Djibo Ka : Retour sur le parcours d’un géant politique

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XALIMANEWS-Djibo Ka est mort ce 14 septembre des suites d’une longue maladie à l’âge de 69 ans. C’est ce qui explique pourquoi la voix du fondateur de l’Union du renouveau démocratique qui vivait la politique comme une passion était devenue inaudible dans la sphère politique où il aimait s’exprimer régulièrement. Ses obsèques auront lieu ce samedi 16 en présence des autorités temporelles et spirituelles de la République.

Sa carrière politique l’avait amené à servir le pays dans de multiples fonctions. Djibo Leïty Kâ, homme d’Etat, était titulaire d’un Brevet de l’Ecole nationale d’administration (Enam), Section administration générale, économique et financière (Sagef) depuis 1976. Il était titulaire d’une licence es-économique de la Faculté des sciences économiques de l’Université de Dakar. Il a passé son baccalauréat au lycée Van Vollenhoven (actuel Lamine Guèye). Il a été également de 1976- à 1977 au Cabinet du Président de la République Senghor en qualité de Conseiller technique, d’Adjoint au directeur de cabinet et de directeur de Cabinet de 1978 à 1980. Il est nommé entre 1981-1985 Ministre de l’Information, des Télécommunications et des Relations avec les Assemblées, Porte-parole du gouvernement.

Et de 1986-1987, il est Ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement, ensuite Ministre du Plan et de la Coopération dans la période 1988-1990, et Ministre de l’Education nationale de 1990 à 1991. Il exerça de 1991 à 1993 les fonctions de Ministre des Affaires étrangères avant d’atterrir à l’Intérieur de 1993 à 1995. Son éviction du gouvernement le 15 mars 1995 alimente et les débats et font les choux gras de la presse. En 2004, sous le règne du président Abdoulaye Wade, il a été nommé ministre de l’Économie maritime par le président Abdoulaye Wade. Et le 5 juillet 2007, il devient ministre d’État, Ministre de l’Environnement, de la Protection de la Nature, des Bassins de rétention et des Lacs artificiels dans le gouvernement de Cheikh Hadjibou Soumaré. Et sous le régime actuel du président Macky Sall, Djibo a été nommé Président de la Commission nationale du Dialogue des Territoires (CNDT) le 21 décembre 2015 jusqu’à ce jour fatidique du 14 septembre 2017.

Le «complot de 94»

Mais la longévité politique de Djibo Ka n’a pas été un fleuve tranquille. Et la guerre de succession du président Abdou Diouf engagée contre Ousmane Tanor Dieng, l’alors ministre des Services et affaires présidentiels, connait son paroxysme avec le meurtre de six policiers, le 16 février 1994 des suites d’une manifestation de l’opposition à laquelle a pris part le mouvement politico-religieux, les Moustarchidines Wal Moustarchidates. Alors ministre de l’Intérieur, Djibo, par arrêté numéro 001123, interdit toute activité du mouvement de Serigne Moustapha Sy. Et 150 de ses membres sont arrêtés.

Djibo parle de complot contre sa personne parce qu’il ne peut pas concevoir que les services de renseignements qui sont sous la coupe de son rival Ousmane Tanor Dieng ne soient pas au courant de cette attaque de la capitale par un groupe politico-religieux organisé. A cet égard, il dit : «C’était un vaste complot contre Djibo Leyti Kâ. Ce qui s’est passé ce jour n’était pas spontané. C’était connu d’avance sauf que les services compétents de l’Etat qui devaient intervenir et qui étaient au courant auraient gardé l’information pour m’avoir, pensant que je réagirai violemment. Or, ils se sont trompés. Dès que j’ai appris un mort vers Sips (NDLR : près de Thiaroye), piétinés par la foule dans laquelle il y avait des personnes avec des foulards rouge, cela m’a rappelé les évènements d’Iran et de Bamako. Plus vous réprimez, plus les gens sortiront. La violence et la répression forment un cercle infini. J’ai demandé de ne tirer sur personne, mais de résister… C’était un grand et vaste complot. C’est le Ps qui se battait contre lui-même. Tanor était à côté de Diouf au palais et il y avait des informations qu’on m’a cachées. Un Etat n’a pas à s’immiscer dans les affaires internes d’un parti.»

Vent de rénovation et bataille contre Tanor

D’ailleurs, cette bataille pour la prise en main du parti s’exacerbe et atteint son point d’orgue avec le congrès «sans débats» du Parti socialiste (PS) de mars 1996 où Djibo Ka est écarté de l’Union régionale de Louga au bénéfice de Daouda Sow. Et la particularité de cette grand-messe socialiste est que tous les présidents des dix unions régionales socialistes sont des proches d’Ousmane Tanor Dieng (OTD). Djibo voit son avenir politique compromis avec l’adoubement d’OTD qui n’a rejoint le bureau politique du PS qu’en 1988.

D’ailleurs, cette mise à l’écart de Djibo a commencé le 15 mars 1995 quand il est évincé du gouvernement. Dès lors, le vent d’un courant rénovateur souffle au sein du PS et le 24 mai 1998, sous la bannière de l’Alliance Jëf Jël, le chef de file des Rénovateurs présente une liste aux Législatives et obtient onze députés avant de créer officiellement, le 5 juin, l’Union pour le Renouveau démocratique (l’URD). Désormais l’URD est une réalité qui compte dans l’échiquier politique sénégalais. Il participe à l’élection de 2000 et se classe 4e derrière Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Moustapha Niasse.

