Fraudes en Douane. Total -Sénégal dans la nasse pour 70 milliards

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Total, la société pétrolière n°1 au Sénégal est soupçonnée de fraude sur ses produits, par la douane. Ses responsables multiplient depuis quelques jours les va-et-vient à Dakar-Pétrole, pour établir leur innocence. De sources dignes de foi, on apprend que les droits compromis et autres amendes envisagées contre Total pourraient être fixés à 70 milliards FCfa.

L’entreprise des hydrocarbures, Total est dans le collimateur de la douane sénégalaise. Les soldats de l’économie soupçonnent des opérations frauduleuses de sa part. C’est le service des produits pétroliers et unités spécialisées de la direction des opérations douanières qui s’est chargée de l’enquête. Si sa culpabilité est établie, le géant pétrolier pourrait s’exposer à une verbalisation pouvant aller jusqu’à 70 milliards de FCfa, si l’on en croit des sources douanières. Selon ces mêmes sources, ce montant pourrait être ramené à des proportions plus raisonnables si Total accepte de transiger. Des négociations sont en cours pour définir les termes de cette transaction, expliquent des sources proches de la Direction générale des douanes sénégalaises. Celles-ci révèlent : « Cela fait bientôt dix jours que de hauts responsables de Total et des personnalités de la direction des produits pétroliers et unités spécialisées de la Douane se rencontrent régulièrement pour trouver une issue heureuse à l’affaire. Les pétroliers, même s’ils nient toujours le délit, se mettent à contribution pour déboucher sur un compromis avec les douaniers ».

Avant de se résoudre à négocier, Total s’est, dans un premier temps, montrée catégorique, en envisageant de ne payer aucun droit compromis ni amende. Elle changera finalement d’approche, indiquent nos sources, en acceptant de conduire des négociations. Total avait menacé de quitter et d’arrêter ses activités sur le sol sénégalais, car selon le point de vue de ses dirigeants, les accusations de la douane n’étaient pas fondées. Qu’est-ce qui l’a décidée à changer d’attitude ? Elle n’avait pas le choix, indiquent nos sources, car le gouvernement était décidé à saisir la justice aux fins de vider le contentieux. Or, devant les juridictions, expliquent nos sources, Total n’aurait eu aucune chance d’échapper à une lourde condamnation pénale. Le risque était trop grand pour le pétrolier qui a préféré négocier pour éviter une telle condamnation. Ces négociations engagées tendent à situer « le fardeau de la fraude », afin d’établir le montant des droits compromis ou éludés, le niveau des amendes et d’arrêter dans le procès verbal de transaction les sommes à payer. En somme, un moment de vérité au cours duquel les données douanières et factures de la partie adverse sont confrontées.

Ainsi, la Gazette a appris que le vendredi 15 janvier, les deux parties ont tenu pour la première fois une séance de travail vers 18 heures. Elles se sont retrouvées au milieu de la semaine passée, plus précisément le mercredi 20 janvier à 10 heures, renseigne un agent de Dakar-pétrole. Ce dernier ajoute que cette nouvelle réunion s’inscrit en droite ligne de la démarche de conciliation et de recherche de solutions qui sauve l’essentiel pour Total et préserve les intérêts de la douane. Cette affaire Douane-Total, qui en est à ses débuts, n’est pas sans rappeler l’histoire d’Adel Korban, dont certains développements ont été publiés par la Gazette (n° 41). Comme dans l’affaire Korban, le contentieux est né des admissions temporaires en douane. Total dispose en effet d’une admission temporaire au niveau du port de Dakar : les produits pétroliers disposés dans ses magasins d’entrepôts fictifs agréés par l’administration des douanes ne paient aucun droit de douane tant qu’ils ne sont pas mis sur le marché. Cela permet à Total de stocker des marchandises importées sans acquitter les taxes et autres droits douaniers. Elle peut disposer de ses produits à tout moment à condition de payer les droits et taxes avant de mettre la marchandise sur le marché. La fraude qui est reprochée au pétrolier procède d’un constat fait par les douaniers : Total, sans acquitter les frais de douane, distribuait dans le pays, une bonne partie du carburant stocké dans ses magasins fictifs et normalement destiné à la réexportation vers la sous- région. Le pétrolier pouvait le faire en régularisant au fur et à mesure de la vente de ses produits. Les douaniers interrogés sur la défaillance de leurs services nient tout laxisme ou négligence de leur part, car ils expliquent qu’il est difficile d’effectuer un contrôle précis dans le cadre du déroulement des activités des magasins fictifs. Il n’y a que le cumul sur une longue période qui peut permettre de bien cerner et de mesurer l’ampleur d’une fraude en la matière. Néanmoins, « vu que le travail est assez fastidieux en plus du fait que les pétroliers ont souvent une connaissance plus approfondie du secteur que les douaniers (ils font au maximum quatre ans dans ce service), le système n’est jamais à l’abri de malversations de cette nature », affirme un agent.

