Devoir de réserve : mon œil !

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Au pays de la Teranga, un usage républicain obsolète hérité de la colonisation française veut que les fonctionnaires de l’Etat observent dans l’exercice de leurs fonctions et attributions une obligation de réserve absolue. Ainsi, les fonctionnaires sont tenus de se conformer scrupuleusement à ce devoir indépendamment de leurs convictions sous peine de sanction. Le législateur sénégalais à travers cette disposition veut imposer aux agents publics une omerta non négociable afin que le peuple ne puisse pas connaître des manquements graves aux affaires publiques.
La sortie du magistrat Ibrahima Hamidou Dème a permis de soulever encore une fois de plus un coin du voile sur le dysfonctionnement de la justice sénégalaise. Notre compatriote a pris ses responsabilités au risque d’une sanction par ses pairs magistrats en démissionnant du Conseil Supérieur de la Magistrature pour dénoncer de manière ouverte et courageuse la volonté manifeste du pouvoir exécutif à vouloir instrumentaliser le pouvoir judiciaire. Certains membres de la mouvance présidentielle se sont offusqués de son appel à une indépendance réelle de la justice et ont subitement mis en exergue son devoir de réserve afin de mieux décrédibiliser son argumentation. Ils lui reprochent sa lettre ouverte au président Macky Sall accessible par voie de presse au peuple souverain. Le magistrat Dème a souhaité porter à l’attention des citoyens sénégalais les raisons pour lesquelles il a souverainement décidé de bonne conscience et en vertu son regard objectif sur les principes intrinsèques de la justice de démissionner du Conseil de la Magistrature , qui à ses yeux ne remplit pas entièrement ses fonctions et n’est pas entièrement au service du peuple.
Les autorités de la République ont tendance à torpiller la liberté d’expression des citoyens sénégalais. Cette obligation de réserve des fonctionnaires est une anomalie grave lorsque les intérêts du peuple souverain sont bafoués. Dites nous pourquoi les agents de l’Etat, qui sont avant tout des citoyens sénégalais , doivent se taire dans l’exercice de leurs fonctions en présence des cas compromissions à l’éthique et des manquements préjudiciables à la société ? Soit vous voulez seulement qu’ils informent l’organe partisan de régulation au sein de leur administration sans suivi réel et sans une volonté manifeste de faire la lumière sur les dysfonctionnements constatés ? Vous saviez mieux que nous les autorités de nos services publics veulent maintenir le système actuel de sujétion des agents pour ne pas perdre leurs privilèges et de maintenir les administrés à l’écart des affaires publiques. Dites nous encore messieurs pourquoi les fonctionnaires doivent observer le silence des momies sur des cas avérés de népotisme, de malversations financières ou de détournement de deniers publics ?
Une réelle politique de bonne gouvernance exige que les fonctionnaires de la puissance publique doivent être les acteurs de premier plan pour impulser le changement des mentalités. L’Etat doit les encadrer et les inciter non dans la délation systématique, mais dans le culte de la sauvegarde du bien public. Ainsi, le fonctionnaire qui constate des cas de mauvaise gestion ou des manquements dans le système managérial doit pouvoir le dire et le porter à la connaissance du peuple à partir du moment où il estime que les autorités de la République ne prennent pas assez au sérieux la défense des intérêts supérieurs de la nation.
C’est un travail de salut public qui doit être au cœur de nos administrations. Le fonctionnaire doit être affranchi de cette disposition inique et poujadiste à chaque fois que les intérêts de la société sont menacés et bafoués par des responsables politiques ou étatiques.
Il est impératif pour nos autorités publiques soucieuses d’une gestion rigoureuse de nos ressources humaines et économiques de ne pas mettre cet épée de Damoclès sur la tête des agents publics. Ces derniers doivent être protégés et encouragés afin qu’ils puissent s’armer de courage et détermination pour dénoncer les nombreux cas de malversations ou de gestion clientéliste de nos sociétés et administrations publiques et non les livrer à la vindicte populaire et aux insultes des thuriféraires du régime de son Excellence le président par défaut Macky Sall . L’omerta, cette culture du silence sur les scandales ou sur les dysfonctionnements, qui est la règle dans nos administrations doit être combattue avec vigueur en vue de l’émergence d’une République ancrée sur les valeurs de probité, d’éthique et de justice .
Le magistrat Dème ne doit pas être sanctionné par ses pairs. A mon avis, il n’a commis aucune faute dans l’exercice de ses fonctions en rappelant à juste titre la position et la place de la justice, garante du respect des règles juridiques et des libertés publiques dans la République du Sénégal. Il ne doit nullement subir le même sort que monsieur Ousmane Sonko , le commissaire Keita ou le colonel Ndao ect…. Beaucoup de fonctionnaires ont peur de dénoncer les agissements scandaleux de leurs autorités hiérarchiques afin de ne subir les foudres de la sanction administration , qui les maintient dans le déni et dans l’irresponsabilité d’assumer ouvertement leurs principes d’une bonne gestion des ressources publiques.
On ne peut plus se cacher sur ce procédé fallacieux de devoir de réserve pour continuer à spolier de manière éhontée l’argent du contribuable sénégalais. Accepter ou faire appel à cette obligation de réserve revient stricto sensu à faire le lit de la lâcheté, de l’irresponsabilité, de la cupidité, de la soumission abjecte, de la mauvaise gestion, des compromissions, du mensonge, du larbinisme au détriment du courage, de la défense de l’intérêt général, d’une gestion éthique et efficiente de nos ressources publiques de la justice, de la protection des droits des citoyens sénégalais .
Il est grand temps de sortir de cet héritage colonial pour promouvoir le culte du don de soi, de l’altruisme, du patriotisme et de la défense des catégories sociales les plus vulnérables. En effet, cette obligation de réserve ne sert qu’aux plus favorisés de la société , qui peuvent continuer impunément à se servir sur nos ressources publiques et à sauvegarder ad vitam aeternam leurs intérêts et privilèges au détriment du peuple confiné dans les méandres de la pauvreté.
En tant que citoyens, nous n’avons l’obligation de briser le silence sur les menaces réelles qui pèsent de jour en jour sur le vivre ensemble et de refuser la confiscation de nos droits, l’accaparement de nos ressources publiques par une élite de profiteurs voire de politiciens professionnels.
Nous devons également en tant que citoyens combattre l’impunité sous toutes ses formes, les privilèges indus, une justice inféodée aux ordres du pouvoir exécutif, une justice partisane qui protège les puissants, les riches, les favorisés du système politique sénégalais, une certaine clientèle maraboutique et qui demeure sévère et intransigeante vis-à-vis des couches les plus défavorisées de la société.
J’en appelle à l’éveil de conscience de tous mes compatriotes soucieux du respect véritable de l’Etat de droit, symbolisé par une justice indépendante et qui au demeurant le dernier rampant contre l’arbitraire, l’abus de pouvoir et l’oppression des faibles, des sans voix par les détenteurs de la puissance publique ou des lobbies politico-affairistes du Sénégal .

Massamba Ndiaye
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