Et si le problème du Sénégal était le régime présidentiel ?

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Dans l’analyse des systèmes et des régimes politiques, un regard comparatif des institutions et des normes nous montre que rares sont les pays qui ont réussi l’entreprise d’acclimatation des régimes politiques d’essence occidentale. L’Afrique plus que d’autres n’échappe pas à cette logique. Cinquante ans après les indépendances, les pays africains et le Sénégal en particulier, essayent de consolider leurs régimes constitutionnels à travers un « présidentialisme négro-africain ». Ce régime, calqué sur le modèle français de la Ve République, a montré ses limites. Que ce soit dans la conception et la gestion des affaires publiques ou en matière de transparence financière et budgétaire et la séparation des pouvoirs et la protection des libertés publiques fondamentales, le système présidentiel de concentration des pouvoirs a été une catastrophe que nous africains et sénégalais continuons de supporter avec amertume et impuissance.

La particularité du système présidentiel sénégalais réside dans le fait que le magistrat suprême a énormément de pouvoirs et de prérogatives en vertu de la loi fondamentale. Et ce au détriment des autres pouvoirs constitutionnels et même des citoyens qui se trouvent incapables de contrôler l’action de l’exécutif ou même d’être informés réellement du pouvoir qu’ils ont délégué. Un autre paradoxe et non des moindre qui apparait dans toutes les lois fondamentales des pays d’Afrique francophone est le poids prépondérant de l’exécutif par rapport au législatif. Alors qu’aux Etats-Unis d’Amérique, pays de naissance du régime présidentiel, dans le décorum institutionnel, le congrès symbolisant le pouvoir législatif (Sénat et Chambre des représentants) est le premier pouvoir. Malgré l’étendu de ces pouvoirs constitutionnels et en matière de politique étrangère, le président des Etats-Unis ne peut nommer le fonctionnaire le plus subalterne sans l’aval ou l’approbation du Sénat Américain. Par conséquent, ces prérogatives aussi importantes soient elles, sont rigoureusement encadrées. Il n’en est pas de même chez nous au Sénégal.

Instabilités institutionnelles et Pouvoirs de nominations importantes du président de la République

Dans sa trajectoire historico-politique, outre l’intermède douloureuse du début des indépendances (tropicalisation ratée du régime parlementaire avec les évènements de décembre 1962 marqués par l’éviction puis l’emprisonnement du président du conseil des ministres M. Mamadou DIA et certains de ses partisans), le Sénégal a toujours affectionné le régime présidentialiste. Or, il faut reconnaitre que hors de sa terre d’origine, (les Etats-Unis d’Amérique) le régime présidentiel pur n’a produit que des dictatures présidentialistes. Les « césarismes démocratiques » en Amérique Latine avec les nombreux « pronunciamientos » et les « rois nègres ayant droit de vie et de mort » sur leurs concitoyens. Ce genre de régime, par ailleurs, non reconnu par la théorie générale du droit public, a abouti à une instabilité chronique au plan institutionnel et politique. Celle-ci se manifeste par l’extrême personnalisation du pouvoir qui a conduit à une confusion manifeste entre ce qui relève du privé et du public et finalement à un conflit d’intérêt prélude de l’institutionnalisation de la grande corruption. Elle a induit aussi une crise profonde de la gouvernance et de la transparence dans la gestion des affaires publiques. Mais c’est aussi et surtout l’étendue des prérogatives du chef de l’Etat au Sénégal qui constitue un déséquilibre institutionnel majeur. Le chef de l’exécutif au Sénégal illustre bien le mimétisme et la non effectivité du constitutionnalisme occidental dans son entreprise de tropicalisation. En effet, le président de la république, l’incarnation de la clé de voûte des institutions pour reprendre la célèbre formule du compagnon du général De Gaulle Michel DEBRE, a différents types de pouvoirs. La loi fondamentale du pays, en l’espèce la constitution du 7 janvier 2001 dispose que : dans ses pouvoirs propres, le chef de l’exécutif « nomme le chef du gouvernement et met fin à ses fonctions » (article 48), détermine « la politique de la Nation » (article 41). Il nomme les membres du Conseil Constitutionnel et dispose du pouvoir de saisine (malgré la volonté de réforme), dispose de la prérogative constitutionnelle de dissoudre l’Assemblée Nationale, il peut consulter le pays par référendum : l’article 50 dispose que « le président peut soumettre tout projet de loi ou tout projet constitutionnel au référendum » et dispose du droit de grâce (article 48 le droit d’accorder la grâce et la grâce amnistiante…), et enfin nomme aux emplois civils et militaires (article 43) « le président nomme aux emplois civils » et l’article 44 dispose : « Il est le chef suprême des armées et dispose de la force armée». Il y a ensuite les pouvoirs partagés qui peuvent s’exercer en cas de changement de majorité parlementaire. Une perspective politique qui ne s’est pas encore réalisée au Sénégal. Aussi le vœu d’un « exécutif fort », allusion au système institutionnel français, a abouti à l’instauration dans les constitutions des pays d’Afrique francophones ce qu’on appelle « les pouvoirs de crise ». Cela se traduit par la mise en place en cas de crise grave de « pouvoirs quasi dictatoriaux » du chef de l’Etat. Cette prérogative a pour siège l’article 51 (constitution du 7 janvier 2001). Par conséquent, le drame à travers le « présidentialisme négro-africain », c’est de faire du chef de l’exécutif le détenteur absolu de toute souveraineté, la source de tout pouvoir et son élection est la ligne de mire de tous les dangers : l’enjeu qui détermine la réalité du pouvoir. C’est récurrent de voir qu’en Afrique l’élection du président de la république au suffrage universel direct finit souvent par des contestations systématiques ou pire, par des conflits civils. Bien que dans les constitutions, comme c’est le cas du Sénégal, on prévoit de renforcer les pouvoirs et prérogatives de la représentation nationale en vue d’un meilleur contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques de développement (projet de loi convoquant le référendum du 20 mars 2016). De la même manière, le fait d’en faire « la clé de voûte des Institutions et la reconnaissance d’un « domaine réservé », hérité du système constitutionnel français, a promu ce chef comme ayant le plus de pouvoirs si on en compare les systèmes institutionnels de par le monde (avec des nuances près). Dans un contexte de crise et de malaise profond dans les Institutions, le Sénégal ne peut faire l’économie d’une profonde réforme et mieux d’une refondation politique de ses institutions post indépendance.

