zones rurales. Des couches entières de la population vivent leur lot quotidien de dénuement abject et de précarité navrante. Un simple billet de 1000 CFA offert gracieusement suffit encore à illuminer les yeux d’un père de famille doté d’une progéniture abondante.
Jamais la face hideuse de la mendicité ne vous frappe aussi brutalement au visage les premiers jours de votre arrivée à Dakar. Cette horde d’enfants en guenilles, communément appelés talibés, qui vous tendent tristement une main menue à la quête d’une obole. Cette rangée d’éclopés, assis fatalement le long des grandes artères dans l’attente d’une âme généreuse. Ces non-voyants à la voix de rossignol, qui rentrent sans crier gare, dans les transports en commun, aux différents arrêts d’autobus, en fredonnant un chant lyrique pour réclamer aux passagers les centimes de la dignité.
Des monticules de déchets non ramassés et des canaux à ciel ouvert exhalant une odeur fétide et nauséabonde vous accueillent encore dans certains coins de Dakar et l’on finit toujours par s’indigner devant autant d’irresponsabilité municipale.
Avec nos lunettes d’«étranger» venu d’un pays développé, le risque d’une déception mal contenue et d’un jugement sévère sur la gestion du pays est presque inévitable.
Mais à côté de ce tableau plus ou moins sombre, il y a un Sénégal qui bouge et qui se développe petit à petit. Un développement certes lent et presque invisible, mais le pays est à l’image de ce premier bébé qu’on aimerait tant voir grandir rapidement mais qui peine encore à tenir sur ses deux jambes. Une croissance lente et tardive mais qui se fera de façon irréversible. Les signaux d’une émergence future sont bien perceptibles pour qui sait observer avec les yeux de la raison, un regard dépouillé de toute forme de condescendance et du penchant instinctif vers une comparaison avec le pays occidental d’origine.
Tout d’abord, il y a cet état d’esprit quasi collectif et fort louable des citoyens qui n’attendent plus grand-chose de l’État et de ses représentants. Habitués aux sempiternelles promesses non tenues d’amélioration de leurs conditions de vie et de fourniture adéquate de services publics, ils prennent finalement leur destin en main. Une attitude dictée par les contraintes de la «survie» et où l’informel prend malheureusement une place prépondérante dans les relations interpersonnelles. Une situation de débrouillardise qui semble davantage profiter à ceux qu’on aime appeler injustement les analphabètes pour n’avoir pas fréquenté le système scolaire classique d’enseignement en français.
Venus pour la plupart des quartiers périphériques de la capitale ou des villages à la faveur de l’exode rural, cette partie de la population est très active dans le commerce, la couture, la menuiserie, la métallurgie, etc. Des emplois très lucratifs contrairement à l’image qu’ils renvoient parfois.
J’ai été impressionné par la persévérance de cette jeune couturière, à peine sortie de la vingtaine, et qui tire pleinement son épingle entrepreneuriale dans le jeu économique. Avec six apprentis-tailleurs sous sa tutelle, elle gère d’une main de maître un atelier équipé d’une dizaine de machines à coudre grâce au système de financement local des microcrédits. Ou cette autre femme qui s’est tournée dans le commerce de détails, après un diplôme universitaire et des mois de chômage, en vendant des habits pour enfants. Elle est aujourd’hui à sa deuxième boutique après deux ans d’exercice avec un chiffre d’affaires quotidien que j’étais loin d’imaginer en fonction de la petite taille de sa boutique.
Bref, des petites et moyennes entreprises qui génèrent une manne financière considérable et qui, sans aucun doute, permettent aujourd’hui à l’économie sénégalaise en général de ne pas s’écrouler. La floraison des banques et des services exclusivement locaux de transfert d’argent dans toutes les grandes villes donnent également une idée du dynamisme économique que la pauvreté ambiante occulte hélas.
Il y a aussi l’émergence évidente d’une nouvelle classe moyenne au pouvoir d’achat plus élevé. De jeunes professionnels évoluant dans le secteur public ou dans le domaine privé et qui peuvent facilement s’offrir un appartement décent, un véhicule et des moments de distraction. Une vie qui n’a rien à envier à celle de leurs compatriotes vivant à l’étranger.
