Immunite Parlementaire Et Etat De Droit ! par Babacar Gaye

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«Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous.» Montesquieu

La publication de cette réflexion est motivée par un souci de clarté suite à des confusions que des thuriféraires du régime voudraient entretenir. A la violence d’un Etat hors-la-loi, j’oppose la force des arguments.

Je cite pêlemêle : « L’immunité parlementaire ne signifie pas une licence à tout faire et à tout dire et c’est une banalité que de savoir qu’en cas de flagrant délit le député est traité comme tout justiciable normal. » ; “L’immunité parlementaire du député Oumar Sarr est levée depuis deux ans”

Les faits

Le Samedi 19 décembre 2015 à 4h 45 mn selon sa famille, Oumar Sarr Secrétaire Général adjoint du Pds et député à l’assemblée nationale a été interpellé et gardé à vue dans les geôles de la police. Certains ont interprété ces actes policiers comme un fait normal et conforme aux lois et règlements régissant les libertés publiques et le statut du député et particulièrement son immunité.

Ensuite, il a été inculpé pour faux et usage de faux en écritures privées et diffusion de fausses nouvelles ; et placé sous mandat de dépôt en dépit de l’inviolabilité de son immunité parlementaire.

En ma qualité d’ancien député, il est de mon devoir de rappeler, en les commentant les dispositions pertinentes de la Constitution et de la Loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale et relatives à l’immunité parlementaire qui comporte deux volets distincts: l’irresponsabilité et l’inviolabilité. Ne confondons pas les deux régimes de protection du député.

1. L’irresponsabilité qui est une immunité de fond protège le parlementaire de toute poursuite pour des actions accomplies dans l’exercice de son mandat. Etant entendu que ces actes ne sont pas détachables de ses fonctions;
2. L’inviolabilité qui est une immunité de procédure concerne les activités extra-parlementaires détachables de ses fonctions. En clair un député peut être poursuivi à la condition que toute action coercitive à son encontre soit précédée de la levée de son immunité par ses pairs

De l’irresponsabilité parlementaire

En vertu des dispositions du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, « Aucun membre l’assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »

Comme il est bien précisé dans le texte constitutionnel, le député est totalement irresponsable pour tout ce qui se rapproche à l’exercice de ses fonctions, actes qui ne se résument pas aux seuls opinions et votes émis dans l’hémicycle. Même lors des travaux des commissions permanentes ou ad hoc, intra comme extra muros, les actes que pose le député entrent dans le cadre normal de ses prérogatives. Par conséquent, il ne peut aucunement être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé.
Cette protection du député a un caractère absolu, permanent et perpétuel. Elle constitue un moyen d’ordre public; c’est à dire que le député ne peut pas renoncer à son immunité.

Apres cette précision d’ordre général, nous allons appesantir la réflexion sur le cas qui concerne Oumar Sarr et du type d’immunité dont il est couvert.

De l’inviolabilité parlementaire

Au sens strict du deuxième alinéa du même article, « Aucun membre de l’assemblée nationale ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’assemblée dont il fait partie. »

Comme il est admis, les atteintes aux privilèges et immunité du député ne sont régulières qu’avec l’autorisation de l’assemblée nationale plus connue sous la notion de « la levée de l’immunité parlementaire ».

Cependant cette protection contre les actes détachables est de rigueur aussi bien pendant la session unique que durant l’intersession pendant laquelle le député n’est pas protégé totalement en cas de flagrant. Cette disposition trouve sa justification dans la volonté du législateur de faire respecter le principe de la séparation des pouvoirs mais surtout pour contrecarrer les velléités de l’exécutif à neutraliser les membres du Parlement qui seraient tentés de voter dans un sens défavorable pour s’opposer aux projets du Gouvernement ou pour faire échouer le vote positif d’une motion de censure.

