Demi-tour en 2018! (par Amadou Tidiane WONE)

Date:

« Lors d’un défilé militaire, le dernier soldat en queue de procession n’a qu’une seule chance de devenir le premier : au moment où le chef crie, demi-tour ! Changement de direction. Changement de perspective. Changement de cap ! Ceci pour dire que, si dans l’ordre actuel du monde l’Afrique est en dernière position, la seule option pour les africains est la suivante : faire demi-tour ! »
C’est avec cette parabole pleine de sens, d’autres diraient de naïveté, que l’un de mes vieux amis suggère à l’Afrique et aux africains de se ressaisir et de reprendre leur destin en mains. Cela fait plus de trois siècles que notre continent est dépossédé de son sens de l’initiative. Réservoir d’esclaves, « taillables et corvéables à merci », l’Afrique a été humainement saignée à blanc au profit du développement de pays qui aujourd’hui nous endettent et nous narguent.
Nos terres maintenues en friches et notre sous-sol en réserve, les pays riches se sucrent depuis plus de trois siècles sur notre dos. La rhétorique paternaliste et condescendante en prime. Des pays qui, aujourd’hui, ferment leurs frontières à notre jeunesse en quête de labeur justement rémunéré alors que leurs ancêtres étaient embarqués par la force, en guise de main d’œuvre… gratuite, pour labourer leurs plantations et bâtir leur prospérité.
Et ça nous proclame l’universalité des droits de l’Homme…. Quels hommes ? Depuis quand d’ailleurs les noirs, surtout d’Afrique, sont-ils considérés comme des hommes ? Toutes les races se considèrent supérieures à la race noire. Une complicité intellectuelle tacite, fondée sur des clichés tenaces et des approximations « scientifiques » sujettes à caution, alimente le confort mental des esclavagistes, de toutes autres races, pour perpétuer une hiérarchie faciale inique, condamnable et par la raison et par la morale. Il est temps pour les élites africaines de se ressaisir puis de remettre en question, fermement mais surtout collectivement le désordre actuel du monde. Profondément. Vigoureusement. Définitivement. Il est largement temps de nous affranchir des prêt-à-penser lénifiants qui castrent nos intelligences et limitent leur déploiement. Je parle des courants de pensées, prétendument humanistes et universelles, qui confortent en fait un ordre du monde qui fait désordre. Je pense à l’histoire, écrite par les vainqueurs du moment, et qui nous confine dans des rôles de perdants définitifs. Elle nous fait mémoriser des histoires qui ne parlent que de nos défaites et qui ravalent les hauts faits de nos héros au rang de contes à dormir debout. Les médias les plus puissants contribuent à alimenter ce schéma, et à le sécuriser, en ne diffusant que nos contre-performances et nos difficultés. À chaque fois que l’on y parle de l’Afrique, notamment noire, il n’y est question que de pauvreté et de maladies. En plus de la transmission savamment mise en scène de guerres interminables avec des morts atroces pour souligner la sauvagerie des protagonistes. Noirs bien évidemment. On ne voit pas les mercenaires blancs qui sillonnent l’Afrique depuis toujours… Tout cela ne relève pas de la fatalité. Encore moins d’une malédiction. Cela procède d’un ordre du monde pensé et voulu comme tel par des puissances d’argent dirigées par les fabricants d’armes : les seuls à vivre de l’industrie de la mort !