Le yoyo de l’entre-deux tour de 2000

Mais ses virevoltes dans sa prise de position en faveur de Diouf ou de Wade au second tour ont entaché la carrière politique de ce dinosaure socialiste. Pourtant le 11 septembre 1999, à l’occasion de la cérémonie d’installation du «Comité de pilotage, de gestion et de coordination» de son Parti pour la campagne électorale de février 2000, il déclare manifestement : «Nous voudrions réaffirmer solennellement que si par extraordinaire, dans une hypothèse irréelle, le candidat du Ps était présent au deuxième tour, et que celui du Renouveau n’y était pas, nous apporterions notre soutien au candidat de l’opposition, donc celui de l’alternance.» Et dans le journal Sud quotidien du 2 novembre 1999, il renchérit : «Nous luttons pour l’alternance et le changement. L’alternance se fera par le Renouveau et les forces du progrès, les forces démocratiques. J’ai dit que tous ceux qui luttent pour l’alternance et le changement sont nos alliés naturels.»

Le 2 mars 2000, il est reçu en audience, à 19 heures, par le président Abdou Diouf. Au sortir de cette audience, il déclare qu’«il a demandé au président Diouf de ne pas se présenter au second tour puisque son départ est le premier acte de changement dans ce pays.» Et le 14 mars, il est reçu à nouveau au palais par le rival de Wade. Et coup de tonnerre : Djibo déclare sans ambages au sortir de son audience : «Je demande aux militants et aux sympathisants du Renouveau démocratique, aux électeurs et aux électrices qui m’ont accordé leur confiance le 27 février 2000, de porter leurs suffrages sur le candidat Abdou Diouf le 19 mars, pour que nous apportions la preuve que le Renouveau est la clé du changement dans notre pays.» Et cette déclaration inattendue fait imploser l’URD. Mahmout Saleh et Aziz Sow alliés de Djibo rament à contre-courant de de ce dernier et soutiennent Wade qui bat Abdou Diouf au second tour. Malgré ses diatribes contre la nouvelle alternance, il finit par collaborer avec Wade avant de bénéficier d’un maroquin.

Les attaques contre le régime Sall

Il adopte le même comportement avec le président Macky Sall. Un an après l’accession du successeur de Wade au pouvoir, Djibo crucifie le régime en ces termes : «le pays ne travaille pas. On ne fait que parler. Il y a beaucoup trop de bruits autour de la traque des biens mal acquis. Mais à l’opposé, rien ne se fait… La médiation pénale est très grave et immorale à la fois. C’est une manière de légitimer le vol qui heurte les consciences… Concernant le Yoonu Yokkuté, c’est équivoque, c’est complètement abstrait. Il n’y a aucun programme défini… Notre avenir est incertain avec Macky Sall».

Et en avril 2015, en route pour la Daaka de Médina Gounass, il se prononce sans aménités sur le mandat présidentiel : «Macky Sall n’a pas d’échappatoire et qu’il doit respecter son engagement de réduire son mandat de 7 à 5 ans. C’est une promesse de campagne faite aux sénégalais sans aucune pression quelconque de qui que ce soit. Il l’a dit au Sénégal et à l’étranger, en France, aux Etats-Unis. Il faut qu’il le fasse. J’ai entendu dire qu’il est prêt à respecter cette volonté-là. Mais il y a beaucoup d’hésitations maintenant, il y a beaucoup de doutes dans la tête des Sénégalais depuis sa conférence de presse».

Et le leader de l’Urd de pilonner dans la même violence verbale la gouvernance de Macky Sall : «la campagne électorale est lancée par Macky Sall depuis 3 ans. Dès qu’il s’est installé en 2012, il a commencé la campagne pour un deuxième mandat. Depuis 3 ans, on ne fait qu’emprisonner les gens. Tous les adversaires de Macky Sall, ils sont actuellement 27, dont le plus célèbre, Karim Wade. Et puis, il ne travaille pas assez. Les gens ont faim, ont soif, aussi bien les personnes que les animaux. L’industrie ne marche pas, deuxième secteur en difficultés. 500 entreprises ont fermé. 400 en 2014. Combien d’emplois perdus ? On ne sait même pas». Et dans la traque des biens mal acquis lancée par le président Macky Sall conformément à ses engagements de campagne électorale, il a qualifié l’affaire Karim Wade de «règlement de compte plutôt qu’une reddition des comptes».

Allégeance au président Macky

Et lors de l’inauguration du nouveau siège du Groupe Sonatel le jeudi 11 juin 2015, le président de la République, Macky Sall, avait interpellé Djibo Leity Ka, Secrétaire général de l’Union pour le Renouveau démocratique (Urd), et invité en tant qu’ancien ministre des Télécommunications et un des pères fondateurs de la Sonatel sous le magistère d’Abdou Diouf, en ces termes : «Mon ami Djibo, qui est maintenant dans l’opposition, c’est dommage, mais je vais venir quand même te voir car nous avons quand même besoin de ta contribution, de tes réflexions, de tes idées pour faire avancer le Sénégal».
Ce à quoi, Djibo avait répondu : «il ne faut pas aller trop vite en besogne. Je pense que Macky Salll chahute. J’attends de voir. Je l’attends à la maison comme il le dit. Je vais le recevoir avec beaucoup de plaisir. Je ne sais pas la réponse que je vais lui donner s’il me demandait de travailler avec lui. Ça ne se prépare pas, c’est spontané. Il n’y a pas de calcul chez moi. C’est le pays qui m’intéresse surtout. Macky est très gentil, courtois et républicain». Et le ton était donné, Djibo finit dans la galaxie beige-marron avec comme récompense la présidence de la Commission nationale du Dialogue des Territoires (CNDT).

Voilà c’est ce dinosaure socialiste au parcours politique complexe et sinueux pour ne pas dire tortueux qui vient de quitter à jamais le monde politique qu’il affectionnait tant.

Avec L’essentiel (Texte de Serigne Saliou Guèye)

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