« Évolution De La Musique Sénégalaise De 1950 A Nos Jours » Par Amadou Guèye Ngom

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                                                     NOTE DE LECTURE

             « ÉVOLUTION DE LA MUSIQUE SÉNÉGALAISE DE 1950 A NOS JOURS »

                                                          par Amadou Guèye NGOM, éditions feu de brousse, 2019.

               Les premiers mots de l’auteur décédé en janvier 2010, disent ceci : « Cet ouvrage n’a aucune prétention musicologique ou didactique mais se veut modestement un rappel historique et source d’informations au profit des générations nées trente ou quarante ans après 1960 (…) tout en doutant que la musique sénégalaise sorte un jour du créneau «mbalax» (…) Mes appréhensions quant à l’évolution du «mbalax» résultent de deux constats: 1) un sénégalais sur dix s’y identifie 2) la rentabilité du produit. S’y ajoute le fait que la musique Sénégalaise moderne ne s’écoute plus; elle se danse.»

              Le poète Amadou Lamine Sall qui signe la préface écrit : « Amadou Guèye NGOM, auteur de cette œuvre hélas inachevée, est mon grand’frère. Il m’a vu grandir à Kaolack. Amadou a été celui qui a toujours veillé sur moi, sur mon écriture, sur ma création littéraire La mort est arrivée, sans avertir, en plein vol vers les Etats-Unis. Écrivain impétueux et invincible, il possédait une plume d’avant la littérature. C’était un chirurgien méticuleux des mots et du phrasé. Il était à la fois maître du bistouri et maitre anesthésiste. Il « opérait » seul. Il n’avait besoin de personne. Ses textes étaient sans déchets. Il était précis et puissant dans son art. Quand à sa culture, au sens large, elle était stupéfiante. Il n’ignorait rien des livres de la terre. Il avait tout lu, tout vu. Il était à la fois un fin et pur lettré, au sens où les anciens étaient à la fois écrivain, artiste, mathématicien, botaniste, géographe, historien, musicien, physicien, chimiste. Dans cet ouvrage, il parle de la musique sénégalaise, de son histoire, de son cheminement, de ses stars d’aujourd’hui et d’hier ainsi que de ceux moins connus, sur lesquels il pose des projecteurs pour leur rendre justice. Je n’ai jamais cru que la mort pouvait vaincre un tel homme. Elle n’a pas pu, en effet, le vaincre. Ce livre qu’il nous laisse le prouve. »

                                                 EXTRAITS  DES BONNES FEUILLES :

