DAKAR-TIVAOUANE – Pression démographique, saleté, manque d’entretien, vétusté : L’affreux visage des rails

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Les échangeurs et autoroutes n’y auront rien fait. La pauvreté est bien là. Pour s’en rendre compte, il suffit de prendre le train pour se rendre à l’intérieur du pays. L’objectif premier de ce voyage n’était pas de découvrir cette autre face cachée de la vie du Sénégalais. Mais devant ce spectacle insoutenable qui s’offre aux passagers de ce moyen de transport, on ne peut fermer les yeux. Malgré la redynamisation de la voie ferrée voulue par le chef de l’Etat, les rails agonisent sous la pression d’une population qui, acculée par les difficultés de la vie, ne sait plus sur qui s’adosser.
Le discours du chef de l’Etat et ses beaux projets de modernisation de la voie ferrée donnent déjà envie d’expérimenter le voyage par train. En cette matinée de samedi, jour de la célébration de la naissance du Prophète Mouhamed (Psl), les gens se bousculent devant le guichet des tickets avant même son ouverture. Ils ont choisi d’emprunter le train pour se rendre à Tivaouane pour les besoins du gamou. Les avertis et autres habitués de la voie ferrée se sont, dès le départ du train, munis de leur masque. Alors que certains novices pensaient juste que ce morceau de tissu couvrant le nez et la bouche servait à se protéger de la poussière le long du voyage, d’autres réalités expliquent cet accoutrement assez particulier : l’air pollué et irrespirable.

A une minute du départ, un dernier coup de klaxon retentit. Il fait courir les retardataires qui se hâtent pour ne pas rater le départ qui se fait très lent. Le train quitte Dakar pour Tivaouane, la capitale de la tidjania (au Sénégal). Loin de la tracée lisse de l’autoroute, l’on découvre une autre facette du transport dakarois. Entre deux murs de part et d’autre, ou entre deux barrières en fils de barbelés, se dessinent les deux fils en acier ensevelis par des cailloux de couleur grise. Ce sont les fameux rails. Le bruit lourd et assourdissant de la locomotive roulante sur les rails, les secousses par moments, rythment le trajet.

Au fur et à mesure que la locomotive s’avance sur sa tracée et s’éloigne du centre-ville de Dakar, les bourgades périphériques à la capitale se font découvrir. Malgré les meules de charbon qui noircissent le long des rails et des habitations de fortune hors du commun, Colobane est tout de même reconnaissable grâce à son garage em­blématique perceptible de là et à l’autoroute qui la traverse. Pour le reste, on se croirait ailleurs. Le décor qui s’offre aux passagers du train devient de plus en plus pathétique. On aurait dit ­bess bis : ordures, carcasses d’animaux, des sacs en plastique remplis de liquide de couleur rouge jonchent le long des rails. Du cocktail de cette saleté se dégage une odeur qui fait tout de suite baisser les vitres. Dégueulasse ! C’est le mot pour décrire ce spectacle. Mais on n’aura encore rien vu. Le film ne fait que commencer.

La survie au prix de leur vie

A côté des ces immondices, trônent des habitations de fortune. Leurs différents propriétaires ne doutent pas du danger qu’ils côtoient ; ou alors, ils s’en foutent. Les habitants de cette contrée de la capitale sénégalaise vaquent, en toute tranquilité à leurs occupations, comme si de rien n’était. Pendant ce temps, le passager à bord de la locomotive est choqué. Le choc est encore plus grand lorsque l’inimaginable dans une vie normale se produit. Au milieu de ce décor indigne d’un pays «à la porte de l’émergence», comme le chante son Président, des marmites bouillantes. Cette dame doit en être à l’avant-dernière étape de sa cuisson. En atteste le couscoussier débordant de riz collé à la marmite, sous un feu de bois.
Dans ces conditions de vie «inhumaines», l’on penserait à un suicide collectif des populations de ces quartiers de Hann et Yarakh, à petit feu. Mais plus le train continue son chemin, plus on s’aperçoit à hauteur de Thiaroye, que ces riverains sont condamnés à vivre ainsi. Ici, c’est le coup de klaxon qui alerte les vendeurs à la sauvette et autres vendeurs de légumes et de poisson qui avaient installé leurs divers étals sur la voie ferrée. Des mères de famille, les reins serrés par des morceaux de tissu, décalent de moins d’un mètre leur marchandise de la voie avant de poursuivre leur conversation. Elles n’en feront pas plus pour laisser le maître des lieux rouler. Au contraire, c’est à la machine, son conducteur plutôt, qui doit se conformer à cette nouvelle situation érigée en règle par les populations. Rouler à moindre vitesse, c’est ce que fait le train au milieu de tout ce beau monde insoucieux du danger qui le guette tous les jours. Car il aurait suffi d’une petite maladresse du conducteur qui ferait pencher le train d’un côté ou de l’autre pour écraser tout ce monde. Et l’on assisterait à une catastrophe.

