« De la culture dans la prison,  de la prison dans notre culture » au Sénégal Par Docteur Daouda NDIAYE *

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Mur de prison décoré par des détenus sur le thème du baobab pour égayer leur lieu de vie. Ce fut  le réveil des talents cachés autour d’un programme d’échanges entre des prisons de France, du Togo et du Bénin, « La Culture au-delà des murs » en 2013, Prisonniers Sans Frontières.

La mutinerie de la Maison d’Arrêt et de Correction de Rebeuss a failli avoir un effet banc de poissons sur d’autres prisons du Sénégal. Imputer un tel dysfonctionnement à Madame Agnès NDIOGOYE,  Directrice de cette prison, relève d’une paresse intellectuelle dans l’analyse des éléments objectifs générateurs de cette mutinerie. Des chiffres officiels font état d’un mort (Ibrahima MBOW, âgé de 33 ans) et  41 blessés. L’argent ne panse pas les plaies et la vie n’a pas de prix, nous enseignent les moralistes. C’est regrettable.

Il ne s’agit pas ici d’analyser une faute de service ou une faute du service dont l’appréciation est du ressort des  juridictions sénégalaises.

442 mineurs (filles et garçons) sur un total de 9544 détenus ont été recensés par l’Observatoire National des Lieux de Privation de Liberté du Sénégal au mois de septembre 2016.

Qu’il me soit permis alors de demander  juste à ouvrir la porte de la prison à  la Culture.

C’est sur les ailes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) du 10 décembre 1948 que nous survolons les miradors du monde carcéral avant de fouler le sol sénégalais. Dans nos bagages, nous avons pris le soin de nous faire l’écho d’une parole gravée en lettres d’or sur un document s’adressant à toute l’humanité : « toute personne a le droit de

prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. » (Article 27 alinéa 1) DUDH. Cette parole résonne en nous,  héritiers de la Charte du Mandé et de la génération de René Cassin, à la rencontre de cette Afrique qui a dit oui au droit à la culture sans réserve.

L’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (adopté le 16 décembre 1966), dans la même dynamique,  dispose que: « Les Etats parties …reconnaissent à chacun le droit :

  1. a) de participer à la vie culturelle;
  2. b) de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications;
  3. c) de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur…… ».

J’ai eu l’honneur de  servir Prisonniers Sans Frontières (PRSF) en France, au Togo et au Bénin en qualité de concepteur du Projet « La Culture au-delà des murs». A travers les missions de sa Commission culturelle, j’ai compris que l’effraction de la porte d’une prison par la culture n’est pas une infraction.

Si  la prison a servi de lieu pour « Surveiller et punir », pour reprendre le titre du livre de Michel Foucault, la contrainte légitime qu’elle fait peser sur le détenu ne pourrait aller au-delà de la privation de la liberté d’aller et de venir dans la cité.

C’est pourquoi, elle ne saurait rester insensible à l’effectivité de ce droit à la culture que toutes les constitutions modernes ont inscrit dans leur préambule.

Comme le droit à l’éducation, le droit à la culture n’est pas une créance exigible qu’un citoyen peut invoquer pour réclamer un dû à l’Etat mais une disposition qui laisse à la Loi le soin de lui donner un contenu.

Mais quel contenu allons-nous donner à ce droit à la culture en prison ? J’entends par « nous » les prescripteurs que sont les pouvoirs publics sénégalais mais aussi toute la société civile nationale et internationale, qui travaillent discrètement à l’amélioration des conditions de vie des détenus.

Si un programme culturel pour les prisons doit voir le jour dans notre pays, les projets qui en découlent  devraient s’inscrire dans un cercle vertueux se déclinant au moins en 4 points :

Le premier point est que la culture en prison n’est pas un passe-temps mais un moyen de préserver l’intégrité physique et morale des citoyens-détenus ;

-le deuxième point postule que la culture en prison n’est pas exclusivement le domaine réservé de l’administration pénitentiaire mais un moyen de créer un décloisonnement des ministères de la Justice, de l’Education et de la Culture ;

– le troisième point nous conforte à l’idée que la prison dans notre culture est une rupture avec le regard stigmatisant du monde carcéral ;

enfin, le quatrième point fait de la prison dans notre culture un pôle de veille active sur le respect des droits des détenus appelés à réussir leur réinsertion sociale.

