Défense Nafissatou Diallo: Kenneth Thompson, l’avocat est noir, défenseur des faibles contre les puissants

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PORTRAIT – L’avocat noir qui est intervenu lundi devant les caméras du monde entier pour incarner Nafissatou Diallo a réussi sa mission. Ce quadragénaire a tissé des réseaux dans l’Administration américaine et travaillé avec un ex-patron de la CIA.

Il va falloir désormais compter avec lui. Jusqu’alors, le «match» opposait le procureur de New York, Cyrus Vance Jr, au ténor Benjamin Brafman. Un wasp sorti de Yale, fils d’un illustre ministre de Jimmy Carter, contre un petit Juif orthodoxe de Brooklyn, gouailleur et charmeur, ayant gagné ses galons au barreau à la force du poignet. Un troisième homme est entré en scène lundi. Un Noir américain, au verbe haut et à l’assurance tranquille.

 

Lorsque Kenneth Thompson a succédé à Benjamin Brafman devant les caméras, à peine l’audience levée à la Criminal Court de Manhattan, il n’avait qu’un objectif: incarner la «femme sans visage», devenir la voix de Nafissatou Dialllo, 32 ans, Guinéenne, employée du Sofitel de Times Square. Et l’avocat a parfaitement rempli sa mission. Il faut écouter chacun de ses mots prononcés face aux micros: «Nous allons protéger ses droits, parler en son nom et travailler avec le bureau du procureur.» La main tendue à Cyrus Vance a son importance, on le verra plus loin. Qu’a dit encore Kenneth Thompson? «La victime souhaite faire savoir à tous que le pouvoir, l’argent et l’influence à travers le monde de Dominique Strauss-Kahn n’empêcheront pas la vérité d’éclater sur ce qu’il lui a fait subir dans cette chambre.» Et l’avocat d’épeler ensuite son nom «T.H.O.M.P.S.O.N.», l’air de dire «Vous allez vous en souvenir»… La déclaration de guerre est claire, la bataille de communication engagée. DSK, et son bref «non coupable», venait de sortir du tribunal sous les huées d’employées d’hôtel mobilisées par un puissant syndicat local.

 

Un superbe loft de la 5e Avenue

Kenneth Thompson est apparu fin mai dans le dossier. Jeffrey Shapiro, le premier avocat, dont l’horizon professionnel se limite plutôt aux erreurs médicales, avait alors annoncé qu’il était fait appel aux services d’un spécialiste des droits civiques, Norman Siegel, un avocat introduit dans la communauté guinéenne de New York, et à Kenneth Thompson. Puis, rien n’avait vraiment bougé jusqu’à ces derniers jours. Tout juste, lorsqu’on l’appelait récemment sur son téléphone portable, Shapiro renvoyait-il sur son confrère sans autre précision. Lundi, Thompson s’est présenté comme le principal avocat de la victime présumée. À son côté, son associé, le blond Douglas Wigdor, restait muet mais paraissait tout aussi combatif.

 

Le quadragénaire est loin d’être inconnu au barreau new-yorkais. Preuve de sa réussite, son cabinet s’est installé dans un superbe loft de la 5e Avenue, non loin d’Union Square. Peu après le déménagement, en janvier 2009, le New York Times consacrait un long article à cet espace «lumineux» où Kenneth Thompson assurait que «le travail se fait sans qu’on s’en aperçoive». Pourtant, le brillant Noir américain n’a jamais dû cesser de travailler… Plongé d’abord dans les ouvrages de droit à la New York University dont il a été diplômé en 1992. Puis, comme la plupart de ses confrères, le jeune homme a d’abord exercé ses talents dans l’équipe du procureur fédéral, chargé du «Eastern District» de la ville.

 

