Enrichissement illicite – Un procès à rebondissements

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Les plaidoiries s’ouvrent aujourd’hui dans le procès intenté contre Karim Wade et compagnie. Mais que le chemin fut long avant ce tournant décisif. EnQuête vous propose quelques dates repères pour comprendre les tenants et aboutissants de ce procès.

En mars 2012, Abdoulaye Wade perd le second tour de l’élection présidentielle qui l’oppose à Macky Sall. Un trimestre plus tard, les choses se gâtent pour son fils, ancien ministre d’État chargé de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. Confronté à l’impératif de reddition de comptes, nouveau cheval de bataille des autorités, les choses s’accélèrent pour Karim Wade.

Entendu en juillet, puis novembre et décembre 2012, à la section de recherches de la gendarmerie de Colobane, une interdiction de sortie du territoire lui est signifiée le 15 novembre 2012. Le 16 mars 2013, une première mise en demeure pour justifier la licéité d’un patrimoine estimé à 694 milliards 946 millions 390 mille 174 F Cfa, lui est servie.

Un mois plus tard, le 17 avril, il est inculpé pour enrichissement illicite, complicité d’enrichissement illicite et corruption en compagnie de Mamadou Pouye, Ibrahim Aboukhalil, Pierre Goudjo Agbogba, Cheikh Diallo, Boubacar Konaté, Mbaye Ndiaye, Alioune Samba Diassé. Mamadou Aïdara dit Vieux, Evelyne Riout Delattre, et Mballo Thiam font quant à eux l’objet de mandat d’arrêt pour complicité d’enrichissement illicite.

Un semestre plus tard, une seconde mise en demeure pour 99 milliards 129 millions 648,6 F est servie aux inculpés. Mais cette fois-ci, seuls Karim Wade et Mamadou Pouye font l’objet de mandat de dépôt, à l’expiration de la mise en demeure, en novembre 2013. Dans la même veine, la commission d’instruction de la CREI procède à la mise sous administration provisoire des sociétés imputées au prévenu Karim Wade (Ahs, Abs, Hardstand, AN média, DP World Dakar, Black Pearl Finance).

A la fin de l’instruction, le patrimoine présumé de Karim Wade est ramené à 117 milliards de francs CFA. Les accusations d’enrichissement illicite portent sur différents secteurs d’activité dont les finances, le domaine aéroportuaire, portuaire, immobilier, et médiatique. La stratégie de Karim Wade à la barre consiste à récuser la légitimité de la Cour.

Un déni qui se traduit par son refus de répondre aux questions : « Tant que Ibrahim Aboukhalil ne sera pas soigné et en état de comparaître… ». Mamadou Pouye et Alioune Samba Diassé optent pour la même stratégie en faisant une sélection dans leurs réponses. Seuls Mbaye Ndiaye et Pierre Agboba répondent à l’intégralité des questions.

12 novembre 2014 et 14 janvier 2015, tournants du procès

Quoi qu’il advienne, le procès Karim Wade restera dans les annales de la Justice sénégalaise. Le premier des faits insolites qui l’ont émaillé jusqu’ici est sans conteste le limogeage spectaculaire du procureur spécial Alioune Ndao, en pleine audience, le 12 novembre 2014. Victime de son entêtement ou immixtion de la hiérarchie ? Peut-être les deux.

En tout cas, en voulant convoquer d’anciens ministres du défunt régime comme Ousmane Ngom, Madické Niang et surtout Abdoulaye Baldé, en pleine campagne pour les élections locales, le procureur apportait de l’eau au moulin des dénonciateurs d’un procès politique.

Me Amadou Sall, avocat de la défense, expulsé dans la matinée ; le principal prévenu du procès, Karim Wade, malmené physiquement dans l’après-midi. Ces deux événements majeurs, du 14 janvier 2015, constituent sans doute le deuxième tournant majeur du procès pour enrichissement illicite et corruption portant sur 117 milliards.

Le conseil du principal prévenu avait pris la parole, à la suite de la partie civile et du parquet spécial, pour interroger l’ancien Dg de la Senelec, Seydina Kane. Les remarques du juge Henri Grégoire Diop sur ses questions digressives furent mal prises par Me Sall.