« (…) Nous, Africains, savons plus ou moins de quels genres d’instruments se servait-on dans telle ou telle contrée mais n’avons aucune trace de ce qui se jouait du temps des Samory, Béhanzin, Lat Dior ou Alboury. Contrairement aux musiques zaïroise, guinéenne, congolaise, la musique sénégalaise a suivi un parcours assez singulier. Il faut remonter à l’ancienne AOF avec l’implantation, en 1946, de Radio Dakar qui commença à décloisonner les musiques cantonales pour les diffuser à l’échelle nationale. Les Lébous avaient en commun le Ndawrabin, un ensemble de rites d’incantations animistes pour renouer leur allégeance aux génies de l’océan (…) On peut citer le Kankourang, cérémonie ésotérique dans les bois sacrés de la Casamance d’où toute femme est exclue. On peut regretter les Kasak des circoncis, rituels d’initiation rythmés au tam-tam (…) Nombre de vocalistes d’hier furent découverts. On peut citer Assane Ndiaye l’ancien, Feu Laye Mboup, Thione Seck et même Youssou Ndour (…) Il y a le Ndëpp cérémonie d’exorcisme, survivance des pratiques païennes du Sénégal d’avant l’Islam (…) au Sénégal coexistent deux types de rituels: le « taaja boon » sorte de mardi gras, la veille du nouvel an musulman et les survivances païennes dont le « baaw naan » qui signifie littéralement: « répandu-bu » et par extension boire à dessein d’ attirer la clémence des dieux à la suite d’une longue sécheresse (…) Ces musiques étaient plus liturgiques que profanes. Une pratique chez les sérères du Sine est le “Xoy”, réunion de prédicateurs appelés Saltigués, à l’approche de l’hivernage (…) La meilleure illustration de QUAND LA MUSIQUE N’ÉTAIT PAS DANSE, est ce qu’on appelle la Musique de Cour composée exclusivement pour les rois, princes et hauts dignitaires d’antan. Les musiciens s’accompagnaient d’une guitare à trois ou quatre cordes appelées « khalam » chez les Wolof,  « hodu » chez les Hal Pulaar. Ce genre musical reste figé, sans perspective d’évolution, pas même de la part des nouveaux venus qui marchent dans le sillon des Amadou Ndiaye Samb, Samba Diabaré, Boucounta Ndiaye (…) Le « fanal », lui, était suivi d’une longue procession sous la conduite de grands chanteurs comme Badara Mbaye Kaba, Diabou Seck, Mbana Diop, Fat Thiam Samb, Ndiaye Lô, Coumba Fall Léonie. Une nouvelle génération de troubadours vit le jour avec Mangoné Ndiaye, Ndiaga Mbaye. Deux ensembles folkloriques se sont particulièrement illustrés : « le Cercle de la Jeunesse de Louga » et le groupe « Médina Sabakh » du Saloum. Le premier, avec Fatou Kassé a été un riche vivier pour vocalistes en mal d’inspiration. On peut citer « Kuy laal Mademba », émouvant chant d’amour maternel et « Samina » dont El Hadi Faye revendiqua frauduleusement la paternité pour accuser Viviane Ndour de l’avoir plagié (…) Il y a la diva Yandé Codou, voix chaude et vibrante. On peut lui reprocher de ne s’en tenir qu’à l’éloge des ses bienfaiteurs et des anciens monarques du Sine Saloum mais elle a ouvert une brèche dans un paysage musical étouffé par l’hégémonie wolof tout en demeurant obstinément enracinée dans la tradition sérère du chant. Khar Mbaye Madiaga, outre ses animations lors des séances de lutte, a commis des textes plein d’imagination et d’humour (…) A part les rappeurs, on ne trouve presque jamais de thèmes humoristiques dans la chanson sénégalaise plutôt apologiaque ou didactique, qu’il s’agisse de Soda Mama, Ndèye Mbaye, Madiodio Gningue et surtout Kiné Lam qui a fait beaucoup d’émules pour ne citer que Fatou Guéwel, Maty Thiam Dogo. Leurs textes laudatifs donnent l’impression de plagiats mutuels ou d’être composés par une seule et même personne. Si Youssou Ndour, Baba Maal, Ismael Lo et autres choisissent d’aller à la conquête de toutes les sensibilités du monde en produisant de la World Music, Les Fatou Laobé, Madiodio Gningue, Kiné Lam nourrissent de plus modestes ambitions: l’acquisition d’une clientèle locale.

