De quel droit parle-t-on à propos de l’affaire Khalifa Ababacar Sall ? ( par Meïssa Diakhaté)

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Le droit est et demeure une science relative ; tout de même, il est univoque, à la condition qu’on
accède, sans embrouillement, à l’entendement juridique. En vérité, « on ne peut parler de droit
que dans la langue du droit, c’est pour cette raison très simple que la plupart des institutions et
des concepts juridiques n’ont pas de dénomination dans le langage courant ». Telle est la
sagesse d’esprit d’une célèbre société savante de droit qui commande, à travers ce présent
article, l’objectif de délivrer une réflexion sur la condamnation définitive, en tant qu’obstacle
dirimant à la candidature à l’élection présidentielle.
En l’occurrence les Sénégalais sont perplexes : à quel juriste se vouer ? Plus que jamais
auparavant, le débat juridique diffusé est obscurci voire pollué. Pour cause, il y a lieu de
déplorer, à mon avis, une crise conjoncture d’autorité à l’Université qui s’exprime à travers la
célébration de soi, par les uns ainsi que, et surtout, l’usage abusif du label de « Professeur »
souvent sans rattachement institutionnel et parfois sans titre du CAMES, par les autres. Cet
imbroglio intelligemment orchestré fait de certains d’eux de brillants « journalistes du droit ».
Décidément, le titre de « professeur » n’ennoblit point ; à la limite, elle a, le cas échéant, une
valeur de sobriquet intellectuel.
Plus regrettable, la sédimentation de certains concepts mécaniquement assimilés, qui vernissent
généralement le débat public, est à l’origine d’un chaos sémantique. Pour la circonstance, le
choix est volontairement fait de ne pas nourrir l’agitation intellectuelle autour de la notion de
rabat d’arrêt. La lecture de la loi et l’analyse d’une doctrine faisant foi nous obligent à revêtir
notre réflexion d’une orientation strictement pédagogique.
Qu’en dit la loi ? Rien d’autre que la condamnation « définitive ». Disons-le, pour faire court,
c’est ce qui ressort des termes du Code électoral, du règlement intérieur de l’Assemblée
nationale et de la Constitution.
Qu’en pense la doctrine ? La réponse à cette question est un prétexte pour faire parler une
doctrine accessible et familière aux juristes. L’auteur du précieux Vocabulaire juridique,
Gérard Cornu, rappelle qu’un jugement définitif, c’est ce qui est jugé au fond. Ce qui revient,
en ce sens, à comprendre qu’un jugement « au fond » est définitif et a l’autorité de la chose
jugée relativement à la contestation qu’il tranche. Et l’éclairant, l’auteur précise que « définitif
ne signifie pas irrévocable, ni insusceptible d’appel ». Ainsi, un jugement définitif est
susceptible de recours en appel ou de pourvoi en cassation s’il est respectivement rendu en
premier ressort ou en premier et dernier ressort. De sorte, le jugement définitif est celui
qui tranche une contestation de telle sorte que le tribunal est désormais dessaisi de tout pouvoir
de juridiction relativement à cette contestation.
A l’analyse, le jugement définitif entraîne le dessaisissement du juge. Celui-ci ne pourra
modifier ou revenir d’une quelconque manière sur cette question, sauf notamment pour
interpréter sa décision ou rectifier des erreurs matérielles. C’est parce que le juge a épuisé
ses pouvoirs juridictionnels relativement à cette question que le jugement est définitif. Ce
jugement éteint le lien juridique d’instance, il dessaisit le juge et a autorité de la chose jugée
dès son prononcé (et non force de chose jugée). Il peut encore faire l’objet d’une voie de recours.
Doit-on confondre « définitif » et irrévocable » ? Evidemment que non ! La précision est
plus que jamais nécessaire pour interroger ces notions juridiques. Selon toujours Gérard Cornu,
un jugement irrévocable se dit d’un jugement qui ne peut plus être attaqué par une « voie
extraordinaire de recours ». Ces voies de recours dites « extraordinaires » ou « spéciales »,
par opposition aux voies de réformation (appel et cassation) couvrent notamment, en matière
pénale, les voies de rétractation telles que la tierce opposition, le recours en révision ou la
rectification d’erreur matérielle, du fait que ces recours ont été exercés ou que les délais de
recours sont expirés ; « ne pas confondre avec définitif ».
Dès lors, il ne faut pas associer le jugement définitif, qui peut encore faire l’objet d’une voie de
recours, au jugement irrévocable, qui n’en peut plus.