 

  • La culture en prison n’est pas un passe-temps mais un moyen de maintenir l’intégrité physique et psychique  des détenus

 

Les premières traces de l’existence d’une bibliothèque dans le milieu carcéral en France remontent à l’Empire. Une note en date du 4 septembre 1844atteste les vertus du livre en prison en ces termes : « heureuse influence sur l’âme et l’esprit des prisonniers…à condition de bien choisir les livres ». Vingt ans après, on peut lire dans une autre note du 22 août 1864 la volonté de l’administration de combattre  en prison « …l’oisiveté par la lecture ».

Sans remonter le fil de l’histoire aussi loin, on peut donner en exemple les réformes de 1974 en France pour relever l’entrée des premiers éléments de la culture dans le monde carcéral : droit de lire des journaux de son choix, droit d’avoir la radio et droit d’accès à titre collectif à la télévision… Des enseignants détachés par l’Education Nationale y étaient déjà sans emprise réelle sur de nombreux jeunes et adultes qui ont rejeté l’école.

La France qui s’inspire du Conseil de l’Europe entend, par sa législation pénitentiaire,  créer les conditions pour préserver l’intégrité physique et psychique des détenus tout en les préparant à une meilleure réinsertion sociale.

Petit à petit, des concerts ont été organisés dans les prisons de France et du Sénégal.

Au Sénégal, Youssou NDOUR  a offert un concert à la Maison d’Arrêt de Rebeuss en 1991. D’autres artistes comme Fou Malade, Niagass et Aïda SAMB ont initié « Le Noël des prisons » en 2012.

Que fait le Sénégal sans être dans la théorie du modèle  français ?

Dans le domaine de l’éducation et de la formation, la configuration d’une classe entre quatre murs, un maître, des élèves et un tableau noir, renvoie généralement le détenu déscolarisé  à son échec scolaire. Le manque de motivation des détenus dont le niveau scolaire est souvent trop bas nous oblige à repenser les formes d’apprentissage en rupture avec l’école formelle.

C’est pourquoi, nous croyons en l’efficacité des ateliers-théâtre, des ateliers d’écriture par le Rapp et de la valise de livres tournante entre prisons pour donner ou tout au moins redonner le goût des produits culturels aux détenus.

Mais comment parler de culture au Sénégal à un détenu démuni du minimum vital : avoir une nourriture saine, se soigner et être dans les conditions décentes d’hygiène de nos lieux de vie ?

« Primum vivere deinde philosophari » (Il faut d’abord vivre ensuite philosopher) nous enseigne la sagesse latine.

C’est pourquoi, nous devons être sur tous ces fronts dans l’intérêt supérieur des détenus : des jardins maraîchers pour améliorer leur nourriture, des soins médicaux et des activités culturelles seront les contours d’un programme à élaborer.

Le droit à la culture fait corps avec le droit à l’éducation pour préparer le détenu à une meilleure réinsertion sociale. Mais il ne s’agit pas ici d’un programme de formation où tout est conçu dans une relation verticale entre le maître et  l’élève.

Le citoyen-détenu est un apprenant-acteur qui, parce que fortement impliqué, construit sa professionnalité en même temps que l’enseignant qui accompagne ses processus d’apprentissages.

C’est par la Culture que le Sénégal contribuera à combattre l’effet désocialisant de la prison qui ouvre la porte à la récidive.

Et les clés du problème ne sont pas  exclusivement entre les mains de l’Administration pénitentiaire.

Cela nous ramène à poser la question de la nécessité d’une synergie forte entre plusieurs ministères qui portent de manière transversale la Culture dans la prison et les acteurs non étatiques (ONG, Organisations des Droits de l’Homme…).

Le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux Sidiki KABA vient d’annoncer la tenue prochaine d’un Conseil interministériel sur les prisons en marge de l’installation officielle de la Cour d’Appel de Ziguinchor. L’initiative est louable. Car c’est aussi et surtout par la culture au-delà des murs que la prison cessera d’être une citadelle dans la cité.

 

  • La Culture en prison n’est pas exclusivement le domaine réservé de l’administration  pénitentiaire mais un moyen de créer un décloisonnement des ministères de la Justice, de l’Education et de la Culture

 

Si  tout changement pourrait faire désordre  pour les gardiens d’une tradition administrative, la rationalisation de l’action publique nous oblige à souscrire à une opération de décloisonnement des différents ministères qui s’intéressent aux détenus.

