Entretien avec Mame Less Camara (Analyste politique) – ‘’La parution de ce livre-mémoires est d’un mercantilisme indécent’’

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Que vous inspire la polémique suscitée par le livre-mémoires de l’ancien président Abdou Diouf ?

La première chose que j’ai remarquée, c’est que tous les gens qui ont réagi jusqu’à présent, ce sont d’anciens militants du PS qui avaient quitté le candidat Abdou Diouf bien avant sa défaite ou dans l’entre-deux tours, en 2000. Qu’Il s’agisse de Moustapha Niasse, Oumar Khassimou Dia ou de Djibo Ka, on a l’impression que des ruptures mal cicatrisées ont été ravivées par la publication du livre. Il raconte des anecdotes, des confidences qui bousculent l’honorabilité ou la respectabilité de certains de ces personnages qu’il a aidés, comme Khassimou.

Des péripéties ou des anecdotes célèbres comme celle de l’épisode du gifle de Niasse à Djibo Ka qu’il réfutera plus tard. Un incident dont un célèbre journal satirique de l’époque (Cafard Libéré) avait fait les choux gras et parlait même du célèbre boxeur de Keur Madiabel, à savoir Niasse. Un incident qui, selon l’opposition de l’époque, démontrait l’absence de personnalité ou même l’incapacité de l’ex-président à tenir ses troupes, son parti et a fortiori les rênes du pays.

Concernant l’anecdote, Djibo a démenti cet épisode. Quel est la part de vérité dans cette histoire ?

Diouf ne fait que répéter une version de l’histoire qui circulait à cette époque. On a prêté à Djibo Ka une réelle volonté de désenghorisation pour que la légitimité de Diouf soit encore plus large et qu’il puisse gouverner en toute latitude. Et, selon la rumeur, pousser Niasse à la faute pour le faire sortir du gouvernement.

Qu’est-ce qui a pu se passer entre Niasse et Jean Collin pour que ce dernier veuille pousser Niasse à la faute ?

Avec le recul, l’on se rend compte que l’après Senghor n’a pas été un long fleuve tranquille. Abdou Diouf n’était ni accepté par l’opposition, ni parmi les caciques du PS. Des barons pro senghoriens ont continué durant le début du règne de Diouf à contester son autorité. En outre, Senghor avait prévu ce scénario et avait mis en garde Wade que Diouf, loin de l’image d’un personnage timoré, avait la fermeté d’un grand homme d’État qui saurait réagir en cas de troubles.

Dans son livre, Diouf est aussi revenu sur le cas de Tanor qui, à cause de son impopularité dans le parti, a beaucoup participé à sa défaite de 2000. Comment expliquez-vous le choix porté sur Tanor ?

Diouf s’est voulu l’élève de Senghor. Il a désiré préparer sa succession, comme l’avait fait Senghor avant lui. L’apprentissage de Diouf durant ses 10 ans comme Premier ministre avait pour but de le préparer et de le familiariser à l’exercice du pouvoir. Senghor a voulu construire son successeur. Diouf a voulu faire de même. Je rappelle que Diouf n’est pas une émanation du PS, il est passé par le haut de l’entonnoir. Il a aspiré à vouloir faire de même avec Tanor qui ne se distinguait pas par son militantisme au sein du PS.

Ainsi, il a voulu sauter une génération pour sa succession, comme Senghor l’avait fait, en écartant les barons de son régime qui voulaient prétendre à sa succession. Toutefois, autant Diouf, successeur de Senghor, était discret, autant Tanor, mis au-devant de la scène, a fini par se présenter non en dauphin de Diouf mais en successeur de Jean Collin. Ainsi, sous les habits d’homme fort, à l’image de Collin, Tanor incarne un pouvoir à sa façon.

Est-ce que Diouf n’a pas concouru à sa propre perte en mettant en avant Ousmane Tanor Dieng, surtout après l’épisode du congrès sans débat de 1996 ?

Pour moi, l’épisode du congrès sans débat était prévisible.

Dans quel sens ?

A mon avis, tout a commencé bien avant le congrès. Les problèmes ont démarré quand Djibo Ka a réclamé l’instauration de courants au sein du Parti socialiste. Une demande qui est loin d’être innocente, car il voulait mettre en minorité Ousmane Tanor Dieng au sein du parti, en suscitant une adhésion massive à son courant. Sentant le piège, Diouf et même certaines personnalités du parti comme Moustapha Niasse ont senti la manœuvre et le congrès sans débat a confirmé le choix de Tanor. Cependant, Diouf n’a pas été au bout de ses idées, car il n’a pas voulu confier toute la direction du parti à Tanor. Il s’est réservé le droit d’intervenir dans la gestion du parti en gardant le poste de secrétaire général et à Tanor celui du premier secrétaire. A la fin, c’était à n’y rien comprendre.

On a l’impression qu’il garde toujours une certaine amertume envers les responsables socialistes qui ont fait défection bien avant les élections ou dans l’entre-deux tours

En aucune manière il n’a été trahi par ses camarades. Au fond, on peut se demander s’il a développé son sens politique. Il n’avait pas compris en 2000 que les enjeux de cette élection dépassaient sa propre personne et qu’ils allaient au-delà de la lassitude envers un système qui durait depuis très longtemps. Beaucoup de gens de son entourage, qui ont compris cela, ont quitté le train avant qu’il ne rentre dans le mur. A mon avis, il a voulu rester au-delà du temps que les Sénégalais pouvaient lui concéder.

Dans son ouvrage, Diouf est aussi revenu sur le soutien de Djibo qui ne lui a pas été d’un grand secours lors du second tour de l’élection présidentielle de 2000.

Encore une fois, cet épisode montre que Diouf n’est pas très politique. Il a attendu d’être dos au mur avec un second tour contre Wade et que tous les paramètres s’étaient déréglés pour se rapprocher des dissidents (Niasse et Djibo) du parti. Ainsi, lors du second tour, il ne disposait plus de réserve de voix. Je pense que Diouf n’avait pas envisagé cette situation, sinon il aurait bien en amont embrigadé Djibo et Niasse pour constituer une armée électorale qui lui aurait permis de passer au deuxième tour. Cette stratégie aurait pu lui éviter des rencontres désastreuses avec Djibo qui, avec sa volte-face, a renforcé l’opinion et l’opposition dans sa volonté de changement.

Comment expliquez-vous cette volte-face?

Manifestement, les offres d’Abdou Diouf ont changé entre les deux rencontres. C’est ce qui explique le changement de discours de Djibo, qui avait appelé au départ de Diouf lors de leur premier tête-à-tête, avant de faire volte-face à la suite de leur seconde rencontre. Mais le positionnement de Moustapha Niasse et surtout le désir de changement ont été décisifs.

Le timing de la parution du livre vous paraît-il innocent ?

La parution de ce livre-mémoires est d’un mercantilisme indécent. C’est le meilleur moment pour vendre ce livre. A la veille du sommet de la Francophonie, à la veille de son départ de la tête de l’Oif et éventuellement à la veille de sa retraite de toutes activités publiques. Deuxièmement, ça va nécessairement parasiter le sommet et pas dans le meilleur sens. C’est le moment où certains personnages dans le gouvernement ou dans l’opposition, comme Moustapha Niasse, Djibo Ka, Tanor Dieng, sont sous le feu de la rampe et pas toujours à leur avantage. Ils vont devoir parler. La chose la plus grave, c’est pour le président Macky Sall qui, après ça, va apparaître comme l’héritier d’une histoire à laquelle il n’a pas participé.

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