Dans du cas de député Oumar Sarr, est-ce que l’assemblée nationale était en session? Évidemment oui. Car, en vertu du troisième l’alinéa de l’article 63 de la Constitution, « L’Assemblée nationale se réunit de plein droit en une session ordinaire unique qui commence dans la première quinzaine du mois d’octobre et qui prend fin dans la seconde quinzaine du mois de juin de l’année suivante »

Ensuite, est-ce que la police avait une autorisation parlementaire en bonne et due forme pour arrêter le député? Assurément non. A ma connaissance l’assemblée ne s’est pas réunie pour lever l’immunité parlementaire de Oumar Sarr relativement à l’affaire qui le concerne dans l’affaire Lamine Diack. Or la levée de l’immunité parlementaire ne vaut que pour une affaire et une seule à la suite d’une requête du parquet conformément aux dispositions de l’alinéa 1er de l’Article 52 du Règlement intérieur de l’Assemblée qui stipule : «Il est constitué, pour chaque demande de levée de l’immunité parlementaire d’un député ou pour chaque demande de suspension de poursuites déjà engagées, une Commission ad hoc de onze membres nommés selon la procédure prévue à l’article 34.» Qui plu est, sur cette question la jurisprudence française est sans appel.

En effet “La levée de l’immunité (l’inviolabilité) parlementaire est limitée à l’objet et aux stipulations de la demande faite par les autorités judiciaires à laquelle se réfère l’assemblée. » (Arrêt de la Cour de Cassation-chambre criminelle 7 juillet 1949, Bull. crim. n° 234.) Voir aussi le cas du député J.-M. Boucheron (Journal Officiel des débats. Assemblée Nationale, séance 3 déc. 1992, p. 6488 et séance 20 déc. 1992, p. 7655.)
Même pour une même affaire, il est nécessaire de faire une demande supplétive ultérieure qui doit, elle aussi, être soumise à l’approbation parlementaire. (Voir la levée de l’immunité parlementaire du député Balkany en France).

Or, la levée de l’immunité parlementaire dont se prévaut le Président du Groupe Benno Bokk Yakaar dans une publication sur sa page Facebook et certainement les autorités qui ont fait arrêter Oumar sarr, concerne des enquêtes dans le cadre de la lutte contre l’enrichissement illicite. En effet, pour la levée de l’immunité des députés concernés, le procureur spécial près la CREI avait transmis une demande ainsi formulée:

« Ayant reçu l’information selon laquelle les honorables députés Oumar SARR, et Abdoulaye BALDE auraient profité de leurs fonctions gouvernementales passées pour s’enrichir de façon illicite, j’ai instruit le Commandant de la Section de Recherches de la Gendarmerie Nationale, suivant lettres N° 0002 et 0003 en date des 08 et 15 octobre 2012, aux fins d’ouvrir une enquête pour élucider ces faits.

Cette enquête a démarré depuis lors. Mais les enquêteurs éprouvent d’énormes difficultés pour auditionner les mis en cause en raison de leur qualité de députés et de l’ouverture de la présente session parlementaire.

C’est pourquoi, conformément aux dispositions de l’article 52 du Règlement intérieur de votre auguste Assemblée, je vous prie de bien vouloir faire procéder à la levée de l’immunité parlementaire de ces honorables députés afin de permettre à l’enquête en cours de se dérouler normalement.»

Donc, pour que Oumar Sarr puise être poursuivi et arrêté, il eût fallu que le maitre des poursuites demandât une autorisation à l’Assemblée nationale qui est actuellement en session.

Aussi, pour donner un caractère flagrant aux délits qui seraient par la suite imputés à Oumar Sarr, la police est allée cueillir nuitamment Oumar Sarr dans sa chambre à coucher et fait bégayer l’histoire judiciaire de mon pays. Oumar Sarr n’a pas été pris en flagrant délit en train de commettre un crime ou un délit. Des indices probants n’ont pas été aussi trouvés en sa possession alors qu’il était en fuite. Voila comment le pouvoir d’aujourd’hui tente d’enrichir le droit parlementaire avec la notion de « levée de l’immunité parlementaire continue » dans les mêmes circonstances qui avait valu à Me Wade et consort leur arrestation dans le cadre d’un «flagrant délit continu». C’est pitoyable.