En effet, si nous voulons appliquer le droit à la culture de manière effective, nous devrions accepter que le Ministère de la Culture puisse s’impliquer dans la gestion du milieu carcéral. Mais il ne s’agit pas ici de mettre ce ministère dans la situation d’un colocataire passif de la Prison.

Tout au plus, allouer une partie du budget du Ministère de la Culture aux activités des citoyens-détenus, si modeste soit-elle, est déjà en soi une rupture dans l’organisation des services publics de la justice.

Le personnel de l’administration pénitentiaire gagnerait ainsi à aller au-delà de « Surveiller et punir ». Les métiers de la Culture, par la formation continue, contribueraient inexorablement à redorer le blason de ces fonctionnaires de l’administration pénitentiaire que d’autres fonctionnaires regardent parfois du haut de leurs balcons avec peu de considération.

Le personnel pénitentiaire comme producteur et créateur de culture,  pour quelle formation initiale ou continue à l’Ecole de formation du personnel pénitentiaire ? Un tel sujet pourrait faire l’objet d’un séminaire au bout de notre voyage dans l’humanisation des prisons.

Par ailleurs, l’Etat du Sénégal doit comprendre  également que ces projets en gestation ne s’inscriront dans la durée que par un travail de proximité qui se nourrit institutionnellement de la décentralisation.

De rencontrer, par exemple, un maire de Thiès, avec lui des bibliothécaires et la diaspora sénégalaise en France dans le cadre de la Coopération décentralisée, nous donne des raisons de croire que tout ne doit pas venir du Pouvoir central. Mais rien ne se fera sans ce Pouvoir central pour assurer la formation professionnelle des intervenants dans les prisons.

Comment aménager des passerelles entre le Ministère de l’Education et le Ministre de la Justice lorsqu’on veut détacher des enseignants dans les prisons du Sénégal ? Autre sujet qui nous semble aussi pertinent pour renforcer la place de la Culture dans la prison.

Par ailleurs, comment envisager de faire entrer le sport dans les prisons sans une implication du Ministère des Sports souvent appelé dans nos pays d’Afrique francophone « Ministère de la Jeunesse et des Sports » ? La base de la pyramide des âges dans nos prisons étant large, il faudrait continuer à rêver, par exemple, pour que l’on puisse organiser des matchs de football entre des clubs de renommée nationale comme Niary Tally et des équipes constituées par les détenus.

Cela fait partie du lien qu’il convient de construire entre le « dedans » et le « dehors », une fois la dimension sécuritaire garantie.

La  formation continue fera entrer dans le milieu carcéral des fonctionnaires de ces ministères et d’autres intervenants (artistes, bénévoles, formateurs, ONG) dont les activités seront calées sur l’emploi du temps du personnel pénitentiaire.

Ce qui permettra d’éviter dans ce milieu, où chaque chose en son temps, des malentendus entre le « dehors » et le « dedans » de nature à faire du détenu un pestiféré.

 

  • La prison dans notre culture est une rupture avec le regard stigmatisant du monde carcéral

 

En effet, tout le monde s’accorde à reconnaître que la prison est un sujet tabou.

Notre rapport à la prison est problématique. D’où la nécessité de faire un travail sur nous-mêmes.

La prison dans notre culture se lit dans notre propension à construire du lien avec les familles des détenus.

Notre socialisation s’achève lorsque nous acceptons le détenu comme un égal qui paie ses manquements aux règles protégeant les intérêts de la société.

Pour y arriver nous devons avoir des liens d’échanges avec les prisons et les considérer comme des prolongements naturels de nos territoires. Comment améliorer notre habitat, notre cadre de vie avec des architectes et urbanistes en pensant à la remise en cause de l’architecture des prisons ? Certes, une prison n’est pas un hôtel pour l’immense majorité des détenus. Mais que faire pour les prisons sénégalaises comparées à juste titre à des camps de concentration en raison de la surpopulation carcérale et du manque d’hygiène ?

Tous ces intervenants extérieurs à la prison sont des témoins qui vont contribuer à déconstruire cette vision péjorative que l’opinion publique attache à la condition de détenu depuis le temps des bagnes.