Si l’on a compris que les forces colonialistes,

et impérialistes, qui dépècent le continent africain sont organisées autour d’un projet, et le conduisent sans états d’âme, l’équation devient simple. La question qui se pose désormais est, celle de savoir si les fils et filles de l’Afrique sont capables de mettre en œuvre une résistance intellectuelle résolue et puis d’engager le combat décisif, au besoin physique, pour déjouer les pièges tendus et entreprendre la libération de l’Afrique et sa reconstruction. Tout simplement. Cela ne peut se faire que par une véritable « mystique » pour ce continent, jaillissant d’un Amour viscéral pour ses populations, ses paysages magnifiques et son Histoire ante-coloniale prestigieuse. Mais surtout par un ardent désir d’offrir à nos enfants un avenir somptueux. Cela doit se faire par une exploitation judicieuse de notre énorme potentiel humain ainsi que de nos ressources naturelles inestimables.
Que nous manque-t-il alors ?
Il nous manque des élites politiques vertueuses et visionnaires. Il nous manque des élites économiques innovantes et pragmatiques. Il nous faut des populations éduquées et engagées. Tout cela est à notre portée si nous le voulons. Fortement. Collectivement. Mais d’abord, il nous faut remettre en cause et déconstruire le « système » ! Le système qui nous fait croire que développement rime avec occidentalisation. Le système vicié dans lequel la colonisation nous a installés. Le système que la plupart des gouvernants africains n’ont pas su ou pu remettre en question depuis les « indépendances” tronquées. Et pour cause : nos dirigeants sont éduqués par l’école coloniale qui, dès l’âge de cinq six ans, formate les esprits. Du jardin d’enfants aux universités. Cela produit des « cadres » craintifs, timorés et quasi incapables de réfléchir hors du dispositif cognitif et mental implémenté durant une scolarisation longue, bien des fois improductive. Les déchets scolaires sont nombreux, en effet, qui contribuent à démontrer l’inadaptation du volet éducatif du système. Qui s’en préoccupe ? Personne ! Nos écoles et nos universités produisent des milliers de chômeurs. Qu’à cela ne tienne tant qu’on peut entasser les nouveaux bacheliers dans des structures éducatives alibis, personne ne se préoccupe vraiment de leur avenir. Les gestionnaires du présent se contentent d’en jouir. Sans prospective. Sans perspective autre, par exemple, que « l’atteinte des OMD (Objectifs du Millénaire pour le développement !) ». Un des nombreux slogans creux mis au point pour mieux nous endormir. Pendant ce temps, nul n’anticipe sur les drames à venir. Les milliers de schizophrènes dégurgités annuellement par notre  » système éducatif » se noient dans la consommation de produits hallucinogènes dévastateurs, sombrent dans la dépression et le mal vivre. Qui n’a connu dans son environnement immédiat le naufrage d’un jeune pourtant promis à un bel avenir ?
Pour parler à l’Afrique, mon Continent, je lui parle à partir du Sénégal, mon pays. Celui dans lequel je vis et espère mourir. Pour y être mis en terre. Tellement j’aime ce pays. Ses populations. Sa nature. Son tout. Un pays mal servi par des élites trop occidentalisées. Des élites si complexées et trop fascinées par le modèle colonial français, ses belles lettres et sa rhétorique. Son protocole et ses ronds de jambe. Des élites qui imitent les blancs presque à la perfection ! Des élites qui s’épuisent à rouler les « r » et à a-r-t-i-c-u-l-er des mots clés pour renvoyer au maître une image rassurante de subordination. Je le dis sans ambages : nos élites francisées sont l’alpha et l’oméga du mal Sénégalais et africain. Ne tournons plus autour du pot ! Regardons-nous dans une glace. L’image est sans appel : nous avons vainement singé les blancs. Hélas. Nous sommes devenus plus singes que blancs ! Demi-tour !
Et cela et d’autant plus urgent que notre pays va devenir un pays « riche ». Les guillemets s’expliquent par la fragilité de ce mot et sa dangerosité. Les ressources naturelles et minières qui se font jour au Sénégal peuvent en effet constituer une opportunité pour changer le cours de notre Histoire. Dessiner un avenir radieux pour nos enfants. À la condition de mettre les moyens obtenus au service d’une Vision généreuse et bienveillante pour nos populations. À l’inverse, ces ressources peuvent virer à la malédiction. Pour peu que des appétits féroces, affairistes et mafieux, claniques et familiaux, prennent le pas sur l’intérêt général. Combien de pays pétroliers africains sont plongés dans le chaos et la misère ? Ce n’est donc pas faire preuve de pessimisme que d’anticiper sur des scénarios catastrophes. Il s’agit juste d’une lucidité extrême face à la faculté humaine de porter ses instincts animaux au delà du pire. Que de charniers pour en attester ! Que de pays meurtris par la voracité de quelques individus ! Tirons donc les meilleures leçons du destin pétrolier de Dubaï versus celui du Congo Brazzaville et faisons le bon choix. Nul besoin de faire un dessin… Si certains esprits racistes affirment l’incapacité de l’homme noir à construire sa propre vie, la plupart des chefs d’Etats africains leurs donnent raison. Ils préfèrent posséder des biens à milliards dans les capitales occidentales que de construire des hôpitaux et des universités pour leurs populations. La tragi-comédie commence lorsqu’ils sont réduits à payer, très cher, des avocats pour sauver ce qui peut l’être de ces biens mal acquis. Depuis qu’il est devenu de mode de les traquer. Des procureurs zélés sont lancés à leur trousse par…leurs tuteurs occidentaux. Suite à des dénonciations d’ONG qui chantent au rythme de la géopolitique des puissants. On ne traque pas partout. On sévit en Afrique. Comme depuis toujours. Inintelligence des élites politiques africaines ? Malveillance pour leurs populations ? En tous cas, voilà le résultat !
À y regarder de près, on se demande qui conseille nos Chefs d’Etat ? Si nous regardons, juste à partir de quelques exemples tirés de l’histoire récente de quelques pays africains depuis l’indépendance, on voit bien que l’enrichissement excessif des hommes politiques finit toujours mal. De Bokassa Premier au Président Mobutu, nous avons un échantillon représentatif de ce que bien mal acquis ne profite jamais. Par ailleurs, les leaders africains que l’on chante, de Lumumba à Sankara, sont les purs. Les visionnaires. Ils ont une place dans le panthéon du cœur de chaque africain. Leurs exemples donnent des raisons d’espérer aux Nations et aux jeunesses africaines. Ils ont planté des graines qui jamais ne meurent ! Quant aux autres, ils ont rejoint les poubelles de l’Histoire.
Au vu de tout cela, il faut faire demi-tour pendant qu’il en est encore temps ! Refuser les tapes amicales sur le dos des aventuriers qui viennent, au mépris de nos valeurs, de notre identité et de nos intérêts, s’empiffrer sur notre dos. Le temps du pragmatisme éclairé est enfin venu. Soixante années après les « indépendances » il est temps de gommer les guillemets ! Impossible disent les pessimistes définitifs. À notre portée disent les optimistes raisonnables. Le prix à payer étant un regain de courage et d’efficience. Mais surtout de profondeur dans la Pensée, puis de constance et de résolution dans l’Action. Dans la durée. Tout le contraire du système hérité de la colonisation. Un système qui a tropicalisé tous les défauts du système politique français et presque aucune de ses qualités. Pire, le jeu politique, tel qu’il se déroule dans la plupart des « démocraties » tropicales, tourne bien des fois à la bouffonnerie macabre. Nous avons en effet connu les Présidents à vie, les maréchaux auto proclamés et…l’empereur de triste mémoire ! Puis, pour donner le change, l’Occident a mis au point le système des « démocraties » au multipartisme débridé et nous l’a vendu comme la panacée. Or, ce système divise nos forces (près de trois cents formations politiques pour le Sénégal). Il réduit l’activité Politique à des palabres interminables. Tout se passe comme si la politique c’est simplement parler à qui mieux. Sans impact décisif ou transformationnel. Les élections se suivent. Les messages de félicitations des grandes puissances étant le baromètre de leur succès. Les différentes institutions, vidées de leur substance ne sont que des caisses de résonance pour le pouvoir central. Pourvoyeur de fonds et de postes, le Chef de l’Etat élu ne pense qu’à rester le plus longtemps possible au Pouvoir. Il corrompt et soudoie toutes les tentations de ramer à contre-courant. Il finance un unanimisme de façade qui cède à la première déconvenue électorale et pousse à la transhumance le…bétail politique ! Pauvres de nous ! Le « jeu » politique n’est même plus…intéressant. Les acteurs vieillissants se jouent de l’impatience de jeunes acteurs aux dents si longues que les compromettre est aisé. Le système à donc de beaux jours devant lui. La corruption, la concussion, et tous les nouveaux mots savants qui disent la même chose, renvoient à des lendemains qui déchantent le mieux-être que nous devons à nos populations.
« L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé. » Selon Théodore Monod.
Alors, demi-tour !
Pour renouer avec nos trajectoires initiales expurgées de toutes les valeurs négatives, anachroniques ou obsolètes, et enrichies par les « apports fécondants » de tous les souffles du Monde. Cela est possible. Cela est à notre portée. La parole phare de Frantz Fanon nous interpelle, et nous accuserait le cas échéant :
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, trouver le sens de sa mission, la remplir ou la trahir « .
Remplir la mission ou la trahir…
Tout est dit !
Amadou Tidiane WONE
[email protected]
www.lesexigeants.com

