Et si le père Noël entrait en prison… par Madiambal Diagne

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Elles sont nombreuses, les personnalités de divers horizons, à sortir de prison avec la ferme résolution de ne point oublier leurs codétenus. On sort des prisons sénégalaises avec une certaine compassion pour ceux qu’on a laissés à l’intérieur, avec la profession de foi de faire quelque chose pour tenter de les soulager.

Tant les conditions de détention dans nos prisons sont inacceptables et constituent une insulte à la dignité humaine. On n’est jamais assez indigné devant le sort réservé aux personnes en détention que si ce sort vous est personnellement appliqué. Pour autant, les liens du détenu, qui vient de bénéficier d‘une libération, avec le milieu carcéral se distendent très vite. Sans doute que le manque de vocation y est pour quelque chose. Il faut aussi souligner que certains traits culturels ne semblent pas disposer à mettre l’environnement carcéral au cœur des préoccupations. En effet, le séjour en prison est vécu comme une humiliation suprême, assimilable même à la mise à mort sociale. Il existe de nombreux cas de personnes qui avaient préféré se donner la mort plutôt que d’aller en prison. Aussi, une idée très reçue dans la société sénégalaise voudrait que gor du dugg kaso (un homme digne n’entre pas en prison). Cela fait que d’aucuns rechignent à aller visiter un proche incarcéré et donc de nombreux détenus sont oubliés de leurs proches. La prison est appréhendée comme tellement «impure» que le détenu élargi file tout droit piquer une tête dans la mer pour se purifier, se laver de toutes les souillures.
Dans une telle société, on comprend alors pourquoi les autorités publiques ne daignent pas mettre des ressources publiques dans le fonctionnement des établissements pénitentiaires. Dire que pas une prison n’a été construite au Sénégal depuis les années 1960. Dans l’entendement populaire, l’autorité publique qui construit une prison s‘y fera incarcérer un jour ou l’autre. On connaît d’ailleurs un grand ministre de l’Intérieur de la République du Sénégal qui, bien qu’assurant la tutelle de l’Administration pénitentiaire, n’avait jamais accepté d’entrer dans une prison pour la visiter. Même certains gris-gris ne s’accommoderaient pas du milieu carcéral et de nombreux citoyens continuent de croire que les personnes détenues ne mériteraient point de la considération ! Les détenus mériteraient bien leur mauvais sort !
Il reste que la vie enseigne que les raisons pour lesquelles une personne peut être jetée en prison sont multiples et parfois sont des plus inattendues. Combien de hautes autorités politiques, sociales et économiques ont eu à se retrouver un jour en prison pour des raisons diverses ? C’est dire que la prison n’est pas faite que pour les autres. Il s’y ajoute que les préoccupations internationales sur l’état des prisons, les conditions de traitement des détenus en corrélation avec les principes de respect des droits et de la dignité de la personne humaine, font obligation à tout pays de mettre en œuvre des politiques publiques de financement des prisons. Le Sénégal ne saurait donc être en reste. Mais le Sénégal fait partie des pays où le coût de la prise en charge quotidienne d’un détenu est des plus en dessous des standards internationaux. Les couchettes ou les repas servis aux détenus révulseraient un porc.
En dépit de cela, le Sénégal se plait à chercher à se faire passer pour l’un des pays les plus scrupuleusement regardants sur les droits humains. La preuve, il n’y a aucune structure de respect des droits humains qui existerait dans un quelconque pays au monde dont le Sénégal ne se serait pas déjà doté. Le Sénégal est toujours le premier pays à ratifier tous les instruments juridiques internationaux qui consacrent ou protègent les droits de la personne humaine. On pourrait croire que cela procède d’une grande hypocrisie de nos gouvernants. Combien de fois Alioune Tine, président du Comité sénégalais des droits de l’Homme (Csdh) a eu à exprimer son dépit par rapport aux moyens dérisoires alloués à cette institution ? Les performances du Csdh ont longtemps fait la fierté du Sénégal. Seulement, la tricherie ne payant pas à tous les coups, le Sénégal a fini par être rétrogradé du statut très convoité de «A» vers celui, moins reluisant, de «B» sur l’échelle d’appréciation et d’évaluation du respect des droits humains. La décision avait été prise, par le Comité de coordination des institutions nationales des droits de l’Homme (Cic) dont le siège est à Genève.
«La raison de cette revue à la baisse de la cote sénégalaise serait un chapelet de contre-performances comprenant, entre autres indélicatesses des autorités de l’Etat, la défaillance en matière de promotion et de protection des droits de l’homme et le non-respect des règles minima et surtout le manque de ressources humaines et matérielles efficientes». Et comme pour continuer à épater le monde, le Sénégal s’est effectivement doté, depuis janvier 2012, d’un Observatoire national des lieux de privation de liberté (Onlpl) dirigé par le magistrat Boubou Diouf Tall. L’Onlpl se veut «une Autorité administrative indépendante ayant pour vocation de visiter à tout moment, tout lieu du territoire de la République du Sénégal placé sous sa juridiction ou sous son contrôle où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur l’ordre d’une autorité publique ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement». Aussi, l’Observatoire a pour mission d’émettre des avis et de formuler des recommandations aux autorités publiques et de proposer au gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables. Quels vastes chantiers d’autant que l’Onlpl a identifié quelque 220 lieux concernés par ses missions ! L’Etat du Sénégal, en dépit de ses grandes et nobles ambitions, n’a estimé lui donner qu’un budget, d’ailleurs le plus dérisoire de tous les démembrements du ministère de la Justice, de 21 millions de francs. Comment remplir ces missions dans de telles conditions d’indigence et sans aucun autre moyen logistique? Force est de dire que l’Onlpl restera une coquille vide ou simplement un leurre pour la communauté internationale. Le ministre de la Justice, Me Sidiki Kaba semble s’inscrire dans une telle vocation quand, interrogé vendredi dernier à l’occasion d’une conférence de presse sur l’absence de moyens pour l’Onlpl, il estime ne compter que sur des partenaires comme l’Union européenne pour trouver à cet organisme des moyens pour bien fonctionner.

Madiambal Diagne
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