Qu’en est-il du rabat d’arrêt ? Sinon qu’il n’emprunte au pourvoi en cassation que les actes
à accomplir dans le cadre du déroulement de la procédure. Dans sa légendaire sagacité
doctrinale, le Professeur El Hadj Mbodji, – oui lui il l’est et, c’est important, son savoir forge
l’admiration de ses disciples – fait noter, dans un article de doctrine intitulé « La mise à mort
du rabat d’arrêt. Observations s/c Conseil constitutionnel : 23 juin 1993 » in Revue
internationale de droit africain EDJA, n° 23, 1994, « L’erreur de procédure s’attache
essentiellement au non respect des formalités substantielles qui entourent la saisine du juge
compétent. Elle est un vice de forme et non de fond. Si en statuant au fond le juge commet une
erreur d’appréciation dans l’application de la loi, l’erreur qui en résulte affecte le contenu
de la décision sans ouvrir la voie au rabat d’arrêt ». Sous ces considérations, la recevabilité
du rabat d’arrêt est subordonnée à la réalisation de trois conditions cumulatives : une erreur de
procédure, une erreur imputable au juge et une erreur affectant la décision de justice.
Empruntant encore à l’émient auteur son propos, on peut dire que « la requête en rabat d’arrêt
concerne les affaires pour lesquelles le juge n’a pas eu l’opportunité de se prononcer sur le
fond en raison de son rejet pour irrecevabilité ». Si on est fondé à formuler une appréciation
sur l’affaire, on peut dire qu’il s’agit de « donner lieu à des manœuvres dilatoires de
justiciables de mauvaise foi » (tiré de l’article précité). Toutes choses dont on aurait sainement
épargné au requérant Khalifa Ababacar Sall.
Dans l’affaire en cause, il est par ailleurs allégué la composition irrégulière de la Cour parce
que siégeant en nombre pair. En l’espèce, il faut considérer que la seule mention habilitée à
faire foi est évidemment celle des « noms des magistrats qui ont rendu l’arrêt, le nom du
rapporteur étant spécifié. Ce qui ‘est contestable qu’à travers l’arrêt dûment délivré aux parties.
Au fond, dans des considérants de la Décision n° 3-E-2019 du 20 janvier 2019, le Conseil
constitutionnel a raison de ne pas faire prospérer le moyen tiré du caractère suspensif en jugeant
que « le rabat d’arrêt ne peut être assimilé à un deuxième pourvoi en cassation ». A ce
propos, il est éclairant de rappeler qu’en France une décision rendue en matière pénale devient
définitive, et par conséquent exécutoire, à l’expiration du délai de pourvoi en cassation ou lors
du rejet du pourvoi.
Par ailleurs, rappelons que pour avoir commenté la décision 006/CC/MC/ du 15 mai 2014, par
laquelle la Cour avait accusé le président du Parlement Hama Amadou, ex-allié du régime
passé en août 2013 dans l’opposition, d’être responsable du « blocage » de travaux au Parlement
et d’avoir, par conséquent, « violé la Constitution », un enseignant de droit s’est vu décerner un
mandat de dépôt puis écrouer à la prison civile de Niamey. Il aurait déclaré que la Cour a
« outrepassé ses attributions constitutionnelles », selon le Procureur de la République, pour qui
le juriste est allé « trop loin dans ses commentaires ». Cette poursuite semble trouver son
fondement dans une lecture combinée des dispositions du deuxième alinéa de l’article 134 de
la Constitution du Niger du 25 novembre 2010 qui dispose que « tout jet de discrédit sur les
arrêts de la Cour est sanctionné conformément aux lois en vigueur » et celles du premier alinéa
premier de l’article 171 Code pénal nigérien aux termes duquel « quiconque aura publiquement,
par des paroles ou écrits, cherché à jeter le discrédit sur un acte ou une décision
juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à
son indépendance, sera puni de un à six mois d’emprisonnement et d’une amende de 50. 000 à
500.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement. ».
C’est vrai que nous apprenons parfois des autres à nos dépens. L’exemple n’est pas
reproductible dans notre contexte. Je le comprends aisément, le Constituant sénégalais a
légitimement voulu magnifier notre belle tradition démocratique. Il ne nous reste qu’à le
mériter. Hélas, hélas, hélas ! Nos comportements ne cessent de le démentir. La raison est qu’il
« il se trouve toujours dans un pays des juristes de bonne volonté qui occupent leurs loisirs
à juger les juges et les jugements ».
Meïssa DIAKHATE
Maître de Conférences titulaire
Faculté des Sciences juridiques et politiques
Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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