Frictions entre un régime démocratique et une dictature

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Le climat s’est soudainement tendu entre Dakar et Banjul depuis que, rentré rapidement mardi d’un séjour écourté en Afrique du Sud, le président Macky Sall a directement interpellé son homologue gambien, pour condamner de la manière la plus ferme, l’exécution de 2 Sénégalais inscrits par la Justice gambienne à l’article de la peine capitale. Dès le lendemain, c’est l’ambassadeur gambien qui était convoqué à la primature, sommé de donner aux autorités sénégalaises, des explications sur des mesures dont le président Yaya Jammeh n’avait pas informé Dakar. Depuis, la tension est manifestement montée d’un cran.

L’évolution des relations diplomatiques entre le Sénégal et la Gambie semblent condamnées à constamment évoluer en dents de scie, alternant lune de miel et fiel au menu. Le premier, ancienne colonie française, a accédé à l’indépendance en 1960. Il faudra à la seconde, 5 autres années avant de se libérer de la couronne de Sa Majesté britannique.
C’est surtout en 1981 que les deux capitales ont vraiment connu la victoire dans le sang après les liens du sang. Le 31 juillet de cette année, Kukoi Samba Sagna débarque à Banjul pour renverser le régime de Dawda Jawara. Le président Abdou Diouf envoie ses militaires et aide au retour à l’ordre constitutionnel. Le pouvoir de Jawara est sauvé par l’Opération Fodé Kaba qui coûte la vie à plusieurs soldats sénégalais.

Dans la foulée, les deux capitales signent les « Accords de Kaour » pour la création d’une Confédération de la Sénégambie. Une Assemblée confédérale est mise en place, ainsi qu’une armée confédérale. Mais, les Institutions de la Confédération volent rapidement en éclats, au bout de quelques années ; la faute à la non implication des peuples jamais consultés sur la question. Les réticences apparaissent très vite, une fois la paix définitivement revenue. Les compatriotes du président Jawara étaient encore moins prêts, expliquait-on plus tard. La parenthèse confédérale fermée, les relations de bon voisinage n’en continuaient pas moins d’être cordiales.

Début des années 1990, le pouvoir du président Jawara vacille par deux fois. Pris dans le tumulte d’une politique intérieure instable, le dirigeant gambien opère une première tentative de remise du pouvoir à d’autres civils. La décision ne prendra pas effet. Des notables rendent visite au Chef de l’Etat et le prient de rester. Mais le vent de changement que Dawda Jawara avait senti souffler n’avait pas faibli pour autant.

Le 22 juillet 1994, le lieutenant Yaya Jahmeh, âgé de 29 ans, prend les rênes du pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat sans effusion de sang. L’opération avait été conduite avec d’autres compagnons d’armes, notamment les Lieutenants Sabaly, Sadibou Aidara, Edouard Signaté et Yankouba Touré. Ces jeunes militaires mettent en place un Conseil provisoire des forces armées pour diriger ce petit pays logé dans les entrailles du Sénégal. Yaya Jahmeh prend vite goût au pouvoir et affiche ses ambitions contre le transfert des affaires à un gouvernement civil, ainsi que promis par les putschistes.
En début décembre 1995, le Lieutenant Omar Barro qui s’opposait à la dérive du président Jahmmeh tente nuitamment d’investir le magasin d’armes du camp militaire de Pakao. La tentative avorte. Une centaine de soldats sont arrêtés puis exécutés. Le nouveau régime compte ses premiers morts. Quelques mois plus tard, un autre membre du Conseil militaire, le Lieutenant Almamy Kamara est retrouvé mort assassiné sur la route de Pakao. Pour se donner une respectabilité au plan international, Jammeh devenu l’homme fort de Gambie, troque le treillis contre le costume civil. En septembre 1996, il se présente et organise une présidentielle qu’il remporte sans bavure. Le chef de l’Etat gambien version civile, engage une opération de charme envers son peuple.