Mais dans cet endroit, en ce moment précis, on se soucie plus de la survie que de la mort. Des personnes de tous les âges y monnaient, si ce n’est leur talent, des marchandises de toutes sortes pour survivre, au risque de leur vie. Les règles élémentaires d’hygiène sont foulées aux pieds. Les humains et les ordures se disputent l’espace. Même pas de toilettes. Conséquence : les murs cè­dent. Ils sont rongés par la toxicité des urines qui y sont déversées à longueur de journée. Pourtant, le sentiment de tristesse et de compassion du passager, au vu de ce spectacle désolant, est inconnu à ces populations. Elles éclatent de rire et crient de joie au passage de la locomotive. Elles se sont peut-être résignées à accepter leur sort.

Thiès, la capitale déraille

Dakar s’est éloigné, mais le décor n’a pas changé. A Rufisque, ce sont les mêmes scènes, les mêmes images. L’air pollué par ces déchets que les populations déversent sur les rails, met aussi en danger la vie des passagers du train. Car à certains endroits, les rails sont pres­que invisibles. Le seul moment de répit sur cet axe a commencé à l’entrée de Bargny. On peut alors respirer de l’air pur à pleins poumons. On a aussi droit à un paysage verdoyant. A ce niveau, le train est maître de son chemin. Aucun obstacle ne le gène dans sa progression. On en profite pour sombrer dans les bras de Morphée.

Diamniadio, Pout, puis Thiès la Capitale du rail. Le réveil est brutal. Il est entraîné par une odeur nauséabonde qui envahit les narines et fonce direct dans les poumons. Il faut se boucher le nez pour ne pas trop en inhaler. Les rails de Thiès sont une vraie foire aux déchets. Tout ce qui est indésirable pour les utilisateurs se retrouve aux abords de la voie ferrée. De la cabine du train on perçoit encore l’odeur du poisson pourri qui n’a pas encore fini de se décomposer. Un endroit idéal pour les vers et autres parasites souvent vecteurs de maladies. Malgré la faim qui nous tenaille, les friandises proposées par les vendeuses à la gare donnent la nausée. Une seule envie : cracher cette saleté qui ne fait que ternir l’image de Capitale du rail dont se glorifie Thiès.

Le train s’élance maintenant sur la dernière ligne droite avant Ti­vaouane. Finies les complaintes contre la saleté. L’atmosphère est devenue moins saturée. Mais un autre problème se pose : la vétusté des rails sur ce tronçon. Par défaut d’utilisation fréquente, l’axe Thiès-Tivaouane fait peur à plus d’un passager. D’ailleurs à l’aller com­me au retour lors du dernier ga­mou au début du mois en cours, le train y a déraillé.
Le coup de frein qui a permis à la locomotive de s’immobiliser sonne comme un soulagement pour tous les passagers qui ne voulaient que s’engouffrer dans la chaleur religieuse et oublier ce trajet long et éprouvant.

Au vu de tout cela, l’Etat à beaucoup à faire pour réaliser son vœu de moderniser et de redynamiser la voie ferrée, car dame pauvreté s’y est déjà installée.
lequotidien

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