ECLAIRAGES – Sur la démolition des maisons de la cité Tobago, Moussa Ndiaye un spécialiste du droit de la décentralisation se prononce…

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Question : M. Moussa Ndiaye vous êtes  juriste, spécialiste du droit de la décentralisation et un travailleur aguerri des collectivités locales,  l’actualité qui défraie la chronique c’est bien la démolition des maisons de la Cité Tobago. 

Quelle  lecture faites-vous sur cette série de destructions?

Réponse : Je vous remercie de me donner l’occasion d’émettre mon humble avis sur cette douloureuse affaire.

Je dois d’abord dire que je suis vraiment peiné,  pour ces pères de familles, à qui j’exprime ma compassion et ma solidarité. Ces sénégalais qui ont contracté de bonne foi pour obtenir un toit  pour leurs familles dans pays et un contexte où les Sénégalais vivent l’accès au logement et à la propriété foncière comme une urgence et question lancinante. C’est donc dire que détruire plus quatre cent maisons, en causant à des citoyens sénégalais un préjudice estimé  à plusieurs milliards, si nous nous  disons la vérité, est assez grave.

Ensuite, cette affaire, de manière non équivoque met à nu le climat d’insécurité juridique dans lequel baignent  les transactions foncières dans notre pays. Sur cette question, j’ai eu à dire quelques parts, qu’en raison du risque juridique aggravé (le phénomène est récurrent),  l’accès à la propriété foncière, tant pour les nationaux que les étrangers  étant éminemment au cœur de la vie des affaires nous semble, à l’analyse, est susceptible de remettre en cause les efforts de  notre pays pour assainir le climat des affaires.

L’assainissement du climat des affaires, au demeurant, n’est pas seulement un enjeu de satisfecit décerné par des organismes étrangers, mais procède de situations concrètes.
Question :   Pouvez-vous nous dire comment on obtient en général la viabilisation et la vente de terres relevant du domaine national, et aussi l’autorisation de construire?

Réponse : De manière générale, et pour rappel, la Loi N° 64-46 du 17 JUIN 1964 relative au Domaine national, et les différents décrets d’application règlent ces problèmes. En plus, pour ce qui est de la propriété foncière privée,  la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière est aussi venue apporter des éléments de nature à rendre plus sécure, les procédures en matière foncière.

Dès lors la loi sur le domaine national précitée, prévoit en son article 4, pour ce qui est du domaine national,  en fonction de la situation quatre zones les terres du domaine national   les zones urbaines, les zones classées ; les zones des terroirs ; et les   zones pionnières.

En fonction de la zone il y a des règles spécifiques.

Spécialement, pour  le cas d’espèce, nous sommes dans une zone urbaine, la procédure pour l’acquisition des terres du domaine national se fait en étroite collaboration avec la Direction des Impôts et Domaines, l’intéressé a recours dans ce cas aux services d’un géomètre agrée, à terme, les risques sont minimisés.

Mais ça c’est dans l’hypothèse de terres du domaine national.

Le cas des démolitions de la cité Tobago est rendu complexe par certains éléments qui apparaissent à la lecture du dossier.

En effet, et nous rappelons que sur le site il y a déjà un important projet immobilier, de construction de villa et d’appartements de grand standing, les constructions, en tout cas, une pour une part importante,  ont été érigées, nous semble-t-il, sur des titres fonciers privés.

Il s’agit du  TF 9317 DG   et le TF 4956 DG, ce qui a pour conséquence de changer la donne dans la gestion de ce dossier.

Certes , il est vrai, que la transaction immobilière, se fait en principe devant notaire pour ce qui concerne les titres fonciers privés se font devant notaire, mais ici force est constater à l’analyse de certains éléments du dossier que nous sommes ici au cœur d’une pratique très répandue en matière foncière : la pré constitution de preuves d’abord ,  la poursuite de l’opération de cession de l’immeuble et voire, l’édification des  constructions et enfin la régularisation foncière de la propriété.

Cette procédure ayant été suivie en l’espèce, les intéressés ont, et pour qui est de la quasi-totalité obtenir pour les besoins de la viabilisation des parcelles, le raccordement aux réseaux de la Sonatel, de la Senelec et de la SDE qui .sont des concessionnaires de services publics. Donc, en principe ces concessionnaires ne se déploient pas dans des zones faisant l’objet de litiges fonciers.

