Dix neuf (19) mars 2000, vingt-cinq (25) mars 2012 : deux alternances sœurs « siamoises ». Par Mody Niang

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Nous nous honorons d’avoir réalisé deux alternances exemplaires, saluées par pratiquement par toute la communauté internationale. La première intervenait le 19 mars 2000. Ce jour-là, le peuple sénégalais, dans un même élan, portait au pouvoir Me Abdoulaye Wade. Ce dernier bouclait alors vingt-six (26) ans d’opposition au cours de laquelle il a essuyé quatre défaites à l’élection présidentielle : 1978, 1983, 1988, 1993.

Cette première alternance était grosse de promesses de rupture, d’une meilleure gouvernance. Les Sénégalais étaient d’autant plus fondés à croire à ces promesses que, pendant vingt-six ans, Me Wade avait en bandoulière son fameux slogan le SOPI (le changement). Ils s’attendaient donc, les pauvres, à des lendemains qui chantent. Malheureusement, ils ne mirent pas beaucoup de temps à déchanter, à sortir de leur bulle d’air : les premiers actes de gouvernance du  nouveau Président de la République (PR) s’inscrivaient davantage dans le statu quo que dans le changement attendu. Point n’est besoin de s’appesantir, outre mesure, sur cette gouvernance jalonnée pendant douze longues années de scandales gravissimes, suffisamment connus des Sénégalaises et des Sénégalais pour qu’on ait besoin de s’y attarder.

S’y ajoute que, d’avril 2000 à avril 2012, la parole donnée n’avait plus aucune valeur et que, pendant cette longue période, nos institutions ont été piétinées. Même nos compatriotes qui les incarnaient n’étaient pas épargnés par l’ancien PR, qui n’hésitait pas à corrompre certains d’entre eux avec ses lourdes enveloppes. Malgré ce bilan moral peut reluisant, le vieux président s’accrochait au pouvoir et faisait feu de tout bois pour décrocher un troisième mandat. Le peuple sénégalais ne l’entendait évidemment pas de cette oreille et lui donnait un sérieux avertissement, un véritable coup de semonce le 23 juin 2011. Moins d’un an après, le 25 mars 2012, c’était le coup de grâce : le vieux président était  confiné dans ses 35 % du premier tour et son challenger, le candidat Macky Sall, était triomphalement élu avec 65 % des suffrages exprimés. Une page se fermait ainsi, une autre s’ouvrait. Le Sénégal connaissait sa deuxième alternance démocratique et les Sénégalais, dont le souhait et la volonté longtemps exprimés d’élire un Président de la République (PR) né avant l’indépendance était exaucé. Le nouveau président portait donc les espoirs de tout un peuple, et, principalement, celui du 23 juin 2011.

Le candidat Macky Sall avait beaucoup promis, notamment des changements majeurs dans la gouvernance du Sénégal. Il s’engageait ainsi, une fois élu, à nommer un gouvernement de vingt-cinq (25) membres, à réduire de façon drastique les agences, à mettre en œuvre une politique « sobre, vertueuse, transparente et efficace ». Nous n’oublions pas, non plus, son fameux slogan « La Patrie avant le parti », ni qu’Il s’était engagé à appliquer les conclusions des « Assises nationales du Sénégal » dont il avait paraphé, sans réserve, « La Charte de gouvernance démocratique ».

Dans trois mois et demi environ, le successeur du vieux président bouclera la quatrième année de son magistère. Au lendemain de son installation officielle comme quatrième Président de la République, il avait nommé un gouvernement de 25 membres, comme il s’y était engagé. Malheureusement, au fur et à mesure des remaniements ministériels et des réaménagements techniques, le Gouvernement n’a cessé de gonfler au point de compter, aujourd’hui, trente neuf (39) membres, dont trente (30) ministres, trois (3) délégués et six (6) secrétaires d’Etat. Sans compter les ministres d’Etat nommés à ses côtés et les ministres Secrétaire général de la PR, Directeur de cabinet du PR, Secrétaire général du Gouvernement et les ministres conseillers spéciaux. Cette machine est plus alourdie encore par des conseillers spéciaux, des ambassadeurs itinérants et des chargés de mission qui viennent parfois d’on ne sait où, et qui auraient bien du mal à se souvenir de leur dîner de la veille. Au moins pour nombre d’entre eux.

Ainsi, de hautes fonctions sont aujourd’hui galvaudées, comme elles l’ont été d’avril 2000 à avril 2012. La fonction de ministre en particulier ne devrait pas être à la portée de n’importe qui. Interrogé par Laurent Delahousse de France 2 (Journal de 20 heures du 21/09/2014) après la nomination d’un ministre dans le Gouvernement d’Emmanuel Valls, le président Sarkozy ironisait en ces termes : « On ne s’invente pas ministre de la République. C’est un long processus. » Le président Sarkozy a bien raison et emporte mon entière adhésion : un ministre de la République, c’est un profil ; on ne le devient pas du jour au lendemain, comme cela se fait au Sénégal. On ne distribue pas cette prestigieuse fonction à tout va.

