Des interpellations de l’eau dans la cité de Touba. (Par Moussa Kanté).

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D’une ascension ou extension fulgurante, à tous les paramètres de considération et ou développement de l’urbanité, l’espace «toubien» s’est organisé autour de la mosquée et par intégration progressive de villages satellites fondés par Amadou Bamba et par ses disciples. A ce centre principal fait suite des centres secondaires et ou de quartiers d’où Cheikh Guéye parlait de multi centrée. Avec un statut d’exterritorialité, la gestion urbaine et la construction d’infrastructures de base depuis le début sont menées par les khalifes généraux ou de familles, qui marquent ainsi leur règne. Et à force de croitre, Touba est devenue la tête de file incontestable de cette vague de villes religieuses émergentes du Sénégal. Elle offre une panoplie de commodité en termes d’infrastructures, de services, de dispositifs d’insertion, de débouchés… faisant son attractivité. Toutefois, cette croissance s’accompagne ou s’encombre naturellement de besoins, nécessités, exigences, revendications, au nombre desquels, l’équation de l’eau est des plus cruciaux et récurrents.
L’eau toubienne est une nébuleuse. En effet, de la gratuité annoncée, à l’absence de qualité accusée, en passant par l’insuffisance à intensité échelonnée zonalement et périodiquement (sa spatialité et sa périodicité) ; la casse tête de l’eau toubienne n’a pas fini d’angoisser les différents acteurs. C’est un fait que la périphérie, en continuel étirement, est plus mal lotie. Un exemple typique de Xanthiane ou quartier périphérique est celui des immigrants ruraux ndindois, installés dans un quartier périphérique Oumoul Khoura (en arabe la mère des cités par référence à la Mecque). Ces ndindois dont la majorité viennent du village de keur Awa, se sont installés sous l’instigation de leur guide Serigne Cheikhouna Mbacké. Aussi, Touba est un lieu pertinent d’exploration pour la géographie de la santé par constat des conséquences sanitaires de l’eau : avec des épidémies passées de choléra, et une forte prévalence de la typhoïde, de l’hypertension, de la pré-éclampsie…
Réseau et ravitaillement d’eau à Touba 
Malgré les pénuries, Touba a un réseau d’adduction d’eau envié dans la région. Selon l’enquête de la Sénagrosol, plus de 80% de l’échantillon (immigrants ruraux installés sur place) ont accès à une borne fontaine. La CR de Touba ne dispose ni de littoral, ni de cours d’eau, et les seules sources d’approvisionnement en eau potable sont les forages. Ces forages sont interconnectés excepté celui d’Aïnou Rahmati (eau bénite). Avec environ 29 forages fonctionnels ; il a été noté une inégale répartition des forages avec 88% des infrastructures localisées dans la zone urbaine (Modou Loum, ENEA, 2009). La capacité de production de la cité est néanmoins, rarement atteinte à cause des fréquentes coupures d’électricité, des pannes des moteurs, et des importantes fuites d’eau. Les populations s’alimentent aussi dans des puits protégés situés dans les villages de Ndock et Saté, et dans les locaux de l’ONG Matlaboul Fawzaini. Touba dispose entre autres d’environ12 châteaux d’eaux, de réservoirs au sol. Il existe également plusieurs bassins publics de capacité utile variant entre 10 et 100 m3 et de nombreux bassins de stockage dont la capacité peut varier entre 20 et 100 m3. L’étanchéité médiocre de ces bassins est à l’origine de pertes d’eau considérables. Dans les quartiers périphériques où le réseau de distribution est insuffisant existent des bornes fontaine qui permettent aux populations riveraines de s’approvisionner en eau. Tout ceci est sans compter avec la vente à grande échelle de l’eau minérale conditionnée en sachets plastics ou bouteilles caoutchouc mais aussi les systèmes de distribution d’eaux par charrettes et citernes.