Alors parlons de la levée de l’immunité parlementaire dans le cadre du flagrant délit. Dont la définition la plus simple se résume comme suit : « Le flagrant délit ou délit flagrant (venant de l’expression In flagrante delicto) est une situation où une personne est prise sur le fait au moment de son infraction ou immédiatement après et en possession d’indices démontrant sa participation à cette infraction.»

Naguère j’ai aussi lu un ancien parlementaire soutenir: « qu’en cas de flagrant délit le député est traité comme tout justiciable normal ». Ce qui est totalement inexact. Cette thèse manque de précision et renferme des limites fixées dans le troisième alinéa de l’article susvisé:
En effet, « Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’assemblée dont il fait partie.». Comme il est constant dans cet alinéa, le Constituant ne fait nulle part allusion au flagrant délit.

En outre, « Le membre de l’Assemblée nationale ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation de l’assemblée dont il fait partie, sauf en cas de crime ou délit flagrant, tel que prévu par l’alinéa précédent ou de condamnation pénale définitive.»
Ce troisième alinéa de l’article 61 de la Constitution doit s’interpréter comme une volonté du constituant d’assouplir l’intangibilité de l’immunité parlementaire en autorisant tacitement la recherche et la poursuite du député durant l’intersession parlementaire dans une procédure de flagrant délit sans qu’il n’ait besoin de demander une autorisation à l’assemblée nationale.

En Conclusion

1. Le député Oumar Sarr a été cueilli dans sa chambre le samedi à 4h45 selon son épouse en violation des règles de procédure pénale en matière de visite domiciliaire.
2. Le député Oumar Sarr a été poursuivi, entendu, inculpé et placé sous mandat de dépôt alors que l’Assemblée nationale est en session. (Article 63 alinéa 3 de la Constitution)
3. Or, même si Oumar Sarr avait été pris en flagrant délit, hors session, il ne peut être ni recherché, ni poursuivi.
4. Par conséquent, le Député Oumar Sarr a été kidnappé et incarcéré en violation de la Constitution et de la loi.
5. Le Député Oumar Sarr est en détention arbitraire et doit être libéré immédiatement jusqu’à ce que toutes les formalités prévues par la loi en la matière soient remplies. Car il urge de se hâter lentement ; le temps de la justice n’est pas celui de la politique.

Vive la République
Vive l’Etat de droit
Qu’Allah sauve le Sénégal.

Babacar Gaye
Ancien Président du Groupe Libéral et démocratique
Ancien Ministre d’Etat

5 Commentaires

  1. Oui mr l agregé…. constitutionnaliste….Vraiment dans certaines occasions on se rend compte que nos hommes politiques sont minables ne valent rien et prennent les senegalais pour des illetres irrationnels sinon pourquoi toute cette gymnastique celebrale pourr tenter de saupoudrer les gens devant des faits palpables et une situation reelle….
    SENEGALAIS KHAMOUGNOU KOU TONGN KOU FAYOU LAGN KHAM…..

  2. La Commission ad hoc recommande à l’Assemblée nationale la levée de l’immunité parlementaire des collègues Oumar SARR N°1, Abdoulaye BALDE et El Hadji Ousmane Alioune NGOM.

    Monsieur le Président,

    Madame, Monsieur les Ministres,

    Chers Collègues,

    La Commission ad hoc, créée par la résolution n°01/2013 de l’Assemblée nationale, s’est réunie en plusieurs séances sous la présidence de notre collègue Moustapha DIAKHATE, président de ladite Commission, à l’effet de statuer sur la demande de levée de l’immunité parlementaire des députés Oumar SARR N°1, Abdoulaye BALDE et El Hadji Ousmane Alioune NGOM, formulée par Monsieur le Procureur Spécial près la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI), sous couvert de Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Les travaux se sont déroulés conformément au calendrier élaboré par la Conférence des Présidents.