              Une nouvelle génération, avec des idées plus larges talonne les anciennes. Citons Amy Mbengue, Titi, Aby Ndour et consorts faiseuses de tubes vivement dansés, vite oubliés. Les instrumentalistes : les moines de « « Keur Moussa » ont remplacé les anneaux d’accord en cuir qu’il faut ré-accorder presque après chaque morceau et inventé le système guitare des clés, pour une plus grande stabilité. En Musique, l’Occident ne reconnaît que deux gammes : majeure, mineure. Les moines de « Keur Moussa » appuyés par Mamadou Kouyaté, ancien professeur de kora à l’ Ecole des Arts, assurent qu’on peut tirer, non pas deux mais trois gammes de cet instrument-roi (…)  Contrairement au « khalam » peu imposant, la kora dispose de 21 ou 23 cordes pour les basses et les aigus, selon qu’on gratte avec l’ongle ou la poulpe des doigts. En ma connaissance c’est l’unique instrument africain à cordes dont on peut sortir du soprano, de l’alto et du ténor. Avec des sonorités moins exubérantes que celles de la Kora, le balafon est plus suave, à la limite mélancolique. En certaines circonstances et seulement pour des effets spéciaux (Youssou Ndour dans son album Egypte), les groupes modernes font rarement appel au balafon dont les sonorités sont aisément restituables par les synthétiseurs (…) « L’Ensemble traditionnel », sorte de groupe philharmonique composé exclusivement d’instruments acoustiques sénégalais, faisait remarquait de grands vocalistes comme Laye Mboup, Sombel Faye, Khady Diouf, Mahawa Kouyaté et bien d’autres. « L’Ensemble lyrique » qu’il est devenu avec des musiciens de moins grand talent, n’a hélas, pas le panache d’antan. L’aspect le plus positif de « l’Ensemble traditionnel » d’hier et d’aujourd’hui est d’avoir introduit et réussi une intégration culturelle nationale de toutes les ethnies du Sénégal. Le phénomène nouveau dans l’évolution de la musique sénégalaise est l’insertion qui me semble définitive, par les orchestres modernes, des percussions traditionnelles: sabar, ndënd, mbëng-mbëng, laamb, gorong, xiin, bugar (variantes du tam-tam) et surtout le tama, génial petit instrument dont on fait varier le tempo rien qu’en serrant plus ou moins fermement, les cordes sous l’aisselle. Le tama, quoique très prisé par les consommateurs, est boudé par certains chefs de groupes comme lsmaël Lô, Oumar Pène et autres têtes de proue qui le trouvent bruyant et par trop distrayant. L’un des orchestres pionniers du Sénégal fut « La Lyre africaine » créée vers la fin des années 30 et qu’intégra Bira Guèye en 1948. Le groupe tenait ses séances de répétitions dans la cave de l’actuel Marché Sandaga et animait les bals du Tout Dakar. En 1950, Bira, avec la complicité de son ami Makhourédia Guèye comédien, fonda le « Harlem Jazz de Dakar » qu’il quitta peu après 1’arrivée de Dexter Johnson pour former « Le Galeyabé » dont le prétexte fut le Festival mondial des Arts nègres, en 1966. Mada Thiam, jusqu’ alors inconnue du grand public, devint le lead vocal du Galeyabéen s’imposant avec le morceau-fétiche Laay Ñaax, sujet audacieux de la part d’une sénégalaise de l’époque: déclarer l’amour à son bien aimé de transporteur automobile. A Thiès régnait « Le Tropico » créé en 1958 sous la houlette du saxophoniste Al Sèye Seck -appuyé par un Mamadou Ndione, second saxo, les guitaristes Humère Diallo et Souleymane Diallo, Cheikh Tidiane Dia au tumba, Cheikh Samb à la batterie. Différents chanteurs se disputaient le devant de la scène mais incontestablement Kounta Mame Cheikh leur ravivait la vedette pour avoir pris le parti de ne chanter qu’en wolof (…) Fondé en 1959, « L’ Ucas Jazz Band » de Sédhiou est quasiment étouffé par la médiatisation à outrance des rythmes wolofs dominés par le “mbalax.”