L’eau de Touba ou une gratuité et une qualité incertaines
L’eau de Touba nourrit bon nombre de controverses tournant principalement autour de sa gratuité et de sa qualité. Touba est réputé être le lieu où l’eau ne se paie pas, cela, depuis le temps de Serigne Fallou qui selon les témoignages après l’installation de forage(s) y décréta la gratuité de l’eau. Toutefois, cette gratuité semble de moins en moins considérable. Du fait d’une qualité douteuse, la population se rue pour la boisson, sur l’eau vendue en emballage caoutchouc ou plastic. Les griefs portés à l’eau des forages sont la salinité « ndokh mou nékhoul », source de maladies, notamment, chez les femmes enceintes. Le député Cheikh Seck, confirme que «la récurrence de la pré-éclampsie à Touba et ses environs est bien liée à la mauvaise qualité de l’eau des forages». Et il déclare que le taux de mortalité maternelle à Touba et à Darou Mousty est si alarmant « que nous sommes en train de réfléchir à un projet de mise en place d’une pouponnière pour accueillir le nombre important de nouveau-nés orphelins ». Cette mortalité est aussi liée à la forte prévalence de l’hypertension artérielle chez les femmes enceintes. De même la fièvre typhoïde fait des ravages, selon le Docteur Mamadou Dieng : « le mal est étroitement lié à la qualité de l’eau et au niveau d’hygiène individuelle et collective.» Tout ceci sans compter avec l’eau souillée (dans le trajet du prélèvement et à l’usage) menant notamment au choléra dont Touba est souvent un foyer émetteur : « Au Magal, pèlerinage religieux à la ville sainte de Touba, région de Diourbel (mars 2005), qui a réuni en trois jours près de deux millions de pèlerins dans une zone déficitaire en eau potable et où la contamination du réseau d’adduction par des vibrions était déjà confirmée…En 2007-2008, les bouffées épidémiques ont été notées dans huit régions dont les plus touchées étaient celles de Diourbel et de Dakar…Les deux facteurs majeurs d’explosion épidémique au Sénégal ont été les grands rassemblements religieux de populations et les inondations. En 1973, le Magal de Touba avait réuni près de 600 000 pèlerins, et entraîné la première explosion épidémique de la septième pandémie du choléra au Sénégal. Le déficit en eau potable et la vente de boisson dans des sachets de fabrication artisanale avaient été les principaux facteurs déterminants. » (Diop B.M, Manga N.M, Dia D, Diop S.A, Ndour C.T, Seydi M, Soumaré M, Sow P.S, 15è colloque CEMI 2010 Paris). Si «86°/° pensent que la qualité organoleptique de l’eau est bonne. Néanmoins, 29,5°/° pensent que l’eau de boisson a un goût salé, 17°/° une coloration rougeâtre ». (Racine Kane, 2004). Ainsi, exceptées les populations démunies surtout de la périphérie, l’eau des forages et citernes mobiles n’est pas consommée comme boisson mais seulement pour les travaux domestiques et autres, d’où une gratuité déguisée :«la chère gratuité de l’eau», une qualité décriée et sacralité en débat : le chauffeur d’un citerne Modou Ndiaye explique que «le développement de Touba a aujourd’hui atteint un niveau tel que seuls ceux n’ayant pas un minimum de moyens ou d’autres solutions consomment cette eau qui est de plus en plus réservée aux travaux de construction, le linge et les toilettes. Parce que pas de qualité» (le populaire, Samedi 22 Janvier 2011). Ce soupçon sur la qualité est corroboré par les investigations de (Kane, 2004) : « Les caractéristiques physicochimiques montrent une minéralisation importante chlorurée sodique…En effet, la présence de coliformes et de streptocoques fécaux a été signalée dans des échantillons d’eau prélevés à la sortie d’un forage et d’un puits protégés. Aussi la présence massive de coliformes et de streptocoques fécaux a été signalée dans plusieurs bassins publics de stockage de l’eau. » Ainsi, au-delà de la psychose, par les pratiques de distribution, de consommation, et l’analyse physicochimique, la qualité de l’eau toubienne est mise en cause.