S’ensuivirent des échanges de propos aigre-doux entre les deux hommes où il était question de « mauvais juges » et de « mauvais avocats ». Unie comme un seul homme, la défense décréta le boycott de l’audience. Dans l’après-midi, Karim Wade fut malmené physiquement par les éléments pénitentiaires d’intervention (EPI) dans le box des accusés, car il refusait de comparaître.

Depuis lors, Karim refuse de se présenter devant la Cour. Il avait annoncé une grève de la faim le lendemain. Ces deux événements majeurs en cette journée du 14 janvier 2015 constituent sans doute le deuxième tournant majeur du procès. Car depuis lors, les audiences se tiennent sans Karim Wade, mais aussi sans aucun conseil des prévenus.

« Nous ne pouvons pas nous présenter devant une juridiction qui ne respecte pas les droits de la défense. Nous nous présenterons le jour où nous aurons les garanties et les conditions d’un procès équitable », expliquait Me Demba Ciré Bathily de la défense. La partie civile avait réagi, par la voix de Me Yérim Thiam. L’avocat trouve que la CREI a le droit avec elle.

« La Cour n’a aucun moyen d’obliger les avocats à comparaître, elle ne peut pas les faire venir de force. Karim Wade avait la possibilité de choisir d’autres avocats, ce qu’il n’a pas fait. Mais la Cour ne peut pas attendre que des avocats qui ne se sont pas déportés décident de revenir. Ce n’est pas à la Cour d’attendre. Le procès continue », faisait-il savoir au lendemain de ces incidents.

Dans le prolongement de ces frictions, le comble est atteint le 22 janvier, quand l’assesseur Yaya Amadou Dia démissionne en pleine audience. Une divergence avec le président Henri Grégoire Diop sur sa question posée à Mamadou Pouye fâche le magistrat. Il est remplacé, après une suspension de séance d’une dizaine de minutes, par le juge Tahirou Ka.

Témoignages : convergents mais pas décisifs

Malgré ces désertions en cascade, le procès se poursuit. Sur la centaine de témoins cités, seule près de la moitié a été entendue, avec des fortunes plus ou moins diverses. Les experts comptables assurant l’administration provisoire des différentes sociétés incriminées auront été les plus offensifs.

L’écrasante majorité a bien confirmé une opacité dans la création et la tenue financière des sociétés en question, mais avoue ignorer le nom des vrais actionnaires. Ainsi, Iba Joseph Basse, administrateur provisoire, a décrié la masse salariale de la Banque Marocaine du Commerce Extérieur BMCE (devenue Black Pearl Finance).

Pourtant, il n’a pu établir de manière irréfutable le lien entre Karim Wade et cette banque qu’on lui impute. L’expert-comptable Ibrahima Diop est également catégorique sur l’absence de Wade-fils dans son rapport sur la société immobilière Hardstand. « Son nom n’apparaît nulle part », déclarait-il.

Alboury Ndao, avec le fameux compte de Singapour, présenté comme le témoin capital ; Cheikh Tidiane Ndiaye, administrateur provisoire de AN Media, ont eux nommément cité le fils de l’ancien président de la République comme propriétaire. Le premier a maintenu sa position devant la Cour.

Un compte de 47 milliards appartenant à Karim Wade est bien niché dans ce paradis fiscal asiatique, soutient-il. Problème de taille : « Les milliards de Singapour ont été vidés et transférés en septembre dernier », poursuit le témoin-clé dans cette procédure. Wade-fils a même intenté un procès en Correctionnel pour tentative d’escroquerie à jugement, faux et usage de faux dont l’issue sera connue le 12 mars prochain.

L’administrateur provisoire de la société AN Média a quant à lui été formel sur la propriété de la société : « C’est évident que c’est Karim Wade qui a acheté le matériel », a-t-il soutenu lors de sa déposition. Mathiaco Bessane s’est quant à lui prononcé sur l’influence tentaculaire de Wadefils.