    Le lundi 07 janvier 2013, la Commission ad hoc a adopté le calendrier des rencontres avec les collègues concernés, et leur a adressé des convocations individuelles qui ont toutes été déchargées. Ce calendrier s’établit ainsi qu’il suit:

    Mardi 08 janvier 2013:

    · 12 heures, le collègue Oumar SARR N°1 ;

    · 14 heures, le collègue El Hadji Ousmane Alioune NGOM ;

    · 16 heures, le collègue Abdoulaye BALDE ;

    Mercredi 09 janvier 2013 à 12 heures : délibération et adoption du rapport.

    Le mardi 8 janvier 2013, les 11 membres de la commission se sont réunis à 11 heures 30, en vue de la première audition. A 13 heures, ils ont fait le constat que le collègue Oumar SARR N°1 ne s’est pas présenté.

    A 14 heures, le Président de la Commission a informé les membres qu’il a reçu une lettre de démission du collègue Modou DIAGNE comme membre de la Commission ad hoc après avoir effectivement pris part à la première séance d’audition. La Commission en a pris acte.

    La Commission a ensuite constaté que le collègue El Hadji Ousmane Alioune NGOM ne s’est pas présenté, une heure après celle indiquée pour le démarrage de son audition.

    A 17 heures, le même constat d’absence a été fait, selon les mêmes procédures, pour le collègue Abdoulaye BALDE.

    Le mercredi 09 janvier 2013 à 12 heures, la Commission a délibéré sur les demandes de Monsieur le Procureur Spécial près la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite.

    En ce qui concerne les collègues Oumar SARR N°1 et Abdoulaye BALDE, la demande a été ainsi formulée :

    « Ayant reçu l’information selon laquelle les honorables députés Oumar SARR, et Abdoulaye BALDE auraient profité de leurs fonctions gouvernementales passées pour s’enrichir de façon illicite, j’ai instruit le Commandant de la Section de Recherches de la Gendarmerie Nationale, suivant lettres n°s 0002 et 0003 en date des 08 et 15 octobre 2012, aux fins d’ouvrir une enquête pour élucider ces faits.

    Cette enquête a démarré depuis lors. Mais les enquêteurs éprouvent d’énormes difficultés pour auditionner les mis en cause en raison de leur qualité de députés et de l’ouverture de la présente session parlementaire.

    C’est pourquoi, conformément aux dispositions de l’article 52 du Règlement intérieur de votre auguste Assemblée, je vous prie de bien vouloir faire procéder à la levée de l’immunité parlementaire de ces honorables députés afin de permettre à l’enquête en cours de se dérouler normalement. »

    S’agissant du collègue El Hadji Ousmane Alioune NGOM, la demande du Procureur Spécial près la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite a été ainsi formulée :

    « Ayant reçu l’information selon laquelle l’honorable député El Hadji Ousmane Alioune NGOM aurait profité de ses fonctions gouvernementales passées pour s’enrichir de façon illicite, j’ai instruit le Directeur de la Police Judiciaire, suivant lettre n° 00011 en date du 27 décembre 2012, aux fins d’ouvrir une enquête pour élucider ces faits.

    Pour permettre aux enquêteurs d’effectuer convenablement leur travail, je vous prie, conformément aux dispositions de l’article 52 du Règlement intérieur de votre Institution, de bien vouloir faire procéder à la levée de son immunité parlementaire. »

    Honorables collègues, la Commission ad hoc que vous avez installée ici le lundi 07 janvier 2013, en application de l’article 52 de la loi organique qui détermine les règles et procédures de fonctionnement de l’Assemblée nationale, a accompli sa mission.

    Elle a élu son bureau, a programmé les rencontres et a dûment convoqué les trois collègues concernés.

    Elle a constaté que ces collègues n’ont pas répondu à la convocation.

    Soucieuse de faciliter la manifestation de la vérité, et afin de permettre à la justice de faire son travail, la Commission ad hoc recommande à l’Assemblée nationale la levée de l’immunité parlementaire des collègues Oumar SARR N°1, Abdoulaye BALDE et El Hadji Ousmane Alioune NGOM.

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