Confessions et conseils d’une victime de la société du paraître

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Je flottais dans les méandres de la triste histoire du livre que j’étais en train de lire, quand – soudain ensevelie par une ombre – je sentis une présence humaine devant moi. Lorsque je levai les yeux, je trouvai dressée devant moi l’une de mes voisines et amies de quelques années plus âgée que moi. Le regard fuyant, l’air perplexe, elle n’affichait guère cette mine joviale habituelle que je lui connaissais, qui mettait toujours en exergue sa beauté resplendissante et sa joie de vivre. J’en déduisis alors qu’il lui était arrivé quelque chose de malheureux à mon insu; ce d’autant que je ne l’avais pas vue depuis plusieurs jours.  Après des salutations moins chaleureuses que d’ordinaire et un échange de quelques mots, elle alla de but en blanc à l’objet de sa visite. Je me levai, entrai chez moi et en sortis deux minutes plus tard avec une chaise que je mis juste à côté de la mienne. À peine avais-je repris ma place qu’elle s’assit sur la chaise et continua à raconter ce qu’elle avait à me dire: « Petite sœur, me dit-elle – comme elle  m’appelait affectueusement -, je crois fortement moi-aussi, comme Mariama Ba, que la confidence noie la douleur…Aussi lui tendis-je une oreille attentive car ayant décelé dans son regard et le ton serein dont elle usait qu’elle avait besoin de se confier et d’être écoutée. Mon silence et l’attention que je lui portais l’encouragèrent à continuer… : « Vouloir toujours me montrer impeccable aux yeux des autres pour me sentir considérée ou aimée a été la tâche herculéenne à laquelle je me suis attelée en vain ces dernières années. Je me rends maintenant compte que c’était une grande erreur d’autant plus c’est une entreprise aussi irréalisable qu’ubuesque et surtout extrêmement lassante. J’étais souvent à la merci de concessions, de compromissions et de reniements. Par conséquent, j’étais souvent obligée de nager à contre-courant de ma conscience, de fouler du pied mes principes – si tant est que j’en disposais…Je vivais au-dessus de mes moyens pour être dans l’ère du temps et me sentir à l’aise dans les milieux que je fréquentais. Autrement, j’aurais eu honte de moi et aurais ressenti un certain complexe vis-à-vis des autres. Je mettais tout dans mon apparence. Elle comptait pour moi plus que mon comportement… J’étais alors prête à toutes les folies pour attirer toutes les attentions sur moi : des habits chers et chics au téléphone portable dernier cri et aux cheveux naturels, en passant par toutes sortes de matériel tape-à-l’œil. À cause des mes nombreuses dépenses extravagantes et souvent inutiles, je suis aujourd’hui criblée de dettes et j’ai honte de sortir souvent de chez moi pendant la journée de peur de rencontrer un de mes nombreux créanciers. Tant que mon travail marchait à merveille, je ne me remettais jamais en question et dépensais souvent sans compter. Je me disais aussi toujours que ceux qui critiquaient mon comportement dans le quartier étaient juste jaloux de ma beauté et de mon matériel que je n’hésitais pas à exhiber. Maintenant que je dispose de beaucoup de temps pour réfléchir sur mon sort et sur ma vie en général – car étant au chômage depuis un certain temps -, mes faux ami(e)s que j’ai rencontré(e)s dans les milieux huppés que je fréquentais m’ont tourné le dos et je ne sais pas où aller pour régler mes problèmes d’argent ou surtout faire part de ce que je ressens. Heureusement, tu es là. Tu sais que je t’aime, car je te considère comme ma petite sœur. De plus, outre nos discussions sincères et ta grande ouverture d’esprit, tu es l’une des rares personnes avec qui j’ai affaire dans le quartier.

Après cet instant-là, elle donna l’air d’être essoufflée. Elle se racla la gorge puis continua à parler sur le même ton. « Petite sœur, reprit-elle, il faut aussi le reconnaitre, je m’étais liée d’amitié avec certaines personnes juste parce qu’elles sont célèbres et sont très en vue dans les milieux mondains. D’ailleurs, c’est moi même qui faisais les premiers pas, voire forçais nos relations. Après une réflexion sans aucune complaisance sur ma situation présente et sur mes nombreuses erreurs passées,  je me rends maintenant compte que je souffrais d’un manque de caractère et d’estime de soi. Je réagissais  plus que je n’agissais : je prenais rarement mes propres initiatives parce que mes actions étaient souvent définies par rapport à celles des autres si  elles n’étaient pas calquées sur elles. J’ai maintenant  l’impression d’avoir été comme une feuille morte ballotée au gré des vents. Je donnais plus d’importance à ce que les gens disaient et pensaient de moi qu’à ma propre opinion sur moi.  Quand il y avait de nouvelles expressions à la mode, je les ânonnais sans savoir forcément ce qu’elles signifiaient. Toutefois j’ai été certes victime du paraître, mais la société m’y a beaucoup encouragée. Il  ne faut pas le nier notre Sénégal a beaucoup changé. Elle est devenue très matérialiste. Les gens sont de plus en plus jugés d’après ce qu’ils ont, mais rarement sur ce qu’ils sont. Du coup, les bonnes valeurs se dissipent et de nombreuses personnes font étalage de leurs richesses – réelles ou supposées – pour se sentir aimées et socialement considérées. Je suis maintenant consciente de beaucoup de choses. Mais c’est un peu trop tard, car j’ai bousillé pas mal d’argent et beaucoup de temps dans des futilités et je commence à prendre de l’âge. Je vais te donner quelques conseils vu que tu es encore jeune: il ne faut jamais forcer l’amour et l’estime des autres. Ils doivent te venir naturellement. Si tu dois être aimée, il faut que tu le sois comme tu es, c’est à dire avec tes qualités et défauts puisque nul n’est parfait. Sois aussi droite dans tes principes parce qu’à vouloir essayer de contenter ou de plaire à tout le monde, on tombe souvent dans l’hypocrisie et dans d’interminables concessions. Mets-toi aussi en tête que ce qui fait qu’une personne soit meilleure qu’une autre, ce n’est pas tant les biens qu’elle expose que la bonté que reflètent ses actes et qu’elle cultive intérieurement…Comme le dit l’adage wolof : « Nit li muy gënne moroomam, buy sangu du ko summi. » Aie confiance en toi sans toutefois toujours douter des autres, c’est aussi très important. Réfléchis bien sur cette Rita Mae Brown que j’ai fait mienne depuis quelque temps: « Tout ce que tu peux faire dans la vie, c’est être toi-même. Certains t’aimeront pour qui tu es. La plupart t’aimeront pour les services que tu peux leur rendre, d’autres ne t’aimeront pas. » Voilà ce que j’avais à te dire petite soeur. »

Après ces mots, il y eut un silence de quelques minutes que j’interrompis. On reprit alors  la discussion en parlant de la pluie et du beau pendant une demi-heure avant que ma « grande sœur » ne se levât afin de rentrer chez elle. Après son départ, j’étais triste pour elle, mais désormais consciente de beaucoup de choses

Bosse Ndoye

Montréal

[email protected]

Auteur de : L’énigmatique clé sur l’immigration; Une amitié, deux trajectoires; La rançon de la facilité

 

 

 

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