Alors qu’il n’était pas son ministre de tutelle, il a demandé à l’ingénieur de l’aviation civile de ne pas arrêter l’exploitation d’ABS. Cheikh Diallo a affirmé que la société CD Média, éditrice du journal « Le Pays », appartient à Karim Wade qui a fourni le matériel et avait fait de lui son prête-nom. La notaire Me Patricia Lake Diop a confié que Karim Wade lui avait demandé de constituer AHS, CD media, An media, Terravision, Star Immobilier. « Il me donnait les éléments constitutifs, noms, actionnariat, capital », avait déclaré la notaire.

 

Forte bataille de procédures

Ouvert le 31 juillet 2014, le procès de Karim Wade a démarré par une bataille de procédures. Pendant plus d’un mois, les avocats de la défense se sont évertués à déceler tout ce qui pourrait constituer à leur avis un manquement aux règles de droit. L’objectif était de pousser la Cour d’enrichissement illicite (CREI) à annuler le procès.

Ainsi, le premier acte posé par la défense a consisté à écarter du procès Mes El Hadj Diouf et Moustapha Mbaye. Leur argument repose sur le fait que les deux avocats disposent d’un mandat public. Le premier est député et le second président du conseil départemental de Saint-Louis.

En réplique à cette requête, les conseils de l’Etat ont demandé à la Cour de déclarer irrecevable également la constitution de Mes Souleymane Ndéné Ndiaye, El Hadj Amadou Sall, Madické Niang et Alioune Badara Cissé sous le prétexte qu’ils sont d’anciens ministres et fonctionnaires de l’Etat.

Dans la deuxième semaine du procès, la défense a introduit une nouvelle requête portant cette fois-ci sur le sursis à statuer. Elle estimait que la Cour ne pouvait pas entamer le jugement, car une requête portant sur son incompétence était pendante au niveau de la Cour suprême. Comme la première, celle-ci a été rejetée.

Après une pause d’une semaine, l’audience a repris le 18 août. La défense est revenue à la charge avec une kyrielle d’exceptions de nullité. Elle a estimé que la procédure est truffée de violations de la loi, de l’enquête préliminaire en passant par l’instruction jusqu’au renvoi en juridiction de jugement.

Parmi les exceptions soulevées, il y avait le fait que l’enquête a été menée par les éléments de la Section de recherches de la gendarmerie et non par une brigade spéciale. Les conseils des prévenus estimaient que les mesures administratives prises par la CREI durant l’information étaient une cause de nullité, car la désignation de certains experts était illégale.

La défense avançait également le fait que la constitution de l’Etat comme partie civile était irrecevable. Beaucoup d’autres arguments avaient été avancés par les conseils de Karim Wade et de ses coïnculpés qui finalement étaient accusés de faire dans le dilatoire pour ne pas aller au fond.

Me Ciré Clédor Ly avait tenté de se défendre de cette accusation. Il avait confié que Karim Wade lui avait dit que peu importait si la bataille de procédures devait prendre trois mois, l’essentiel étant qu’il fasse leur devoir, selon leur conscience pour qu’il puisse « être lavé de cette injustice dont il est victime ». La défense devra attendre l’issue du procès pour connaître le sort que les juges réservent à leurs demandes, car toutes les exceptions ont été jointes au fond.

Il faut également souligner que la bataille procédurale ne s’est pas limitée à la CREI. La Cour suprême a été saisie par la défense qui voulait obtenir la tête du président Henri Grégoire Diop. Une requête portant récusation du juge a été déposée à cet effet, en septembre. Débouté, Karim Wade est également condamné à payer une amende de 25 000 francs CFA.

Sans désemparer, les conseils des prévenus ont déposé une nouvelle demande de récusation. Ils sont passés à l’offensive contre le président Henri Grégoire Diop en introduisant, il y a quelques jours, une demande de prise à partie.

L’obtention d’une liberté provisoire fait également partie du combat de la défense qui a multiplié les demandes. Celles-ci ont été rejetées par la CREI, mais aussi par la Cour suprême. Les avocats de Bibo Bourgi ont aussi multiplié les requêtes pour voir leur client obtenir une autorisation de sortie du territoire pour des soins médicaux.

Cette liste des requêtes est loin d’être exhaustive. Elles sont multiples et attendent toutes d’être vidées.

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