« Guignols », « Grand journal », coûts : Bolloré secoue Canal+

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La tempête médiatique autour des « Guignols » masquait une bataille au sommet de Canal+, qui s’est soldée, vendredi 3 juillet, par le départ de son numéro deux, Rodolphe Belmer. Sa disgrâce a été prononcée par un communiqué de Vivendi, propriétaire du groupe, qui a nommé son adjoint, Maxime Saada, au poste de directeur général. Selon nos informations, le dernier rendez-vous entre Rodolphe Belmer et la direction de Vivendi s’est tenue mercredi pendant plus d’une heure. C’est à l’issue de cet entretien que Vincent Bolloré a pris sa décision.
C’est un signe fort de reprise en main de la chaîne par le groupe de M. Bolloré, qui s’est néanmoins voulu rassurant sur l’avenir des célèbres marionnettes en latex. Le président du conseil de surveillance de Vivendi a expliqué, lors d’un comité d’entreprise, que leur survie était assurée. « Les Guignols font partie du patrimoine de Canal+ qui a été, je le rappelle, créé par Havas [dont l’homme d’affaires breton est également le premier actionnaire] il y a trente ans » et « il est hors de question de se priver de cet atout qui est la propriété du groupe », a-t-il ensuite précisé à l’Agence France-Presse. Tout en indiquant que « les dirigeants de Canal+ et de Vivendi devraient décider sous quel format et à quel moment ils devraient être distribués ».
Pour Vivendi, la polémique des derniers jours était déplacée : la volonté de M. Bolloré n’était pas de supprimer « Les Guignols de l’info » pour des raisons politiques, mais plutôt d’envoyer un message fort à Canal+. L’industriel juge qu’il faut faire évoluer fortement la grille de la chaîne, dont l’audience est en repli.
Dans ce contexte, la partie diffusée en clair – qui inclut « Le Grand Journal » et « Les Guignols de l’info » – est susceptible de connaître des changements. Le passage de l’émission satirique quotidienne à une périodicité hebdomadaire est une hypothèse, mais pas la seule. L’horaire de diffusion pourrait être une autre variable et l’idée d’un passage en payant, comme produit d’appel pour générer de l’abonnement, existe également.
« C’est une petite victoire, réagissait, vendredi, un membre de l’équipe des « Guignols ». Mais si on nous passe le dimanche pendant vingt minutes, on nous tue quand même. Les Guignols, c’est une émission quotidienne. »
Mettre en question le statut des « Guignols » ou du « Grand Journal » est aussi clairement pour M. Bolloré une façon de secouer le management actuel. Rodolphe Belmer était le numéro deux du groupe depuis douze ans et patron des programmes de la chaîne. Or la volonté affichée par Vivendi de réformer les programmes entre en conflit avec certaines décisions déjà prises par la direction de Canal+ pour la saison prochaine. M. Bolloré parle ainsi de transformer le « Grand Journal », or le contrat a déjà été renouvelé avec KM, la société de production de Renaud Le Van Kim, qui réalise et produit l’émission depuis 2004. Par ailleurs, Canal+ a récemment racheté la société qui crée les marionnettes des « Guignols » et l’a accueillie dans ses locaux.
Le groupe de télévision payante et gratuite a certes de bons résultats, mais est confronté à différents défis, notamment sa branche Canal+ France. Les coûts des programmes sportifs ont ainsi augmenté, en raison de l’offensive de la chaîne beIN Sports. La concurrence change, avec notamment l’arrivée de Netflix. Enfin, les abonnements en France ne progressent pas, voire sont en léger recul.
Pour répondre à cette situation, il faut réformer Canal+, pense le groupe Vivendi, et l’une des solutions est de réduire les coûts. D’où la piste évoquée en comité d’entreprise, vendredi 3 juillet, de favoriser si nécessaire la production interne. Un message qui peut s’appliquer par exemple au « Grand Journal », produit par la société externe KM. Une émission qui est jugée coûteuse (100 000 euros par jour, selon Challenges) et dont l’audience baisse. Renaud Le Van Kim, réalisateur du « Grand Journal », a rencontré le nouveau directeur général, Maxime Saada, vendredi soir. Il a indiqué qu’il n’était pas question d’arrêter le « Grand Journal à ce stade ». La production et la direction de Canal + doivent reprendre contact dans quelques jours.
« Bolloré soulève le tapis et voit qu’il y a des contrats généreux qui n’ont pas été renégociés depuis une éternité, analyse un salarié. Enfin on a un vrai actionnaire qui prend les dossiers en main. » A l’heure où un plan social de 39 personnes est en cours dans le groupe, les employés sont sensibles à ce discours en faveur de la production interne.
La reprise en main brutale de Canal+ par Vincent Bolloré a lieu après une période d’observation de plusieurs mois. Vivendi estime avoir, depuis l’automne, envoyé des messages demandant des réformes. Des messages qui, à ses yeux, ont été insuffisamment pris en compte.
M. Bolloré est fidèle à sa réputation d’imprévisibilité : quand il est arrivé, tout le monde s’est posé la question de l’avenir de Bertrand Meheut, 64 ans et de Rodolphe Belmer, 45 ans, le duo qui a depuis 2002 redressé la chaîne après l’ère Jean-Marie Messier. Le premier avait désigné le second comme dauphin, avant de se raviser. M. Bolloré a d’abord conforté M. Meheut, puis il a donné des nouvelles fonctions dans le groupe à M. Belmer, placé à la tête d’une nouvelle division baptisée « Vivendi Contents », chargé de développer de nouveaux formats, avec Canal+ mais aussi Universal Music et Studio Canal, la filiale de production. Ce signe de confiance n’a pas empêché qu’il soit sacrifié vendredi… « sur la recommandation » de M. Meheut, pointe perfidement le communiqué de Vivendi.
Depuis 2002, Canal+ (qui, en plus d’activités de production de cinéma, possède les chaînes gratuites D8 et D17) avait pris l’habitude de vivre en autonomie. Désormais, le niveau groupe prend une importance croissante. Outre Vivendi Contents, M. Bolloré a récemment lancé Vivendi Village, qui regroupe les diversifications comme la billetterie, mais se veut aussi pépinière de petites entités comme Watchever, plate-forme de vidéo concurrente de Netflix en Allemagne. Une activité qui aurait pu en théorie être rattachée à Canal+, comme la plateforme de vidéo Dailymotion, mais les deux ont été intégrées à Vivendi. « A l’extrême, on pourrait imaginer que Vivendi incarne le groupe au sein duquel Canal+ redevient une simple chaîne », estime un bon connaisseur de la maison.
Le nouveau patron de Vivendi a franchi une nouvelle étape dans sa prise de pouvoir. « M. Bolloré n’aime pas les gens qui lui disent non, rappelle cette source. C’est ce qui s’est joué ces derniers jours. »

lemonde.fr

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