11 Commentaires

  1. Quelle puissance dans ce texte j’ai envie de dire comme toujours
    Je ne cesserai de me demander comment un homme comme Monsieur Wone a pu être un ministre de Wade mais c’est un détail
    Ce texte me plait et surtout me rassure car à observer le débat politique on serait tenté de lâcher l’affaire comme on vit vulgairement
    Merci Mr Wone pour ce beau texte
    Pape Ndiogou Mbaye

    • A Mr Pape,
      Vous semblez faire l’impasse sur un détail qui a son importance : Me Wade est aussi un intellectuel… Pourquoi êtes-vous surpris qu’un intellectuel de la trempe de Mr Wone puisse cheminer un moment avec le Professeur Wade? Avez-vous lu ce grand le grand sage qui déclinait ses pensées en ces termes : tout ce qui s’élève converge… Votre étonnement de la proximité de Mr Wone et de Me Wade m’étonne…
      Salutations fraternelles.

  2. Pensée profonde authentique, diagnostic sans appel et prescription incontestable. Le Fils d’un Médecin a beau devenir poète mais la démarche du Médecin va rester en lui: Rigueur, logique et courage dans l’analyse. Merci M WONE pour cette réflexion-cadeau extrêmement importante et utile pour le Sénégal, notre Sénégal, et son destin. Vous illustrez à nouveau votre amour et attachement profond pour le Sénégal, votre pays, comme vous l’avez toujours exprimé, publiquement ou dans l’anonymat lorsque vos fonctions vous y astreignaient. Ceux qui vous connaissent ne sont guère surpris que le Fils de l’illustre Professeur Docteur Médecin que vous êtes soit dans cette posture patriotique. J’exhorte votre génération, qui est témoins de tout cet élan avorté de 60 ans par le simple fait d’une mauvaise direction, à rejoindre vos efforts pour remplir sa mission et non la trahir, en embrassant, aidant, encadrant et accompagnant la nouvelle génération consciente décomplexée, du début à la fin, pour qu’elle puisse remplir à son tour la mission ultime et non la trahir, tout en étant avisée et résolue à rectifier le tir complexé, égaré, égareur et égoïste de leurs prédécesseurs. Chaque bébé a eu besoin d’un Tété pour marcher. Diouf a eu un long Tété de Senghor. Sall a eu un long Tété de Wade. Autrement, ni Diouf ni Sall n’aurait réussi à faire un si long pas. Un Tété ne provient pas toujours d’un président. Senghor, Wade, Weah, Adama Barrow sont là.
    Nous ne sommes pas des toubabs et nous ne le serons jamais. Que chacun fasse son propre teste: aller devant le miroir et voir s’il ou elle ressemble plus au singe qu’au blanc ou non. Qu’il ou elle ait ensuite le courage et l’honnêteté de nous dire le vrai verdict.
    Si on veut soigner une maladie une maladie, il ne faut pas se tromper sur son diagnostic, sinon la maladie ne sera jamais guérie.

      • En effet. Mais dans ce cas nous entrons dans des thèses probabilistes…avec des si et des si non maîtrisés on rentre dans le hasard et le pilotage à vue. Je n’aimerais pas que mon médecin me traite en misant se tromper sur ma thérapie parqu’il doute se tromper sur mon diagnostic. Je vous laisse le loisir d’opter sur ces approximations et rattrapages si vous voulez. Moi, je préfère un diagnostic sans erreur pour une thérapie qui correspond exactement à ce diagnostic. Je suis exigeant. Vous avez vu où est ce que 60 ans d’approximations et de pilotage aveugle amateur ont conduit le Sénégal et l’Afrique. Je fais miens l’approche du pilote d’avion de ligne. Aucune erreur. Pas de rattrapage chanceux par des manœuvres imprévues. Que du professionnalisme, du savoir et la maîtrise.

        • Je suis en parfait accord avec vous. Pour être efficace, utile, douée de sens, une action s’inscrit certainement dans la maîtrise des savoirs et l’organisation.
          En Afrique, nous n’avons pas pu recouvrer réellement notre indépendance. Surtout en Afrique francophone… Une élite extravertie met en oeuvre des programmes politiques et économiques au service des puissances extérieures. Programmes que nous percevons comme des tâtonnements, du  »pilotage aveugle amateur », qui n’en sont pas pour les dominateurs au services desquels cette élite (africaine) en rupture de ban avec les peuples d’Afrique.
          Ne vous méprenez pas sur mon intervention quant à votre post. La complexité des situation me pousse à laisser place au doute…

          • Merci. Vos interventions ont enrichi le débat. Les autres peuvent donc en tirer profit. Comme il est agréable et facile de discuter avec quelqu’un de bonne foi!

        • Cher « Anonyme »
          Mr A. T. Wone a placé la barre à un niveau très élevé et votre réaction a approfondi le débat. Soyez-en sincèrement remercié.
          je suis très touché par vos remerciements.
          Merci.
          Fraternellement.

  3. Chers « Anonyme » et « Perspicace » vous êtes tous deux anonymes et perspicaces. A n’en point douter je suis honoré d’avoir donné l’occasion d’un débat si inspirant… Au plaisir de recevoir de l’un et de l’autre un mail qui prolongera le débat dans l’anonymat… moins virtuel cependant!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

« Ils/elles mordent la poussière, malgré leurs énormes avantages de départ » (Par Mody Niang)

Je débutais, et concluais souvent mes audios comme mes...

Très beau discours (Par Pape Kalidou Thiam)

S'adresser à l'autorité suprême de la Mouridya est un...

L’Apr dans l’opposition : pour un parti structuré et conquérant (Par Aliou Ndao Fall)

Cette armée mexicaine créée le 1er décembre 2008 par...

La presse sénégalaise, un secteur à assainir (Par Ngor Dieng)

« La presse est le miroir de la société,...