Libérer la parole entre détenus, entre cellules, entre prisons : tel  est le chemin qui devrait s’ouvrir  pour  notre voyage au cœur de l’humanisation de nos prisons.

Ce programme d’échanges culturels est une fenêtre sur le monde dans l’esprit et la lettre   de l’article 11 de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée à l’unanimité en 2001 par la communauté internationale :

« [..] Source d’échanges, d’innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant… »

En épigraphe de cette Déclaration, il est inscrit « La richesse culturelle du monde, c’est sa diversité en dialogue ». Cette phrase suffit à elle seule à résumer l’esprit qui devrait animer les porteurs potentiels de ces projets culturels au sein de nos prisons.

C’est sur le fondement de ces instruments juridiques internationaux que nous comptons contribuer à ajuster le regard des uns et des autres sur la condition de détenu.

Alerter l’opinion et  la tenir en alerte seraient une voie de salut pour le citoyen-détenu dans un rapport de complémentarité avec des organisations nationales et internationales comme Amnesty International, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et Prisonniers Sans Frontières.

 

  • La prison dans notre culture est une veille active sur les droits des détenus appelés à réussir leur réinsertion sociale

 

En effet, il existe hors des murs des prisons d’autres miradors ; ceux qui sont occupés par des sentinelles de la République dont le seul regard suffit à dissuader celui qui est tenté d’abuser de son pouvoir sur les humains et les choses.

Ouvrir la prison aux associations, aux médecins, aux enseignants, aux formateurs, c’est aussi partager avec le public le vécu des détenus. L’entrée des professionnels et les bénévoles dans la prison est le moyen le plus subtil de casser les ghettos du monde carcéral.

Et le débat n’est pas dans un dilemme entre bénévoles et salariés mais de faire des choix judicieux dans certaines activités entre amateurs et professionnels.

Il est vrai qu’il est plus facile de nouer une relation de confiance avec les détenus lorsqu’ils sont en face de bénévoles qui ne dépendent pas de l’Etat.

Le tout est de mettre ensemble toutes  ces ressources humaines précieuses dans une relation de confiance.

Agir sur les leviers de l’insertion professionnelle contribuerait ainsi à créer un lien entre les entreprises, les coopératives agricoles et la prison. Mais sous le poids de la culture de la défiance,  il suffit d’avoir un casier judiciaire rempli pour rendre plus difficile l’insertion professionnelle de l’ex-détenu. Un jeune sénégalais de 27ans Moctar Cissé, fils d’un ancien directeur de Prison, a mesuré les enjeux pour redonner dignité aux prisonniers par le fruit de leur travail en mettant en place le site de vente www.wesell.org ; site qui valorise le talent et la créativité des détenus de la Prison de Liberté 6. Une telle initiative conforte la nécessité absolue d’un partenariat avec des coopératives d’artisans et d’agriculteurs du Sénégal, pour communiquer sur les bonnes pratiques d’insertion professionnelle et espérer améliorer le quotidien du détenu.

Somme toute, l’éducation et la culture devraient conjuguer ici leurs stratégies pour répondre aux attentes des détenus. Ainsi, l’Etat du Sénégal inscrira son action dans une mission de service public pour protéger de manière efficace les intérêts du citoyen-détenu quant à l’accès au Droit à  la culture.

Conclusion :

«  La culture commence lorsque l’on s’entend à traiter le vivant comme vivant, elle ne commence que dans une atmosphère qui est bien au-dessus du monde du gain et de la nécessité, elle s’inscrit d’emblée dans un au-delà de l’argent et du gain » ainsi parlait

Nietzsche.

Comment ne pas penser à l’impérieuse nécessité de mobiliser des équipes de terrains, des bénévoles anonymes dont le seul gain est de voir les conditions de vie des détenus s’améliorer ?

Pour redonner espoir et dignité aux prisonniers du Sénégal,  voici quelques pistes de réflexion en friche que les pouvoirs publics devraient remblayer à travers  le livre, la musique, la peinture, le théâtre, la formation professionnelle…. bref par tout ce qui fait de l’humain le remède de l’Homme.

*Daouda NDIAYE

Juriste, Docteur en Sciences de l’Education

Ancien Chargé de Mission de Prisonniers Sans Frontières

[email protected]

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