(…) Son originalité qualitative paya par trois fois Médaille d’Or de la Semaine nationale de la Jeunesse et la représentation du Sénégal au premier Festival panafricain de la Jeunesse de Tunis. On oublie surtout que I’ UCAS fut le premier orchestre moderne du Sénégal à avoir entrepris une tournée européenne en Espagne et dans les Pyrénées françaises. L’ UCAS a enregistré les débuts de musiciens comme Ismaël et Cheikhou du « Touré Kunda », également de Balla Sidibé et Allias Diallo qui, plus tard, rejoignirent « Le Baobab » de Dakar. L’UCAS a conservé la plupart de ses co-fondateurs encore dirigés par l’excellent saxophoniste Abou Kounta Diaté. « Le Pigalle Jazz » de Kaolack sous la houlette de feu Gorel Niang, saxophoniste, connut près de vingt ans d’existence (…) A Saint-Louis évoluait « Le Sabor Band » qui comptait un seul talent: Bassirou Lô flutiste-vocaliste. Le groupe, coqueluche de la ville, était « Le Star Jazz » de Mba, saxophoniste doué, avec Pape Seck comme vocaliste. Mba fut le premier  musicien sénégalais à intégrer une femme: Aminata Fall qui interprétait des airs de jazz avec un tel naturel qu’on la surnomma Mahalia Jackson, l’ancienne diva du Gospel et du Blues américains. Aminata Fall atterrit à Dakar, naviguant entre le cinéma, le théâtre et « l’Ensemble lyrique traditionnel » de Sorano. A ce jour, il n y a pas un seul talent féminin de son envergure (…) « Le Harlem Jazz » dirigé par Dexter Johnson, saxophoniste d’origine nigérianne a dominé le paysage musical sénégalais de 1955 à 1959 avec le talentueux guitariste Jose Ramos et comme vocalistes Amara Touré et Lynx qui se disputaient les faveurs du public. En Août 1960, Ibra Casset forma « Le Star Band » de Dakar avec Pape Seck et Laba Sosseh. Ce dernier venu, disait-on, de la Gambie, bonifia l’orchestre qui devient « Le Super Star de Dakar ». Sa voix à la fois virile et langoureuse conquit presque toutes les filles de l’époque qui rêvaient, chacune, d’être la Seyni à qui Laba déclarait son amour en wolof. « Le Star Band » était, avant tout, une belle brochette de chanteurs : Laye Mboup, Doudou Sow, Pape Djiby Ba, Mar Seck, Maguette Ndiaye, Pape, Maguette Ndiaye, Alla Seck et Bala Sidibé. Nul ne cherchait à ravir la vedette en ce temple qu’était le Miami. Le doyen Kassé, était .patron des lieux. Pape Seck et le « Number One » : cet ensemble fut la troisième édition du « Star Band » avec un bon  nombre de ses transfuges désormais en désaccord avec Monsieur Miami. Mais le « Number One » fut un excellent atelier comme il n’en existe guère plus chez nous depuis le « Wato Sita ». La mise sur pied du « Wato Sita » -l’heure a sonné- en langue mandingue, correspondait à une double exigence esthétique et nationaliste sous l’impulsion d’ Ousmane Sow Huchard dit «Soleya» et feu André Lo, tous deux guitaristes. Le groupe fût le premier à avoir introduit la kora avec Lamine Konté, le balafon balante de Youssou Goudiaby et une batterie typiquement Sénégalaise composée des variantes du tam-tam que sont bugër, lamb, mbëng-mbëng et sabar. Le Khalam : Seydina Wade, Idy Diop, Cheikh Tidiane Tall, y ont fait leurs débuts. Le groupe devint bientôt « Kalam 1 » puis « Sahel » du nom de la boîte où ils se produisaient. « Le Baobab » de Dakar formé en 1970 a connu son époque épique avec d’excellents vocalistes comme Assane Ndiaye, Laye Mboup, Balla Sidibé, Rodolphe Gomis. Thione Seck y a fait école. Parmi les instrumentistes on retient l’inimitable Barthélémy Attiso. Vient la pépinière Ibra Kassé, un élégant Monsieur auquel le «mbalax» doit son existence. A l’exception de la nouvelle génération, presque tous les grands du «mbalax» ont pris racine chez Casset. C’est ainsi qu’en 1979, Youssou Ndour quitte le « nid » avec la complicité d’El Hadj Faye pour former « L’Etoile de Dakar » qui devint « Le Super Etoile » en 1981. Ouza, en voila un original et à tous points de vue mais également un pionnier sur différentes avenues musicales dont Ouza et ses Ouzettes. Je me demande s’il n’a pas inspiré Doudou Ndiaye Rose et ses Rosettes. Atelier à lui tout seul parce qu’excellent instrumentiste, ce qui n’est pas le cas chez la plupart de ses pairs (…) Ouza m’a révélé que si le « mbalax » a du mal à s’imposer définitivement à l’Etranger, cela est dû au fait que la batterie occidentale relayée au second plan par nos orchestres constitue le temps fort dans la musique euraméricaine. C’est pourquoi Youssou Ndour, dans la plupart de ses concerts à l’Etranger ou de ses albums World music s’attachait les services d’un batteur occidental. « Touré