Du Petrole Et Du Gaz Au Senegal : Une Bonne Nouvelle Qui Ne Fera Pas Forcement Le Printemps

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« L’Afrique est-elle un continent riche peuplé de pauvres ? » Sylvie Brunel dans
L’Afrique dans la mondialisation éd. La Documentation française, 2005, p.4.
Nous le savons : l’Afrique est depuis belle lurette assise sur de véritables rentes
énergétiques. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que le Sénégal que l’on croyait banni,
est bel est bien béni de la nature. Du pétrole et du gaz – de quantité abondante – viennent en
effet d’être découverts dans le sous-sol sénégalais. Le pays rejoint ainsi l’impressionnant
cortège des Etats africains richement dotés en énergies fossiles.
Tel un miracle, les découvertes font encore exulter partout dans le pays ! Normal :
L’Etat est désargenté et les populations sénégalaises sont majoritairement aux prises avec la
pauvreté. Du pétrole et du gaz, ça dissipe les nuages d’anxiété face à l’avenir, éclaire
l’horizon pour des milliers de citoyens sénégalais qui avaient rompu toute confiance avec le
futur. En un mot, ça promet des lendemains fastes. Mais une fois clos l’épisode des salves
d’applaudissements, des éclats d’euphories et des spéculations béates, ouvrons-en
sereinement un autre aux fins d’une réflexion sérieuse sur la question. Parce qu’en fait, le
pétrole, le gaz ou les ressources naturelles de manière générale ont infligé beaucoup de
désillusions sur le continent. En effet, nombre d’Etats africains, quoique bien servis en
ressources naturelles énergétiques, ne sont guère – du moins jusque-là – arrivés à bout de la
pauvreté qui tient leurs populations à la gorge, ni même à réduire son spectre sur celles-ci.
Pourtant, depuis quelques années l’Afrique table en moyenne sur un niveau de croissance
supérieur à 05%. Mais comme l’a indiqué le rapport publié le 13 juin 2012 par la
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) : « cette
croissance repose sur l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables et s’avère
insuffisamment créatrice d’emplois en raison de la faible valorisation des produits de base
exportés ». Hélas ! Il y a, en Afrique, un opportunisme dérisoire vis-à-vis des richesses
naturelles, pourtant véritable levier de développement.
C’est là tout le défi que devra relever l’Etat du Sénégal : faire du pétrole et du gaz
découverts sur son territoire une arme efficace contre la pauvreté. C’est donc en user pour
asseoir définitivement une croissance économique forte, inclusive, durable et résiliente. Pour
plonger les racines d’une telle croissance, nul autre terreau ne s’y prête aussi pertinemment
que la transformation structurelle de l’économie du pays. Celle-ci constitue, en réalité, le
seul rempart contre le chômage de masse, la faiblesse du produit intérieur brut (PIB),
l’informel et les chocs exogènes. A juste titre ! Dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) il est
indiqué clairement que « la transformation structurelle s’entend de la réorientation de
l’activité économique des secteurs les moins productifs vers des secteurs plus productifs.
Ainsi, elle se traduira notamment par une production de biens et services compétitifs à plus
haute valeur ajoutée pour la réalisation des objectifs de croissance, de création d’emplois
qualifiés et non qualifiés et de génération de revenus et de devises ». Le ton est ainsi
annoncé dans ce document qui constitue actuellement et sur le long-terme le cadre de
référence de la politique économique et sociale du pays. Cerise sur le gâteau : du pétrole et du
gaz, jadis inespérés, seront à portée d’extraction et de transformation pour accélérer la
machine de l’émergence.
Toutefois, s’il s’agit uniquement de confiner l’exploitation de ces ressources
énergétiques dans le seul champ du secteur primaire c’est-à-dire se contenter de la seule
activité d’extraction/exportation de matières premières, l’Etat du Sénégal se réduirait alors à
une démarche bien minimaliste en termes d’opportunisme économique ; avec comme
corollaire une vulnérabilité de l’économie vis-à-vis d’éventuels chocs exogènes. Autrement
dit, la moindre baisse du cours de ces matières premières sur le marché international
entrainerait l’amenuisement de ses recettes et l’effondrement de son budget. A ce propos,
l’exemple actuel du Nigéria est éloquemment illustratif. Donc toute croissance tributaire de
ce procédé serait assise sur du sable mouvant parce que dénuée de résilience et même de
durabilité compte tenu du caractère non-renouvelable de ces types d’énergies. De surcroit, ces
matières premières, une fois exportées, reviendront – en importation – sous forme de
produits dérivés engendrant ainsi une dégradation des termes de l’échange. Dès lors,
conviendrait – il, avec les multinationales partenaires, d’inscrire aussi l’exploitation de ces
mannes pétrolières et gazières dans la perspective d’industrialisation du pays, étape
inéluctable du développement. Cette transformation de l’économie présente, en fait, la vertu
d’inclure dans le processus de création de richesses une part plus importante de la population
via une bonne intégration des secteurs secondaire et tertiaire. C’est ce qu’on appelle la
croissance inclusive. Elle contribue à la réduction drastique du chômage, à l’amélioration du
pouvoir d’achat des individus, à l’augmentation de la consommation et des investissements,
au bon équilibre du solde de la balance commerciale, à l’accroissement substantiel des
recettes fiscales de l’Etat, bref à la compétitivité de l’économie nationale.
Concrètement, ces découvertes énergétiques doivent sur le long terme : accroitre
significativement les recettes de l’Etat afin de mieux faire face à ses dépenses, ouvrir la voie
à la production d’essence, de gazole, de fioul et d’autres produits dérivés du pétrole sur le
territoire sénégalais, améliorer la compétitivité des entreprises sénégalaises par un allègement
abyssal de leur facture énergétique, doper les performances de la SENELEC dans la
distribution de l’électricité à travers le pays, booster les investissements directs étrangers dans
le pays, favoriser l’exportation de produits à plus haute valeur ajoutée, limiter les
importations, faciliter la création massive d’emplois surtout dans les domaines secondaire et
tertiaire, hausser considérablement la consommation des ménages par l’amélioration du
pouvoir d’achat via notamment la réduction des prix (transport, électricité, denrées de
première nécessité, etc.), en un mot améliorer le bien-être de la population sénégalaise.
En définitive, le pétrole et le gaz offrent à toute nation une énergie à tout faire ! L’on
était à mille lieux de soupçonner le Sénégal d’en dissimuler dans son sous-sol. Plus que
jamais, l’espoir est immensément loisible d’être délivré des affres de la pauvreté. C’est-à-dire
que les dividendes sont attendus concrètement dans les marmites et dans les porte-monnaie.
Mais, à l’évidence, cet avenir radieux reste suspendu à la volonté politique. /.

Ahmadou Lamine TOURE, Economiste et Haut fonctionnaire.

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