Il faut immatriculer les terres, toutes les terres. Par Alla Kane

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 Le Talon d’Achille de la gestion foncière au Sénégal réside dans la cohabitation de deux régimes fonciers distincts, diamétralement opposés, s’appliquant dans la gestion et l’administration des terres.

Dans le même pays sont ainsi en vigueur, et le régime de l’immatriculation et celui relatif au domaine national.

La superficie des terres du domaine national est neuf fois plus étendue que celle des terres du régime de l’immatriculation qui ne recouvrent qu’environ 10% de la superficie totale du territoire national.

Le régime de l’immatriculation s’applique majoritairement aux terres des villes tandis que les terres rurales sont régies par celui du domaine national.

Le régime de l’immatriculation reconnait le droit de propriété pleine et entière sur la terre alors que celui du domaine national l’exclut. Quand les citoyens des villes jouissent du droit de propriété sur la terre, les paysans – constituant 65% de la population – eux, en sont exclus.

Quand le régime de l’immatriculation est régi par l’organisation, la transparence, la publicité et la garantie des droits acquis sur les terres, celui du domaine national se caractérise par l’opacité et le chaos qui sont à l’origine des 99% des litiges fonciers qui envahissent notre quotidien.

La dualité des régimes fonciers dans notre pays est ainsi en nette défaveur des paysans et de la modernisation de leur environnement.

Quand les villes continuent de se développer, de s’étendre, de se moderniser et de prospérer, les campagnes, elles, continuent d’être maintenues dans un immobilisme permanent. C’est la différence de nature des régimes juridiques appliqués à la gestion des terres qui explique la différence du rythme d’évolution et de changement des conditions de vie des populations des deux aires géographiques que sont les villes et la campagne.

Le régime de l’immatriculation est un des moteurs du dynamisme vivant qui sous tend l’évolution ordonnée des villes. Le régime du domaine national, quant à lui, ne réservant aux paysans que la seule affectation, doublée d’une interdiction absolue de transaction, exclut de fait les paysans de l’accès à la propriété terrienne.

Ainsi le paysan n’est propriétaire ni de sa maison d’habitation, ni de son champ de culture, dont d’ailleurs, il ignore totalement les limites, situation à laquelle, il réagit par une attitude traduisant une absence totale d’intérêt à l’amélioration de son cadre de vie et de travail.

Ainsi exploite-t’il abusivement ses terres de culture en l’absence de tout intérêt de productivité et de rendement dont il se serait soucié s’il en était le réel propriétaire.

Le système foncier de la loi qui régit les terres rurales constitue un frein réel au développement de la campagne, il est le principal obstacle aux changements souhaités et attendus en milieu rural.

Les terres rurales dépendant du domaine national, héritières des terres du régime coutumier ancestral, continuent de subir les méfaits des deux tares congénitales fondamentales de ces dernières que sont, d’une part, l’absence de délimitation physique sur le terrain, et, d’autre part, l’inexistence de transaction écrite pouvant garantir un suivi adéquat de la transmission des droits aux ayants-droit.

L’encadrement  permanent, la prolifération des organismes d’assistance et de soutien intervenant en milieu rural, la mise en place des Communautés rurales, l’avènement de la loi relative au domaine national, les politiques dites « nouvelle politique agricole » ; et de diversification agricole, les secours en vivres substantiels récurrents, les épongements de dettes répétitifs, rien de tout cela n’a permis de faire évoluer les réalités de la campagne. Pourquoi ? Parce que les paysans – les principaux intéressés – ne sont pas motivés, ni placés dans des conditions matérielles d’organisation de leur espace d’activité, pour transformer par et pour eux même le milieu dans lequel ils vivent.

La loi sur le domaine national a fait de la campagne un tonneau des danaïdes au fond duquel viennent échouer tous les projets de toute nature ficelés pour le monde rural.

Le domaine national est un facteur de blocage du développement et de la modernisation de la campagne sénégalaise. Il   annule tous les efforts faits en faveur du monde rural.

Pour toutes ces raisons, il urge de procéder à une reforme profonde du régime foncier existant. Il faut mettre fin au statu quo et réaliser enfin la réconciliation du paysan avec son outil de travail qu’est la terre. Une réforme qui devra permettre au paysan sénégalais d’accéder enfin à la propriété  pleine et entière de son outil de travail, seul moyen de le maintenir sur place et de l’amener à se comporter en bon père de famille dans la gestion de la transformation de son environnement.

Ceux qui, sous le prétexte de défendre les paysans, continuent de les considérer comme de grands enfants incapables d’être propriétaires de leur outil de travail et de le gérer en bon père de famille comme eux, doivent revoir leurs copies et se convaincre qu’il ne peut y avoir deux catégories de citoyens dans un pays libre et démocratique.