Kunda », à ses débuts, vers les années 69, s’appelait Ismaël et Cheikhou; l’un au tumba, l’autre à la guitare. Mais les deux frères savaient qu’ils n’avaient pas de voix. Ils firent venir Ousmane (frère ou cousin), belle gueule, jolie voix, rejoint un peu plus tard par Amadou (frère ou cousin). Le quatuor devint « Les Frères Kunda » dont l’aventure ne durera pas plus de trois ans. « Le Khalam » vint avec des textes bien élaborés. Le groupe s’effrita néanmoins avec la mort de Prosper, le départ de Guillabert. Souleymane Faye subit tant de misères au sein du groupe qu’il s’en alla jouer au troubadour dans les métro canadien et New-Yorkais, avant de revenir au pays pour faire bande à part avec des succès au petit bonheur la chance, sans commune mesure avec son immense talent de parolier. Pour rebondir, il a tenté un duo peu compatible avec Coumba Gawlo qui a fort bien réussi avec Abdou Guite (…) Cheikh Tidiane Tall intégra « L’Orchestre national » et prête main forte à Kiné Lam. Seydina Wade, Idi Diop dit le Rebelle peinent à trouver un public sénégalais. Ils n’ont pas encore compris ou refusent d’accepter le fait accompli qu’au Sénégal, la musique qui ne fait pas danser se vend mal ou pas du tout. Mais les Européens aiment l’exotisme. Les Youssou Ndour, Baba Maal, Thione Seck l’ont bien compris en incluant, à l’occasion de leurs tournées Outre-Atlantique, des danseurs qui contaminent instantanément le public A l’exception des compositions laudatrices de ses débuts, Thione Seck est l’un des meilleurs paroliers du Sénégal (…) Omar Pène a l’avantage d’évoluer dans un groupe très expérimenté, stable et soudé, fidèle à un style musical distinctif dont la base rythmique se tisse sur les cordes et la batterie occidentale maniée avec dextérité par l’immuable Lappa Diagne. Ce qu’on peut reprocher à Pène, malgré la variété de ses compositions embrassant presque tous les sujets, est un certain manque de rigueur. Au doyen de la littérature sénégalaise, Youssou Ndour a emprunté  « le vieillard, l’enfant et l’âne» qu’il a intitulé « Womat » complètement saccagé par les impromptus de Mbaye Guèye Faye. Au Sénégal nous avons une pléiade de musiciens fort talentueux et si chouchous du public  que la critique, si elle existe, choisit de se taire sur leurs lacunes et insuffisances. Résultat: défilent sur les ondes toutes sortes de navets, genre Falou Dieng, Alioune Mbaye Nder, Lemzo Diamono. Pape Diouf est comme un écho vocal et une décalque gestuelle de Youssou Ndour. Assane Ndiaye a les mêmes inflexions de voix que Thione Seck. Je considère Cheikh Lô comme l’un des meilleurs musiciens du pays. La popularité n’est malheureusement pas à l’avenant de son immense talent, suite aux voies de faits de ce tonitruant  » mbalax » Il y a également cette réalité irrationnelle du « bayre » plus proche de l’aura, ou de la chance. Youssou a plus de « bayre » que Thione Seck, Oumar Pene ou Baba Maal, sans être forcément plus talentueux. Sur un autre registre, on peut mentionner Moussa Ngom, gambien d’origine qui fit ses débuts au « Super Eagles » de Banjul. Coumba Gawlo, bonne ouvrière, connaît l’agencement des mots, le pouvoir du verbe et s’entoure de bons musiciens qui connaissent leur affaire. Sa faiblesse est d’estimer qu’une voix agréable suffit à l’accomplissement d’une carrière. A ses débuts, presque tous ses textes étaient écrits par son père un ancien adjudant de police qui rêvait de devenir poète. Malgré un certain succès populaire, le fruit n’est pas encore bien mûr. Viviane, Alfani de Wa Flash, Aby Ndour: même voix monocorde au timbre lassant. Populairement, Viviane, quoique plagiant impunément airs et paroles d’autrui (Samina) s’en tire bien, grâce à l’ artillerie lourde de Youssou Ndour en amont et en aval d’elle. Sinon, elle ne trouverait place que dans une chorale ou serait accompagnatrice d’une vedette de l’instant. Abdou Guité est une valeur sûre. Cet artiste, non seulement soigne ses textes mais sait placer la voix qui roule si joliment les R. Yandé Codou, de Sombel Faye et Khady Diouf de l’Ensemble instrumental, Mbaye Ndiaye s’érige contre la dictature musicale wolof du «mbalax» (…) 