Il y a surtout cette nouvelle conscience – quoique encore limitée auprès de la jeunesse- et loin des images douloureuses des migrants clandestins échouant sur les côtes espagnoles, que tout est possible dans le continent africain. Une conscience symbolisée par un retour progressif et définitif de jeunes diplômés au bercail après leurs études universitaires en Occident, comme me l’a soufflé candidement un ancien camarade de lycée, rencontré accidentellement à l’aéroport où il travaille : «Je suis revenu servir mon pays». Ou bien cet ami perdu de vue depuis plus d’un an et qui ne jure maintenant que par le Sénégal après un séjour d’études en Suisse et quelques années passées au Canada comme immigrant reçu. Informaticien de formation, il est aujourd’hui le directeur du système d’information d’une grande boite privée spécialisée dans l’alimentation de bétail. Un boulot qu’il a décroché, me confiera-t-il «après avoir résisté à huit longs mois de chômage depuis mon arrivée. Ma famille ne comprenait pas trop mon choix de laisser au Canada un bon boulot stable au gouvernement fédéral pour revenir. Mais Dieu merci, ma patience a été payante car j’avais la certitude que je m’en sortirais un jour. Aujourd’hui je ne me plains du tout. Le Canada ne me manque absolument pas et j’ai toujours la possibilité d’y retourner si je le voulais aujourd’hui même.»
Ce qui force ainsi l’admiration et permet d’espérer quant à l’avenir de nos pays africains, c’est principalement la nouvelle voix de cette jeunesse qui ne croit plus au rêve nord-américain et encore moins à l’Eldorado européen. C’est celle qui a assisté, comme des témoins privilégiés d’une nouvelle page de l’histoire qui s’écrit, à l’effritement du modèle économique européen, marqué par la grande crise économique qui secoue depuis 2008 les pays industrialisés en général, et le vieux continent en particulier. Une crise qui n’a pas épargné une bonne partie des émigrés sénégalais, considérés il n’y a pas longtemps, comme des modèles de réussite sociale. Ces émigrés, flanqués localement du sobriquet de modou modou, ont pendant très longtemps entretenu auprès de la population l’image d’une Europe riche et prospère avec leurs nombreuses réalisations immobilières dans leur pays d’origine et les différents investissements qu’ils réussissaient à effecteur après seulement quelques années d’émigration. Aujourd’hui, elles sont malheureusement de plus en plus nombreuses les familles sénégalaises qui subissent les envois d’argent rares et irréguliers de ces braves fils partis chercher fortune dans des pays comme la France, l’Italie ou l’Espagne.
Mais cette nouvelle conscience populaire semble encore échapper à la classe dirigeante qui n’en tire pas suffisamment profit dans la perspective d’une nouvelle forme de gestion et de réflexion en adéquation avec le profil du nouveau type de sénégalais. Et comme toujours, les populations semblent encore en avance sur la classe dirigeante et l’élite intellectuelle. L’une reste dans sa bulle, une fois qu’elle accède au pouvoir, avec une forme de gouvernance improductive et inadaptée aux réels besoins de la population. Une gestion généralement faite de tâtonnements et d’approximations dans les prises de décisions. L’autre, productrice d’idées, a encore beaucoup de mal à s’affranchir des chaines mentales issues des savoirs acquis dans les livres occidentaux. Elle traîne comme une tare atavique ce penchant inconscient de vouloir ressembler au Blanc et de reproduire le modèle de pensée de ce dernier. Elle est encore incapable de réfléchir par elle-même, en lien avec les réalités sociologiques et économiques que vivent leurs compatriotes au quotidien.

Lamine Niang
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5 Commentaires

  1. Quelqu’un m’a donné un indicateur de la mauvaise situation du pays. En 2012 et 2013, à un mois du départ pour la Mecque, il était impossible de trouver place dans les vols de l’état.Les 9 vols prévus étaient pleins. Les demandeurs étaient systématiquement renvoyés chez les privés. Cette année 2014, à la même période, seuls 3 vols sont pleins. Le 4e n’a encore vendu que 8 billets.

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