En France, les Secrétaires généraux de l’Elysée et de l’Hôtel de Matignon, ainsi que les Conseillers spéciaux des Présidents François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, Jacques Attali et  Henri Guaino – pour ne prendre que leurs exemples –, n’étaient pas ministres. Pourtant, quel ministre peut-il se targuer d’une fonction plus prestigieuse que la leur ? S’il m’était donné de citer quatre ou cinq fonctions les plus valorisantes au Sénégal, celle de conseiller spécial du PR en ferait sûrement partie.

Donc, nous pouvons affirmer déjà, en attendant la suite, que les engagements fermes pris par le candidat Macky Sall à remettre l’administration sénégalaise à l’endroit ne sont pas encore, de ce point de vue-là tout au moins, respectés. Pour  permettre aux lecteurs d’en avoir le cœur net, je convoque d’autres voix bien plus audibles que la mienne.

Venu présider « Le Mercredi » du 13 juin 2012 de l’Ecole nationale d’Administration du Sénégal, le Délégué à la Réforme de l’Etat et à l’Assistance technique (de l’époque) annonçait la mise en place d’une Commission d’évaluation des directions et des agences restantes et en dévoilait  la composition et l’objectif. Rappelons que le sujet retenu par ce « Mercredi » du 13 juin 2012 était le suivant : « La réforme de l’Administration sénégalaise : rationalisation et perspectives ». Le Délégué général avait alors salué la « réduction du nombre de (ministres) par le président Sall et la suppression d’agences et de structures inappropriées » et ajouté que la cure de l’administration allait se poursuivre.

Un mois après, d’autres voix, elles aussi bien autorisées, se sont fait entendre, pour voler au secours de notre administration encore mal en point. Il s’agissait, en particulier, de l’Amicale des Administrateurs civils du Sénégal (AACS). Le  samedi 28 juillet 2012, elle organisait à l’Hôtel Radisson Blu, un atelier de réflexion avec pour thème : « Les politiques de Réforme de l’Etat : quelles ruptures pour un Sénégal émergent ? ».  Les termes de référence étaient sans équivoque ; ils  mettaient en évidence des « mutations (qui ont) conduit à une détérioration de la qualité du service public et à une incohérence de l’architecture et de l’action administratives, avec la création redondante de structures aux missions et compétences similaires ». Ils pointaient aussi du doigt le non-respect, au niveau des cabinets ministériels, « des règles classiques de formation des cabinets, la multiplication des contrats spéciaux pour des emplois que des agents de l’Etat pourraient occuper, la création de postes irréguliers de chargés de mission, de conseillers spéciaux dans beaucoup de cabinets ministériels alors qu’ils ne sont prévus par aucun texte et ce, en violation flagrante des nombreuses circulaires de rappel à l’ordre initiées par le Premier Ministre ». Cette situation ne semble pas avoir changé, en tout cas pas notablement.

  1. Abdoulaye Guèye, alors président de l’AACS, invité de l’Emission « Objection » de la Radio Sud Fm, le dimanche 27 juillet 2014, revient fortement sur la détérioration de la qualité du service public. Trois jours plus tard, le mercredi 30 juillet 2014, il sera conforté par l’Inspection générale d’Etat (IGE) qui remettait solennellement entre les mains du Président de la République, le premier « Rapport public sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes». Le Rapport confirmait bien des maux qui gangrènent notre administration. Dans la partie gouvernance administrative, le Rapport de 2014 mettait l’accent sur « la création et la dissolution abusives de structures administratives, la nomination à des postes de responsabilité de personnes ne répondant pas au profil administratif exigé ». Il rappelait la Loi d’Orientation n°2009-20 du 4 mai 2009 sur les agences d’exécution. Aux termes de l’article 2 de cette loi, les nécessités fonctionnelles qui justifient la création d’une agence sont nettement indiquées (page 44). Malgré tout, des agences sont créées sans tenir compte des dispositions de cette loi ni, par ailleurs, de celles du Décret n° 2010-1812 du 31 décembre 2010, portant leur organisation et fonctionnement.