Il est d’ailleurs paradoxal, voire même hypocrite, que ces prétendus défenseurs des paysans, en constituant leur patrimoine immobilier, privilégient les terres immatriculées. Et ceux qui, parmi eux, arrivent à se faire attribuer des parcelles de terrain du domaine national par voie de délibération des conseils ruraux, empruntent sans tarder les voies de la procédure administrative de leur immatriculation qui les sort du domaine national. C’est d’ailleurs cette attitude qui explique clairement que la superficie des terres immatriculées, de 1% de la surface totale du pays en 1964 année de l’entrée en vigueur de la loi relative au domaine national, est passée aujourd’hui aux environs de 10% de cette même surface. Personne du monde étranger au monde paysan ne veut rester dans le champ d’application de la loi sur le domaine national. Pas même les membres des Commissions chargées de la reforme foncière. Aussi bien ceux de la « Commission chargée de la reforme du droit de la terre » de Abdoulaye WADE que ceux de celle récemment créée par Macky SALL. Leur patrimoine immobilier est constitué d’immeubles régis par le régime de l’immatriculation. A l’unanimité, la question invariable que posent tous les sénégalais en état d’acquérir un terrain, une parcelle de terrain ou un immeuble au vendeur est : est-ce un titre foncier ? Autrement dit est-ce un terrain immatriculé ?

La voie de la reforme attendue est donc toute tracée. Elle doit mener à l’unification des deux régimes en vigueur en optant pour le régime de l’immatriculation applicable à toutes les terres qui a largement et positivement fait ses preuves.

Une reforme allant dans le sens de l’histoire et permettant enfin de lever définitivement les goulots  d’étranglement qui bloquent l’avancée de notre pays, est celle à laquelle nous aspirons en proposant la démarche qui suit.

 

  1. 1.      L’adoption du régime de l’immatriculation pour l’ensemble des terres rurales et urbaines.
  2. 2.      La délimitation nette sur le terrain des quatre catégories de terres fixées par l’article 4 de la loi sur le domaine national, à savoir : les zones urbaines ; les zones classées ; les zones des terroirs et les zones pionnières.
  3. 3.      L’immatriculation au nom des Communautés rurales des zones des terroirs qui sont les zones occupées par les paysans (cultivateurs et pasteurs) d’une part pour l’habitation, et, d’autre part, pour la culture et le pâturage. Ce patrimoine immobilier appartenant aux collectivités locales pourrait générer des revenus engrangés comme recettes dans leurs budgets.

L’objectif principal de cette immatriculation sera de lotir, morceler, délimiter et attribuer aux paysans qui les occupent, par voie d’autorisation d’occuper, les zones à usage d’habitation et par voie de bail emphytéotique pour les zones de culture.

  1. 4.       L’immatriculation au nom de l’Etat des zones pionnières. Ces zones devraient constituer l’assiette et la locomotive de la modernisation de l’agriculture. Elles devraient être délimitées avec précision et intégrées dans un plan national d’aménagement visant leur mise en valeur effective en tant que réserves inépuisables de création d’emplois, donc d’éradication réelle du chômage.

Il faut y orienter les investissements de capitaux massifs pour y impulser, encadrer et organiser des corps de volontaires du progrès de l’agriculture en leur accordant les facilités requises qui leur permettront de s’investir à fond et définitivement dans les activités agricoles.

  1. 5.      L’immatriculation des zones urbaines au nom des mairies de ville. La gestion de ce patrimoine immobilier pourra générer des revenus qui renfloueront leurs budgets.
  2. 6.      Enfin le dressage et la tenue à jour d’un tableau général des propriétés  immobilières pour chaque collectivité : Etat, Mairies, Collectivités locales, pour un suivi rigoureux et fructueux de leur patrimoine.

Ainsi se présente l’économie de la reforme foncière proposée.

Son option est nette et claire. Il s’agit de mettre fin à la coexistence des deux régimes fonciers en vigueur dans l’administration des terres au Sénégal. Son choix s’est porté sur le régime de l’immatriculation qui a fait ses preuves d’une bonne gouvernance dans la gestion foncière. Il faut immatriculer toutes les terres du pays pour aller vers un horizon garanti de zéro litige foncier. Toute autre démarche, à notre avis, ne constituerait qu’une réformette qui laisserait les problèmes à résoudre en l’état. Il faut immatriculer les terres, toutes les terres pour une solution définitive de ces problèmes.

Dakar, le 20 Février 2013

   ALLA KANE  Inspecteur des Impôts et Domaines en retraite

  Expert en Foncier  kane_alla @yahoo.fr

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