MYSTERE

Pourquoi vouloir entretenir un mystère autour de cette histoire ? La posture actuelle de la Douane dans cette affaire est incompréhensible. Il y a, en effet, un parfait verrouillage. Un passage sur l’ancienne route de Rufisque, à la Direction des opérations douanières chargée des produits pétroliers et unités spécialisées donne la mesure du silence entretenu. Un tête-à-tête avec le chef de Visite Alioune Mbaye ne laisse filtrer aucune information. Quand son assistant vous introduit, M. Mbaye, derrière un modeste bureau, se montre assez courtois. Pour autant, son attitude joviale n’en cache pas moins le masque d’un homme « imperméable » et très réfractaire à l’idée d’évoquer ce dossier dont il a pourtant la charge. Sans détours, il lâche : « Désolé, je suis tenu par une obligation de réserve. Comprenez que je ne puisse pas accéder à votre demande ». Il refuse de faire allusion au moindre détail de l’affaire Total et renvoie son interlocuteur vers la haute hiérarchie douanière. « Allez voir la Direction générale, peut-être, elle peut vous aider ». Fin de l’entretien. Pourtant, un agent qui ne partage pas la stratégie de ses supérieurs confie, « ce devoir de réserve n’est qu’un prétexte pour refuser de coopérer ». Car, explique-t-il, « les responsables peuvent librement évoquer leurs dossiers sans encourir le moindre risque ». Difficile de percer davantage le mystère qui entoure cette histoire. Un haut gradé de l’Administration douanière qui, pourtant avoue disposer d’une parfaite maîtrise du dossier, paraît, lui aussi, allergique à la presse. Ce responsable s’en est simplement tenu à déclarer que « l’affaire est bien pilotée ».

Du temps où Adjibou Soumaré était Premier ministre, Oryx SA, une autre société évoluant dans le secteur des hydrocarbures avait été épinglée par l’Administration douanière, dans des conditions presque similaires. Ce feuilleton avait alimenté la polémique durant 29 mois. Finalement, c’est un accord de 4,3 milliards de FCFA qui avait été scellé à l’amiable entre les deux parties, pour que Oryx puisse reprendre ses activités. Alors qu’au départ, il était annoncé une amende de 56 milliards de FCFA. On imagine aujourd’hui que l’affaire Total qui vient d’exploser ne connaisse pas son épilogue de sitôt. D’autant que, d’après nos sources, l’amende de 70 milliards de FCA brandie par les soldats de l’Economie est jugée exorbitante.

COMMENTAIRE

Casse tous azimuts !
Par Abdou Latif COULIBALY
Ce sont la Société générale de banques du Sénégal (SGBS) et la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie du Sénégal (BICIS) qui ont été et qui sont toujours concernées par la volonté de l’Etat de leur prendre le maximum d’argent, sous le prétexte de récupérer sur ces deux établissements une créance de 52 milliards née d’un contentieux douanier. Aujourd’hui c’est une société pétrolière, Total qui est sur les feux de la rampe. L’Etat, par le biais des services des douanes sénégalaises, lui réclame la bagatelle de 70 milliards. Les deux parties négocient pour trouver les moyens de régler définitivement le contentieux né à la suite de faits de fraude qui seraient intervenus sur plusieurs années sans jamais avoir été repérés et verbalisés par les douaniers. Comment l’Etat a-t-il pu laisser s’accumuler pendant tant d’années des faits de contrebande de cette dimension sans jamais avoir vent des manœuvres frauduleuses qui ont été étalées sur plusieurs années ? Des deux choses l’une : ou l’Etat a été un complice et a laissé faire ou bien les faits qui sont aujourd’hui identifiés comme des faits frauduleux n’ont pas en réalité un tel caractère.

Et que l’Etat, soucieux de renflouer ses caisses vides, recourt à un tel procédé, pour contraindre des unités économiques du pays supposées riches et jouant un rôle important dans le développement de la nation, à payer pour des fautes qu’elles n’auraient jamais commises. Une telle volonté ne peut qu’à terme aboutir à une casse sans limite des unités économiques et de l’ensemble du tissu économique national. Il faut mettre un terme à cette politique de casse. Celle-ci et les actes qui la traduisent apparaissent aux yeux de plusieurs spécialistes comme de véritables faits de piraterie déguisés. La douane qui exécute cette politique avoue une avérée incompétence ou un laxisme coupable, à chaque fois qu’elle entre en jeu pour dénicher des faits répréhensibles longtemps ignorés ou oubliés et subitement projetés au devant de l’actualité, pour servir de base à une procédure contentieuse avec une unité ou un opérateur économique. Le contentieux douanier est un instrument de la politique économique, mais elle ne peut constituer un moyen de transactions illicites au service d’une boulimie financière qui à terme est susceptible de détruire tout le tissu économique national.

Alioune Badara COULIBALY

lagazette.sn

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