 

L’Avenir des Institutions Républicaines et de la gouvernance au Sénégal :

Contrairement aux autres pays africains, après les indépendances le Sénégal a vécu dans une relative stabilité politique. Hormis le problème de la Casamance qui est un cas isolé qu’on rencontre même dans les pays où le phénomène étatique est enraciné, l’évolution sociopolitique de ce pays sahélien a été moins chaotique. Autrement dit, le fait qu’il n’y a jamais eu de changement anticonstitutionnel de gouvernement, la tolérance religieuse et l’existence de régulateurs sociaux très structurés, montrent qu’une refondation des institutions politiques, dans le sens d’une plus grande démocratie, de l’intérêt général et de la prise en compte enfin des aspirations réelles des populations au plan de la gouvernance et de la demande sociale est plus que souhaitable.

Ce modèle institutionnel qu’est le régime présidentiel ou présidentialiste, quel que soit ses mérites, est à bout de souffle. Par conséquent, la nécessité de la refondation institutionnelle s’impose. En effet, le Sénégal comme les autres pays africains, tout en se référant de ce qui se fait de mieux ailleurs dans tous les continents, doivent essayer de réfléchir et élaborer des formules et modèles institutionnels en adéquation avec leurs trajectoires et en conformité avec leurs us et coutumes. Car les formules creuses qu’on essaye de « tropicaliser » sans succès sont le fruit d’un contexte socioculturel bien déterminé marqué par des siècles de pratiques et d’enracinement. C’est la raison pour laquelle, le droit constitutionnel classique à l’occidental rencontre des difficultés d’acclimatation en Afrique. Et l’auteur du concept André HAURIOU de l’école de Toulouse disait que « le droit constitutionnel ne peut s’éclore hors de ses bases que quand il y a des équilibres sociopolitiques variés d’une part et d’un environnement approprié d’autre part ». Et actuellement cela n’existe pas encore chez nous malgré une relative longue période d’apprentissage. Pour créer cela, il faut une entreprise radicale de réforme de nos institutions politiques. Dans la mesure où « le modèle sénégalais » tant vanté par certains observateurs étrangers et les acteurs politiques au plus haut sommet (L. Sédar SENGHOR, Abdou DIOUF, Abdoulaye WADE et maintenant Macky SALL le plus élus de l’histoire politique du Sénégal avec un pourcentage de plus de 65% des suffrages lors des dernières élections présidentielles), n’est qu’une « démocratie électorale » qui se résume pour le peuple qu’à choisir un dirigeant sur lequel il n’a aucune prise à postériori.