Des infrastructures sortent de terre pour des écoles et des hôpitaux. Mais le pouvoir manie aussi le bâton en harcelant et réprimant toute velléité de contestation politique. Journalistes, avocats et Droits-de-l’hommistes deviennent cibles de la répression. C’est aussi le début de la détérioration des relations avec le voisin sénégalais. Les tracasseries se multiplient pour les voyageurs obligés de traverser le territoire gambien pour se rendre du Nord au Sud de leur pays. Les transporteurs sont les premiers à dénoncer la situation. Yaya Jammeh est aussi soupçonné par les autorités sénégalaises, de soutenir les irrédentistes casamançais du Mfdc qui avaient pris les armes depuis le début des années 80. La goûte d’eau de trop dans un vase de suspicions et d’inimitiés feutrées a été le fait pour des rebelles qui avaient attaqué l’armée sénégalaise, d’avoir pu échapper à la riposte des soldats, en se repliant sur le territoire gambien. Des sources bien informées précisent que c’est dans le village du président Jammeh que les rebelles avaient trouvé refuge. Avec la complicité de l’illustre fils de la localité ? On ne l’a pas encore prouvé. Mais le fait est devenu récurrent, au fil des attaques et contre-attaques entre soldats et bandes armées supposées appartenir au Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Selon un spécialiste de la question sénégalo –gambienne, le président gambien n’a jamais voulu coopérer pour arrêter ces rebelles.
L’ARRIVEE DE WADE AU POUVOIR

Avec le président Wade, les relations entre les deux pays se détériorent un peu plus. Le président Sénégalais n’ignorait rien des facilités dont bénéficiaient les rebelles auprès de son homologue gambien. Parmi les hôtes casamançais de Jammeh, un certain Alexandre Djiba, porte-parole du Mfdc. Ce dernier sera finalement arrêté par les autorités gambiennes soucieuses de montrer un autre visage à leurs homologues de Dakar. Djiba mourut en prison, mais il y eut d’autres épisodes, pour illustrer les incompatibilités d’humeur entre Abdoulaye Wade et Yaya Jammeh. Le plus récent étant l’affaire du bateau iranien rempli d’armes destinées à la rébellion et qui devait transiter par la Gambie. Avant cela, en 2006, le Colonel Ndour Thiam avait tenté un coup d’Etat. L’opération échoue, Jammeh voit Wade « derrière Thiam». Le Colonel était supposé avoir trouvé refuge au Sénégal, ce que Wade avait toujours nié, en vain. Cet épisode n’a jamais été dépassé et le chef de l’Etat gambien déclarait à qui voulait l’entendre qu’entre le Sénégal et lui, entre Gambiens et Sénégalais, «il n’y a que paix et fraternité». Le problème pour Jammeh, c’était Wade qu’il détestait cordialement.
AVENEMENT DE MACKY

Avec l‘arrivée de Macky Sall, au pouvoir, les relations se réchauffent rapidement et le nouvel élu sénégalais consacre à Banjul sa première visite officielle à l’étranger. Dans la lancée, Dakar obtient de Banjul la signature d’un accord pour la construction du pont sur la Gambie. Un projet derrière lequel Abdoulaye Wade avait couru en vain. Mais comme si on se réveillait d’un trop beau rêve, la réalité a refait surface sous la forme d’actes d’infidélité à la courtoisie entre voisins. L’exécution de Mme Tabara Samb et Djibril Bah n’est pas acceptable d’autant que, déplore Macky Sall, rien n’empêchait Yaya Jammeh d’informer Dakar de ce qui se préparait à Banjul concernant les condamnés sénégalais. Retour à la case départ des relations en dents de scie entre voisins que tout lie : la géographie, les langues, les religions les us et coutumes. Mais il faut être deux de bonne volonté pour se parler. La Sénégambie des peuples bute encore sur le tempérament des dirigeants de part et d’autre du fleuve qui a donné son nom au pays de Yaya Jammeh.

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