Mieux, il semblerait, que certaines victimes sur la base d’un dossier en bonne et due forme, c’est-à-dire conformément aux pratiques en cours ont pu accéder à des prêts bancaires.

Concernant la procédure d’autorisation de construire, l’acte matérialisant une telle autorisation, dans sa légalité interne, c’est-à-dire dans sa procédure d’élaboration implique administrations publiques déconcentrées comme le Service Régional de l’Urbanisme, et décentralisées comme les collectivités locales, en l’espèce les Commune. Pour les villes, comme Dakar, Pikine, Guediawaye, Rufisque, en plus de l’avis des services techniques de la Ville, l’avis du maire de la Commune dans le périmètre de laquelle se situe le projet de construction est sollicitée.

Il est vrai que depuis quelques année l’avis des anciennes communes d’arrondissement est de moins sollicité, mais avec l’avènement de l’Acte III de la décentralisation, nous assistons à une montée en force de ces collectivités locales passées désormais en commune de plein exercice.

Sur ce plan, il me semble que, si l’on continue d’ignorer royalement les maires des anciennes communes d’arrondissement  nous aurons dans les années à venir une grave source de conflits.

 

Question : La responsabilité du Préfet de Dakar, de l’Urbanisme est-elle engagée dans le cas d’espèce?

Réponse : En vérité, l’administration publique, centrale (primature, ministères etc.), déconcentrée (commandement territoriale, services régionaux) ou décentralisée (collectivités locales) procède d’un système organisé.

Dans ce système, les conditions de la responsabilité personnelle des agents sont bien définies. Un agent peut par exemple être considéré comme personnellement responsable s’il a  dans l’exercice de ses fonctions commis une faute qui est détachable de son service.

Cependant, l’appréciation de cette responsabilité s’il faut déterminer éventuellement le débiteur du droit à réparation engage purement et simplement l’Etat. Autrement on ne tient pas compte de la situation du fonctionnaire  commettant une faute détachable ou non du service : l’Etat des déclaré responsable des fautes commises par ses préposés dans le cadre de leur fonctions.

Et il est tenu à réparation, quitte à envisager par la suite une action récursoire contre   l’agent mis en cause.

Ça c’est dans les principes, pour ce qui concerne le cas d’espèce, l’état de mes informations sur cette affaire ne me permet pas de me prononcer sur la responsabilité du Préfet du Département de Dakar ou du Chef du Service Régional de l’Urbanisme.

Je note toutefois, à l’instar des sénégalais, que l’Autorité investi du pouvoir de nomination, en l’occurrence Monsieur le Président de la République a relevé ces autorités de leurs fonctions. Cette décision s’analyse comme une sanction de manquements dont seul le Président de  la République a le pouvoir d’appréciation.
Question : Une série d’arrestations est en cours avec des agents des ADS qui sont déjà incriminés, pensez-vous que la chaîne de responsabilité va être remontés jusqu’au sommet?

Réponse : Affirmatif, la chaine de responsabilités doit être remontée sans faiblesse ni complaisance jusqu’au sommet. Et d’ailleurs, il  y  va de la crédibilité du régime actuel, qui dès l’entame de son magistère a placé sa gouvernance sous le signe de la fin de l’impunité, et la gouvernance vertueuse.

Et d’ailleurs on est tenté de se demander comment dans un Etat organisé des individus peuvent-ils distraire des terres de l’assiette foncière d’une zone aéroportuaire en faisant reculer le mur d’enceinte ?

Assez grave quand même !

Et pour commettre de tels actes il faut forcément une chaine de complicités.
Question : Pour terminer, nous allons parler des victimes, selon vous ont-ils droits à un dédommagement?

 Si oui sera-t-il à hauteur du préjudice causé?

Réponse :

Je vous prends au mot, il y a des victimes, c’est-à-dire juridiquement, il y a des personnes qui  souffrent physiquement, moralement et du point de vue de leurs biens directement de la destruction des maisons de la Cité Tobago.