L’ère du vedettariat : Youssou Ndour fait presque oublier « Le Super Etoile », Baba Maal  « Le Dande Lenol ».On ajoute rarement « Raam Daan » après Thione Seck. Qui entend parler du « Super Diamono »? Oumar Pène éclipse le groupe. Le problème du vedettariat est qu’il  laisse peu de chance à la création d’ateliers musicaux. Les nouvelles générations n’écoutent plus la musique. Elles dansent (…) Que s’est-il donc passé pour que ce trublion de Youssou Ndour, à peine sorti des langes, ait non seulement ravi la vedette à tous ceux qui se produisaient avant mais, plus cruellement, imposé le « mbalax » ? Le phénomène Youssou Ndour s’explique par trois constantes: 1) fidélité au terroir -refus de l’exil- / 2)  enracinement et ouverture / 3) volonté d’être lui-même. Très tôt Youssou a eu la vision et l’ambition nettes d’un plan de carrière musicale (…) Quoi d’autre explique le phénomène Youssou Ndour ? Assurément une voix et pas n’importe laquelle. Retenons qu’en Occident, une classification reconnaît six à sept registres de voix: soprano, mezzo-soprano, alto chez les femmes; baryton, basse, ténor pour les hommes. Selon ces canons, il est difficile de classer tel ou tel de nos vocalistes. Si Yandé Codou, Ouzzin Ndiaye avaient fréquenté une école de chant albo-européenne, ils pourraient fort bien devenir, l’un et l’autre, Ténor ou Soprano. Mais pour quel public? Chez nous, la musique moderne ne s’écoute pas, elle se danse. Sinon, on se rendrait compte que les textes de Youssou Ndour sont d’un  niveau très bas. Au Sénégal, je ne connais qu’un seul Ténor selon les paramètres européens; il a travaillé sa voix dans un conservatoire de l’ancienne Union Soviétique mais en est réduit, faute de suivi et d’audience, à vendre des Kleenex dans les rues de Dakar: il s’agit de Ibrahima BA. A l’exception de Youssou Ndour et feu Ndiaga Mbaye, je puis affirmer avec force que l’écrasante majorité des chanteurs de chez nous ne dispose que d’un seul registre vocal monocorde très monotone, à moins d’y ajouter du tremolo (qui se travaille) comme le font Thione Seck, Baba Maal, Coumba Gaolo. Travail! Il existe, en effet, une grande différence entre avoir une belle voix et savoir chanter. Youssou Ndour est riche des deux. Le premier est un don, le second se travaille. Il suffit d’écouter Birima pour se rendre compte que Youssou Ndour dispose d’un registre vocal d’une extraordinaire amplitude qui lui fait aller de l’alto féminin au baryton en passant par la basse. Pour y arriver comme Youssou Ndour, il faut savoir se servir de sa voix comme d’un instrument de musique, comprendre qu’une dièse, un bémol permettent de baisser ou d’élever la voix d’un cran (demi-ton). Ecoutez Pape Seck, Aminata Fall qui avaient absolument une voix de rogomme mais savaient chanter juste. Chanter n’est pas crier. Or ça crie beaucoup; ça hurle même (…) Le Rap musique, tel qu’il est produit chez nous,  manquait absolument d’originalité; qu’il était d’un mimétisme débile. Tout comme le Rap américain dont il s’est inspiré, le Rap sénégalais est une musique urbaine de protestation. La comparaison ne s’arrête pas là avec des noms d’emprunt anglicisés : « Positive Black Soul », « Duggy Tee », « Pee Froiss », « Black and Black » etc. En effet, si les jeunes noirs américains s’adonnent à ce qu’ils appelaient le Gangsta Rap ou musique de gansters dont le langage ordurier est rigoureusement de mise, le Rap sénégalais n’a pas encore franchi ce palier. Il s’en tient pour le moment à l’irrévérence (…) Certains groupes comme Pacotille, Fou Malade restituent, inconsciemment ou pas et avec bonheur, la batterie occidentale, le tempo de la calebasse renversée sur une bassine d’eau. Keur gui fait preuve d’un sens musical qui n’aura aucun mal à s’imposer Outre Atlantique. A part quelques individualités vivant pour la plupart en Europe: Seydina Wade, Touré Kunda, Idy Diop, les musiciens sénégalais du terroir s’enferment obstinément dans le rythme “mbalax.” Wassis Diop pousse la recherche musicale beaucoup plus loin. Il tourne le dos à toute signature ethnique (…). Le “mbalax” va du soft au dur mais le tempo reste le même. La musique sénégalaise sortira t-elle de ce créneau ? (…) S’armer du désir d’innover au lieu de subir la loi du marché qui ne consomme que du dansant. C’est ainsi que des musiciens comme Cheikh Lo, les frères Guissé, Pape et Cheikh ont du mal à s’imposer. L’égémonie wolof est également à considérer dans le règne en maître du “mbalax”. C’est ainsi que la musique des régions comme la Casamance et le Sénégal oriental est complètement ignorée. Baba Maa, malgré son immense talent, tente d’imposer le Yéla l’hégémonie wolof prend le dessus de ses ambitions. »

                                                                     Lu pour vous par Amadou Lamine Sall, poète, août 2019.

                                                                                ./.

3 Commentaires

  1. Cette information est fausse. Je suis le co-auteur de ce livre. Je m’appelle Bouna S. Ndiaye.
    Je viens d’envoyer au quotidien Le Soleil une contribution dans ce sens.

    Passez-moi votre adresse électronique svp.

    Bien cordialement,

    Bouna S. Ndiaye
    Producer & Host of
    Bonjour Africa

  2. Beau retracement de l’histoire de la musique senegalaise des années 50 et après. C’est si concis, si bien raconté que des souvenirs enfouis resurgissent, c’est pourquoi je me réserve de ne pas opinioner mes désaccords sur certains passages. Et puis suis fan de Lamine Sall depuis des lustres. Quel poète !

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