Cette conception que nous avons de la vie démocratique rend caduque la belle phrase tirée du discours de Gettysburg de l’ancien président Américain A. LINCOLN et inscrite dans la constitution du Sénégal: « la démocratie c’est le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple ». Depuis les « indépendances » il y a eu des réformes, mais force est de constater qu’il n’y a aucune visibilité dans ces réformes. Dans la mesure où, ces dernières n’ont porté que sur des dimensions institutionnelles modestes qui démontrent la cupidité de nos gouvernants. Il s’agit des dispositions qui touchent sur la nécessité ou non d’avoir un premier ministre et les dispositions touchant à la durée du mandat présidentiel. Cette disposition est marquée dans l’histoire constitutionnelle du pays par des « aller et retour » sur la durée de 7 et/ou 5 ans. Au point qu’on note souvent d’ailleurs une rédaction très ambiguë et source de confusion de cet article dans les constitutions du Sénégal et de certains pays africains. Et pourtant, on clame toujours que cette disposition est non révisable par voie parlementaire, mais seulement par convocation d’un référendum.

Abdou Diouf l’a fait à travers une révision constitutionnelle par voie parlementaire en 1998. Abdoulaye Wade a fait passer le mandat de 5 ans à 7 ans par la voie parlementaire aidé en cela par une majorité écrasante au parlement. Et Macky SALL aussi dans la même logique que ces prédécesseurs est entrain de manœuvrer au plan institutionnel pour rester au pouvoir le plus longtemps possible à travers les arguties juridiques et constitutionnelles. Malgré sa profession de foi consistant à vouloir moderniser et renforcer les Institutions politiques et administratives sénégalaises à travers le référendum « précipité et non concerté » du 20 mars.

L’heure est venue de refonder profondément ce régime, à défaut, il faut essayer de le discipliner au plan juridique. En instaurant de façon claire un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois en y instaurant l’incapacité de le faire changer par voie référendaire. De même, on constate que la gouvernance des sociétés modernes devient de plus en plus difficile, pourquoi ne pas instaurer un mandat unique de 6 ans ou 7 ans non renouvelable avec possibilité de référendum révocatoire en milieu de mandat comme en Amérique Latine ? Aussi, dans le cadre de cette entreprise de refondation, il faut mettre fin à une anomalie héritée des partis communistes, c’est-à-dire président de la République et chef de parti. Ce qui souvent brouille les pistes et sème la confusion et instaure une gouvernance partisane. En tout cas vu la crise profonde de la gouvernance économique et de la démocratie électorale à la sénégalaise, il est urgent d’entreprendre une réforme profonde de nos Institutions condition sine qua non de l’exercice effective de nos libertés, du développement socioéconomique et de l’harmonie de la société sénégalaise. Et pour cela, les Sénégalais, toutes tendances confondues, doivent apporter leur contribution, particulièrement le peuple, puisque la constitution est l’affaire du peuple avant tout, des juristes publicistes et surtout de ceux qui la mettent en œuvre c’est-à-dire les politiques. Ces derniers doivent se déclarer sur la nature et l’avenir de nos institutions. Surtout que quand on est dans l’opposition on traite de tous les noms d’oiseaux le système présidentialiste, mais une fois au pouvoir s’en accommode pour gouverner et de quelle manière. Tout compte fait, le monarque républicain, sous nos cieux sahéliens et tropicaux, est nu. En effet, après avoir été élu de la manière la plus démocratique et légitime, les citoyens sénégalais se rendent compte enfin que le chef suprême du pays n’a aucun pouvoir, ni prise sur la réalité économique, budgétaire et financière du pays. Dans la mesure où, le financement des mirobolantes promesses électorales dépend du respect des conditionnalités macro-économiques et de gouvernance transparente de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire Internationale (FMI), de l’Union Européenne, et des pays développés en générale. De même, comme la gestion des finances publiques, à la faveur de l’intégration économique sous régionale, est devenue l’affaire d’une communauté institutionnelle, le président est tenu par les critères de convergence limitant sa marge de manœuvre budgétaire. Par conséquent les promesses électorales deviennent caduques avec les résultats que l’on sait pour le citoyen stoïque qui l’a élu.

Cheikh LO FALL, juriste, diplômé en droit international( Université Bordeaux Montesquieu) en politiques économiques et de développement (Paris 5 Descartes) et doctorant en droit international économique à l’Université de Bordeaux

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