Gouvernance de « rupture »: Macky à l’épreuve des fonds politiques

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La question des inondations a relancé le débat sur les fonds politiques à l’occasion de l’examen du projet de loi portant suppression du Sénat. Les députés libéraux ont soutenu l’idée que le Président Macky Sall devait renoncer à ses fonds politiques pour venir au secours des victimes des inondations. Le débat est donc relancé. C’est pourquoi, l’on est en droit de s’interroger, si la gouvernance de rupture préconisée par Macky Sall peut s’accommoder d’une gestion nébuleuse des fonds politiques?

Véritable grenier à milliards sous l’ancien régime (60 milliards de Fcfa sous Wade), ces fonds destinés avant tout à un usage social (soutien d’urgences médicales, gestion des catastrophes…) ont été utilisés pour enrichir une certaine classe politique et financer des entreprises électoralistes. Dans un schéma de gouvernance dite « vertueuse », marqué par les promesses de rupture, de réduction du train de vie de l’Etat, de transparence dans l’administration des ressources publiques, Macky peut-il laisser les choses en l’état ? En somme, cautionner une utilisation « clientéliste» de ces fonds alors même qu’ils pourraient être d’un apport significatif, dans un contexte d’inondations, d’insécurité alimentaire et de cherté du coût de la vie.

Fonds spéciaux ou secrets ou de souveraineté, les vocables qualifiant les fonds politiques logés au Palais varient d’une autorité à une autre voire d’un régime à un autre. Toutefois, la problématique de leur utilisation est restée plus vivace que jamais, en raison de la nébuleuse qui l’entoure. Votés par l’Assemblée nationale, les fonds politiques ne sont soumis à aucun contrôle et la classification de leur usage relève de la libre appréciation du président de la République. De 620 millions en 2000, la caisse noire de la présidence de la République est passée à 14 milliards sous Idrissa Seck, révélait déjà le Président Wade dans une sortie médiatique en date du 1er mars 2007, avant d’atteindre la barre de 60 milliards de Fcfa. Une manne financière gérée, sous le régime libéral, suivant un système opaque permettant de maintenir impunément un mécanisme d’évasion et de détournement presque légalisé des recettes de l’Etat.

Le Parti démocratique sénégalais (Pds) et son secrétaire général national, ancien président de la République, ont eu en effet recours de manière « outrancière » à ces fonds. Jadis méconnue du Sénégalais lambda, la caisse noire du Palais comme celle des autres institutions de la République (Assemblée nationale, Sénat, Primature) sont sorties de l’ombre pour susciter mille et une curiosités, du fait de leur caractère secret et de leur utilisation clientéliste et arbitraire.
Ce mécanisme de détournement presque légalisé des recettes publiques a été à la base d’une série de scandales au cours de la mandature de Wade.

Le protocole de Rebeuss où l’ancien Premier ministre Idrissa Seck se serait engagé à restituer 07 milliards de Fca à son ancien mentor Abdoulaye Wade afin de recouvrer la liberté, ce qu’il a démenti par la suite, reste l’un des exemples les plus significatifs du possible « détournement » et de la gestion nébuleuse des fonds politiques sous le régime libéral. L’affaire de la mallette de Ségura, en septembre 2009, est un autre grand moment. Les observateurs noteront que cette somme provenait des «fonds politiques», qui échappent à tout contrôle et justification, dès lors qu’ils sont votés par le Parlement. En fait, un gaspillage légalisé des biens publics. Quand on sait en effet que le président de la République n’a de compte à rendre à personne, quant à l’utilisation de sa fameuse caisse noire, on ne peut qu’être choqué de cette manne financière qui aurait pu servir à construire des hôpitaux, des écoles et améliorer les conditions de vie de la population.

Le traitement clientéliste des recettes publiques labellisées fonds politiques allait d’ailleurs rattraper les libéraux, dès la perte du pouvoir, en mars 2012. Sous l’emprise des audits et des enquêtes du Parquet contre des dignitaires du régime libéral pour enrichissement illicite, l’affaire des fonds politiques ressortait au grand jour. Pour la simple raison que les anciens compagnons de Wade, comme l’ancien président du Sénat Pape Diop dans une moindre mesure, se sont refugié derrière les fonds politiques pour justifier leurs fortunes personnelles.