Rapport sur le massacre de Waco

«La modestie n’est peut-être pas la principale marque de fabrique des avocats new-yorkais», dit, gentiment moqueur, l’un de leurs confrères, Christopher Mesnooh. Le site Internet du cabinet «Thompson Wigdor» consacre trois pages aux états de service de cet «experienced trial lawyer». Comme assistant du procureur, il a ainsi beaucoup fait parler de lui en soutenant l’accusation en 1999 contre des policiers condamnés pour avoir passé à tabac et torturé un Haïtien au commissariat de Brooklyn. Son nom est aussi associé à de retentissants dossiers de meurtres et de braquages de banques – ce qui lui vaut alors d’être distingué par le New York Police Department (NYPD). Ainsi qu’à des affaires de harcèlement et de violences domestiques. En poursuivant un conseiller d’un ancien gouverneur de New York pour un tel dossier, le procureur Thompson expliquait: la plaignante «espère qu’en faisant valoir ses droits elle va encourager d’autres femmes qui sont victimes de semblables violences à surmonter leur peur et à faire de même». Une déclaration prémonitoire quant à l’agression que Nafissatou Diallo a affirmé avoir subie dans la suite 2806 du Sofitel le 14 mai… En manifestant devant le tribunal lundi, les femmes de chambre de grands hôtels s’indignaient des comportements «inappropriés» des clients et réclamaient, par le biais de leur syndicat, d’être équipées d’un bouton d’alarme.

 

Après ses succès avec le District Attorney, Kenneth Thompson se tourne vers le privé. Là encore, parcours classique: après quelques années au parquet, les lawyers pantouflent, ne cachant pas qu’ils vont ainsi mieux gagner leur vie. Au cabinet Morgan, Lewis & Bockius, il se spécialise alors en droit du travail et donne même des cours de «prévention du harcèlement sexuel» à quelques présentateurs télé en vue et responsables d’entreprise. Mais c’est sur une autre dimension de Thompson, peu mise en avant, qu’il faut s’arrêter. En 1993, l’avocat a participé à la rédaction du rapport officiel remis au président Clinton sur le massacre de Waco, du nom de ce ranch du Texas habité par une secte et assiégé par les «fédéraux» la même année. Un lien avec l’Administration de Washington renforcé par son travail de juriste auprès du sous-secrétaire d’État au Trésor, chargé notamment des services spéciaux et de la lutte contre le crime organisé. Son patron d’alors, Ronald Noble, est désormais le secrétaire général d’Interpol, basé à Lyon. Et il a aussi travaillé comme conseiller au département juridique du Trésor sous Robert McNamara Jr, avant que ce dernier, nommé par Bill Clinton en 1997, ne devienne l’un des responsables de la CIA. Des relations, des réseaux que Kenneth Thompson a sans doute continué d’entretenir. Il ne faut sans doute pas négliger cette facette du personnage dans un dossier aux implications politiques et internationales évidentes.

 

Une femme «traumatisée»

Lundi, Kenneth Thompson a pris soin de mentionner, dans sa brève allocution, qu’il allait désormais «travailler avec le procureur». Pourquoi cette précision? Les spécialistes comprendront qu’il veut ainsi indiquer que, s’il défend les intérêts de sa cliente, il ne mettra pas pour autant de bâtons dans les roues du District Attorney. Or, pour Cyrus Vance Jr, Nafissatou Diallo est évidemment une pièce essentielle du dispositif. Viendrait-elle à flancher, à se rétracter ou simplement à modifier son témoignage et c’est toute l’accusation qui s’effondre. Or, même si la partie civile n’existe pas dans la procédure pénale américaine, on imagine mal le procureur se lancer dans un procès contre DSK sans pouvoir compter sur son témoin numéro un. Thompson a donc bien insisté lundi: la jeune Guinéenne est une femme «traumatisée», qui «a fait l’objet d’une agression sexuelle terrible» mais elle «témoignera» contre l’ancien directeur général du FMI. Peu importe la défense de ce dernier, qui évoque une «relation sexuelle consentie» ou des «éléments compromettants» sur la femme de chambre. Bluff et intimidation n’ont pas de prise sur nous: tel était le message destiné à DSK et ses avocats.

 

En outre, Kenneth Thompson n’a fait aucun commentaire sur une éventuelle procédure civile. Or, une telle initiative, jamais envisagée officiellement, ne servirait pas les intérêts du parquet qui préfère que la victime présumée n’arrive pas au procès pénal avec le profil d’une «pauvre immigrée motivée par l’argent». Encombrante réputation pour convaincre les jurés de sa bonne foi et de sa crédibilité…

 

Trois semaines après le scandale de l’interpellation de Dominique Strauss-Kahn à bord du vol Air France qui s’apprêtait à décoller de l’aéroport JFK, l’arrivée en force de Kenneth Thompson est une étape clé. Les premiers jours, où l’employée du Sofitel n’avait pour «interprètes» officiels qu’un «frère» – en fait un ami – s’exprimant depuis son petit restaurant de Harlem ou quelques responsables de la communauté musulmane guinéenne officiant dans une mosquée du Bronx, semblent déjà bien loin.

lefigaro.fr

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