Les interpellations de l’eau de Touba 
Le questionnement que soulève l’eau de Touba est à articulations multiples : en plus de la gratuité et de la qualité décriée (voir en haut), mais aussi du débat sur la sacralité. La quantité d’eau nécessaire surtout et l’évacuation des eaux usées font l’objet d’équations auprès des autorités. En effet, les pénuries d’eau sont une réalité à Touba même en temps normal, 58% des familles sont confrontées à ce problème. Les quartiers périphériques sont les plus touchés. La psychose des pénuries pousse les familles à se doter de bassins de stockage à domicile. Cette pénurie presque permanente n’en cache pas moins une disponibilité temporaire et zonale (en période de non cérémonie et dans le centre urbain) motif de gaspillage et d’écoulements: «Au Sénégal, en 2004, 92% de la population avait accès à l’eau potable tandis que 57% seulement avait accès à un système adéquat d’assainissement…la plupart des politiques de l’eau sont orientées vers l’accès à l’eau potable….Or chaque fois que l’accessibilité à l’eau est améliorée dans une région, on multiplie de façon exponentielle les rejets d’eaux usées… » (Dr Seydou NIANG, 2007). De cette situation, l’adjoint au gouverneur de Diourbel, Adama Baye Racine Ndiaye, avouait le local incompétent voire incapable à en venir à bout, il s’exprimait ainsi au terme d’une visite effectuée au déversoir des eaux usées situé sur l’axe Touba-Dahra Djoloff. (APS, 5 août 2008)
Les stratégies d’adaptation mises en branle par les populations et autorités :
Du fait que l’eau est saumâtre, certaines familles préfèrent acheter à 200 FCFA le bidon de 20 litres d’eau douce de puits. Le business de l’eau conditionnée minérale incontournable est florissant mais favorise l’arnaque par contrefaçon. « J’achète pour la consommation de ma famille au moins 500 francs d’eau industrielle par jour…sans compter les sachets de 25 ou 50 francs que les différents membres de ma grande famille consomment chaque jour, cela me revient à moi facilement à 15 000 francs par mois…», explique un concierge dit Jëwriñu Serigne Touba (le populaire, Samedi 22 Janvier 2011). Le filtrage, la javellisation, le creusement de fosses sceptiques de fortune sont coutumiers aux toubiens. La mise en disposition de moyens de stockage et de citernes de ravitaillement surtout en temps de Magal fait partie des solutions transitoires des autorités à Touba. Ce défi de l’eau à Touba, quoique, encore manifeste à connu une prise en compte par les autorités locales, centrales, mais aussi par les aspirants (mourides) qui continuent d’ailleurs à se mobiliser pour la cause. C’est ainsi que des travaux d’assainissement de la ville (canalisation des eaux de pluies notamment) ont été effectués par Serigne Saliou. Les stratégies de prévention du choléra initiées par les autorités sénégalaises, en collaboration avec le service des Maladies Infectieuses, ont permis d’arrêter l’épidémie. Elles ont consisté à assurer l’approvisionnement en eau potable des pèlerins lors des grands rassemblements religieux avec le concours des sociétés de conditionnement de l’eau minérale, la chloration des bassins d’eau à ciel ouvert et l’amélioration de l’adduction en eau de Touba. Dans ce sens un château d’eau a été érigé à Oumoul khoura, qui à l’image de Touba connait une urbanisation rapide. À notre visite de 2008 les nombreux abris de fortune d’alors ont cédé la place en 2019 à des maisons en dure dont certaines sont luxueuses. Les boutiques d’eaux filtrées, une probable solution sont encore rares. L’Etat a soulevé le problème de la gratuité insoutenable par l’intermédiaire du ministre Mansour Faye ce qui lui a valu les foudres de députés toubiens (Cheikh Mbacké Doly et Cheikh Abdou Mbacké). L’ex président Wade, lors de sa récente visite a demandé au Khalife le ‘’ndigueul’’ de prendre en charge la question de l’eau et par ricochet d’implanter des fermes notamment le long de l’autoroute ILA TOUBA par le biais de son cabinet d’études.
En somme, avec les installations irrégulières «Les Xanthianes, la tache noire de Touba », (Boucar Aliou DIALLO, 2009), le défaut d’espace vert, l’absence de services de sécurité à la périphérie, l’équation de l’eau constituent à Touba la cheville d’Achille, l’entorse au prestige, au paternalisme, en vigueur dans la cité désignée ville modèle par la IIème conférence des Nations Unies sur les établissements Humains, tenue à Istanbul en 1995. L’affirmation de la gratuité insoutenable est certes incontournable mais devrait être précédée de solutions à la quantité et surtout à la qualité, d’où cette eau purifiée pourrait être rémunérée par la population comme elle le fait déjà avec l’eau des privés. Cette épuration de l’eau est d’ailleurs un besoin dans beaucoup de contrées du bassin arachidier en témoigne la ruée vers les boutiques d’eau filtrée et autres privés. En attendant, Touba la surprenante et impressionnante «miracle posthume» du grand guide connaît encore l’écart entre la réalité vécue et l’idéal escompté des aspirants ou mourides.

Moussa Kanté, géographe chercheur à l’école doctorale
des sciences de l’homme et de la société(EDSHS), UGB

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