MACKY ET LA NEBULEUSE DE LA CAISSE NOIRE

L’opacité qui accompagne la gestion des fonds politiques, depuis l’avènement de l’Alternance libérale, interpelle, aujourd’hui, directement le président Macky Sall. En se faisant le tenant d’une gouvernance de « rupture » fondée sur la transparence de la gestion des recettes publiques et la bonne gouvernance dans l’utilisation des derniers publics, Macky est obligé d’innover dans l’administration des fonds spéciaux ou politiques, à défaut de les supprimer. La gestion plus vertueuse du bien public, quand on connait les sommes faramineuses absorbées antérieurement par la Présidence, le plus souvent sans justification, s’accommode difficilement d’une gestion clientéliste, note-t-on. Et, après sa déclaration de patrimoine et les «fuites» notées quant à la richesse de certains de ses collaborateurs, le président Macky Sall est invité à créer une véritable rupture quant à la gestion de ces fonds. Des fonds qui lui sont alloués pour lui permettre de mener des «actions républicaines» (aides sociales, prises en charge médicale de certaines personnalités) et des «dépenses de souveraineté», renseignent les experts sénégalais de Droit politique qui sont loin d’assimiler les fonds politiques à du pur luxe.

Dans un contexte de raréfaction des ressources financières pour un Etat exsangue, d’inondations, d’insécurité alimentaire pour près de 800 000 citoyens, et tout simplement de gouvernance de « rupture », la gestion normée des fonds secrets devient dès lors une nécessité incontournable. Sur ce point-là, Macky est resté toutefois évasif. En marge du Conseil décentralisé des ministres qui s’est tenu à Ziguinchor, le président de la République s’est gardé en effet de s’étendre sur l’administration des fonds politiques, tout en réitérant son souci d’une bonne gestion des ressources du pays. « Nous avons un budget de l’ordre de plus de 2.400 à 2500 milliards de francs CFA. Les fonds politiques ne dépasseraient pas 7 à 8 milliards de FCFA par an. Mais, je dois vous dire que ce sont des fonds qui permettent de régler un certain nombre de dossiers et de situations que nous ne pouvons pas mettre dans la presse », avait-t-il révélé dans un entretien avec des organes de presse. Allant même plus loin, Macky Sall avait fait remarquer, sur cette question des fonds spéciaux, que : « Ce que l’État ou le Président de la République est amené à gérer, il ne peut pas le mettre sur la place publique. Cela ne se fait dans aucun pays au monde ». Là, il avait surfé sur la même vague (celle du caractère secret de la caisse noire) que l’ancien Premier ministre Idrissa Seck. Ce dernier avait déclaré lors sa rentrée politique pour la présidentielle de 2012, que « les fonds politiques ne sont pas des fonds politiques, mais des fonds secrets ».

Le président Macky Sall ne s’en était seulement pas limité là. Le vrai débat, avait-t-il précisé, dépasse la question de ces fonds. Il tournait plutôt autour du sens de responsabilité dans la gestion des ressources de la nation. Pour autant, il avait affirmé que cette gestion devait être faite « dans un climat de transparence et surtout d’imputabilité où les gestionnaires des fonds publics devraient être amenés à rendre des comptes ». Les Sénégalais, outrés par la gestion prédatrice des fonds politiques par l’ancien régime, attendent de voir si la « rupture » préconisée par Macky et son équipe dans l’administration des ressources nationales, et notamment des fonds politiques, ne sera pas un autre vœu pieux d’acteurs politiques en mal de promesses électoralistes ou simplement feutrées.

DES FONDS LOGES A LA RUBRIQUE «FONDS SPECIAUX»

Sous Me Wade, les fonds politiques étant logés dans la rubrique des « Fonds spéciaux de la Présidence » partagent cette rubrique avec le « Fonds de la solidarité africaine » qui est destiné à des interventions de l’Etat sur le continent et les « Fonds secret-défense » qui ne peuvent être susceptibles de divulgation. Au Sénégal comme dans tout pays démocratique digne de ce nom, les finances publiques sont de fait extrêmement contraignantes. Dépenser de l’argent public suit une procédure longue et compliquée. Et comme ; dans le circuit administratif habituel, une personne décide une dépense et une autre paye, la procédure prend dans le meilleur des cas entre trois semaines et un mois. Forts utiles, les fonds spéciaux évitent de passer par toute cette procédure. Ils apportent un peu de souplesse, selon les spécialistes du Droit, dans la gestion des affaires de l’Etat.

Dans les faits, on met une somme d’argent à la disposition du président de la République et du Premier ministre pour remplir principalement deux missions. : La première sert au fonctionnement des services secrets sénégalais. On ne peut pas faire autrement et détailler les comptes de ce service dans la loi de Finances ! Qui parle de services secrets parle évidemment de finances secrètes. Il faut savoir également que, si besoin en était, les services secrets peuvent demander des rallonges au Premier ministre, via le ministre de la Défense.

Pour la seconde mission, cela peut être tout et n’importe quoi. Au-delà des actions dites républicaines (aides sociales, prises en charge médicale de certaines personnalités) et des «dépenses de souveraineté», ces fonds servent malheureusement à financer des campagnes politiques, acheter des voix, corrompre des responsables religieux ou des dignitaires du régime, mais surtout à payer des collaborateurs dans les cabinets ou leur apporter un complément de salaire.

sudonline.sn

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