Nous ne ferons pas de distinguo entre ceux qui ont acquis des parcelles dans la zone empiétant après que l’on ait fait reculer le mur d’enceinte de la zone aéroportuaire, et ceux qui ont de bonne foi contracté avec  les légitimes propriétaires des TF 9317 DG   et le TF 4956 DG. Et ceci pour la bonne et simple raison que ces gens, malgré l’insuffisance probatoire des documents en leur possession, ont contracté de bonne foi pour acquérir leurs parcelles. Que le préjudice découle non pas de leur action frauduleuse, mais d’une erreur, voire d’une faute  non contestable de différents services de l’Etat. Or, dans ces conditions, il est de principe depuis la jurisprudence Akouété, que l’erreur de l’Etat qui n’a pas été provoquée par la personne qui s’en prévaut est génératrice de droits acquis.

Donc, pour ces victimes, dès lors que de bonne foi elles  ont acquis un droit de construire leurs maison suite à une validation de leurs dossiers auprès des services compétents de l’Etat, ont une situation juridique protégée à laquelle la puissance publique ne saurait porter atteinte sans obligation de réparation.

Plus spécialement, s’il apparait dans le dossier mention des titres fonciers N° 9317 DG   et  4956 DG, cela veut dire que, jusqu’à preuve du contraire des personne jouissant d’un droit de propriété dans sa forme la plus absolue sur des terrains situés dans cette zone ont décidé de procéder à la vente d’une partie de leurs biens.

Il est vrai que la transaction en l’état n’est pas achevée, mais, nous le répétons, dans la pratique,  en matière foncière, le défaut d’achèvement de la transaction, dès l’instant où les parties se pré-constituent  des commencements de preuves assez solides ne fait pas obstacle à la poursuite de l’opération. Car en droit, la vente est consensuelle, il suffit d’un accord sur le prix de la chose et une rencontre des consentements suffisamment documentés pour qu’un contrat de vente se forme.

Donc, à première vue  nous avons de ce qui précède, de sérieuses pistes de réflexion pour conclure de manière difficilement réfutable à un droit à réparation des victimes.

Pour ce qui est du quantum de la réparation, nous noterons que le préjudice n’est pas seulement matériel, je veux dire qu’en plus des quatre cents maisons détruites il y a un grave préjudice moral des familles entières affectées.

Et je termine en insistant sur la gravité de la destruction de plus de 400 maisons en vous donnant quelques chiffres, la Commune d’Arrondissement des Parcelles Assainies dont j’ai eu l’honneur de  diriger l’administration est composée de  11.706 habitations, imaginez le  spectacle bulldozer rasant l’équivalent d’un quartier comme l’Unité 09 des Parcelles Assainies composé de  281 habitations, ou de l’Unité 10 composée de 458 habitations…

Ça fait froid dans le dos.

 

Propos recueillis par Jaly Badiane

3 Commentaires

  1. Je doute de l expertise de ce monsieur.la question centrale n est pas l acquisition du terrain mais l autorisation de construire.meme si on est proprietaire d un terrain en bonne et du forme on doit solliciter et obtenir une AUTORISATION DE CONSTRUIRE.meme l ETAT doit avoir une autorisation avant de construire sinon à quoi servirait l urbanisme?Donc monsieur l expert ces gens peuvent ils présenter des autorisations de construire oui ou non?laRESPONSABILITE DE L ETAT QUI A LAISSE N EFFACE PAS L INFRACTION
    WASSALAM ET SANS RANCUNE

  2. D’accord avec Almudo. En effet , un terrain quelque soit sa situation juridique n’est pas de facto constructible. Il existe bel et bien des servitudes dans cette zone et je serai très surpris de voir les propriétaires détenir UN PERIS DE CONTRUIRE. ….a moins que ce lotissement ne soit bel et bien approuvé …et là L’Administration devra nous edfier,en rendant accessibles les documents d’urbanisme. Avec la communalisation integrale , ces informations capitales ne devraient plus être gerées de façon disceretionnaire .

  3. Oui mais moi j’ai connu l’auteur, au Trésor, à Grand Dakar à dakar plateau et aux Parcelles, je trouve qu’il reste égal à lui-même dans ses positions courageuses. Si Almudo doute encore de son expertise, c’est beaucoup plus par réaction épidermique, mais les positions dégagées, ainsi que l’analyse objective de la situation font de cette interview un document assez pertinent. J’ai été vraiment touché par l’esprit de solidarité de l’expert. Bonne continuation monsieur Ndiaye, proud of you.

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