Dans le Rapport de juin 2015, l’IGE revient sur le non respect des dispositions de la Loi n°2009-20 (SECTION 1 : Gouvernance des agences, pages 71 et suivantes). L’Institution constate ainsi « la récurrence de certaines anomalies, dans la création des agences d’exécution ». Ces manquements « contournent, dans bien des cas, les dispositions de la Loi d’orientation relative à ces structures administratives et financières ». Bien souvent, le Décret portant répartition des services de l’Etat ou ceux portant organisation des ministères sont utilisés comme moyens de création d’agences d’exécution. Or, rappelle l’IGE, « la création, comme le changement de dénomination ou la suppression d’une agence d’exécution, doivent être créés par des décrets spécifiques », comme le précise l’article 2 de la Loi d’Orientation n°2009-20, dans les termes qui suivent : « L’agence est créée par décret pour une durée déterminée ou indéterminée, sur proposition du chef de l’Administration de tutelle technique, scientifique ou de gestion bien spécifique. » « Le décret de création, poursuit le même article, est accompagné d’une étude d’opportunité et d’impact démontrant la valeur ajoutée du recours à la formule de l’agence ».

Le constat donc, c’est que  l’étude d’opportunité est un préalable important à la création d’une agence. « Or, constate l’IGE, elle fait souvent défaut pour les agences créées par un décret spécifique, à fortiori pour celles qui ont été créées par le biais du décret portant répartition des services de l’Etat ».

L’IGE met en évidence d’autres carences, notamment l’absence de contrats de performance bien que ceux-ci soient rendus obligatoires par la Loi d’Orientation n°2009-20 du 4 mai 2009 et le Décret n° 2010-1812 du 31 décembre.

La mise en place tardive de certains organes n’est pas en reste. L’IGE a ainsi constaté que « des agences ont fonctionné pendant plusieurs mois, voire des années, sans conseil de surveillance, ni agent comptable ». Une agence a été ainsi créée en 2006, alors que le Conseil de surveillance n’a été mis en place qu’en 2013 (page 80). Dans une autre, le nom du Président du Conseil de surveillance ne figure même pas dans la liste des membres de ce Conseil fixée par arrêté, constate  l’IGE (page 81). Pourtant, conformément aux dispositions du Décret 2009-522 du 4 juin 2009, il doit être choisi parmi les membres du Conseil.

Nous sommes donc légitimement fondés à nous poser des questions, quant à la valeur  juridique de ces nombreuses agences qui nous coûtent des millions, voire des milliards de francs CFA tous les ans, pour presque rien. Faut-il, pour autant, en désespérer ? Assurément non. Il en existe sûrement dont la création et le fonctionnement sont strictement conformes à la loi et au règlement. Ces agences (il n’y en a sûrement pas beaucoup) devraient davantage prendre en compte les recommandations de l’IGE et être dotées de moyens humains, financiers, matériels et logistiques conséquents, pour les aider à exécuter avec succès leurs contrats de performance. En particulier, les hommes et les femmes qui y sont affectés devraient avoir tous le profil de l’emploi.

Ce texte est déjà long et il est temps de le conclure. Dans une prochaine contribution, je passerai en revue d’autres anomalies qui gangrènent les agences et l’administration en général, qui fonctionne pratiquement comme pendant les douze années de la gouvernance d’avant le 25 mars 2012. La rupture promise, nous l’attendons encore dans bien des domaines. C’est pourquoi je me suis permis de considérer l’alternance I et II comme bonnet blanc, blanc bonnet, comme des sœurs « siamoises ». Je m’emploierai à l’illustrer davantage dans les prochaines contributions.

Dakar, le 21 décembre 2012                                    Mody Niang

 

 

6 Commentaires

  1. Merci Mr Niang pour cet information utile et objectif. C’est dommage que les aspirations du Senegal soient encore dévoyées par la meme classe avec les meme méthodes. inutile de dire que macky a déçu et va droit au mur, celui de l’échec, 2eme mandat ou pas.
    On aura jamais de bon résultats avec ce système meme si on change 1000 fois de président. Le senegal doit procéder a une refonte totale de notre système politique, économique et sociale pour pouvoir prétendre au mieux-être.
    c’est l’éternel recommencement rek. dommage.

    PS: Mr Niang va être insulté copieusement par les cretins partisans a l’esprit primaire et binaire. Quand le sage montre a ces écervelés la lune (grand je ne parle pas de toi dé), ils critiquent son doigt.
    Damn!!!

    Xalaaaasssss!!!!

  2. article attendu. Mais article decevant etant donne les circonstances. Je vous comprends cependant et je ne vous en veux pas trop.
    Ma question: a quoi sert l ofnac?vraiment!

    • Basta avec les contributions monsieur Niang. N’est ce pas que vous êtes à l’OFNAC? De l’action et du concret maintenant. De grace activer les leviers mis à votre disposition et régler nous ces problemes. Votre salaire ce n’est pas pr continuer à nous pondre encore et toujours vos etats d’ame. Agissez bon sang ou rendez le tablier!!!!

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