Interview : Cheikh Amar assène ses quatre vérités

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XALIMANEWS : Prononcez son nom au fin fond du Sénégal, on vous dira que c’est l’un des plus grands hommes d’affaires du pays. «Saliou made man», Cheikh Amar, patron de Holding Amar, incarne, à lui tout seul, le modèle de réussite sénégalais. Parti de rien, ce grand mécène, qui trône aujourd’hui sur des sociétés à milliards, est l’un des plus grands employeurs du pays. Mais pourtant, l’homme n’y paraît pas. Modeste comme un talibé, il n’a que deux ambitions dans la vie : travailler pour le développement de son pays et pour Serigne Touba, dont il reste aujourd’hui, l’un des plus grands soldats de sa voie, le Mouridisme. Rencontré hier, à ses bureaux aux Almadies, l’homme s’est confié comme jamais. Lire les vérités d’un Cheikh… en bonne et due forme.

Vous avez été désigné par Serigne Cheikh Saliou, comme le «Dieuwrine (responsable des récoltes)» de Khelcom. On n’est à quelques jours de l’événement. Comment le préparez-vous ?

Après le rappel à Dieu de mon vénéré marabout, Serigne Saliou Mbacké Ibn Khadimou Rassoul, j’ai fait allégeance à son fils, Serigne Cheikh Saliou. Tout le monde a entendu ce qu’il a dit. C’est une très grande satisfaction pour moi. Je lui ai dit que je faisais de Khelcom mon affaire personnelle. Il a accepté mon vœu et m’a désigné comme l’unique responsable des récoltes. Maintenant, les récoltes de cette année seront différentes des précédentes. Il y aura beaucoup de changements, parce que la surface cultivée a été revue en hausse. Il y a de nouveaux champs, de nouveaux «daaras (foyers)». Mais, je vais le rappeler, la particularité de Khelcom, c’est que le marabout donne toute la récolte (du mil) aux daaras, mosquées et aux plus démunis. Et il ne fait pas de différence entre les confréries. Tout le monde en bénéficie et parfois, les destinataires ne connaissent même pas la provenance de ce mil. C’est un ‘’adiya’’ fait à Serigne Touba. Mon marabout, le vénéré Serigne Saliou, me disait que le seul regret de sa vie, c’est de n’avoir jamais eu le temps pour cultiver la terre. Et qu’heureusement, lui a eu cette chance. Donc, Khelcom est une chose à pérenniser. Au début, on parlait de déforestation et autres et, à l’époque, c’est Serigne Sidy Makhtar Mbacké, actuel khalife général des Mourides, qui s’était déplacé, en compagnie d’autres personnes, pour faire des prières sur le site. Aujourd’hui, tout le monde a vu ce que Khelcom est devenu. Le site abrite les plus grands champs de l’Afrique de l’Ouest. Et si Dieu nous accorde longue vie, nous serons toujours là pour accompagner le marabout. Nous allons l’accompagner pour que le succès continue d’accompagner les récoltes de Khelcom. Tous ceux qui s’y rendent, ne serait-ce que pour transporter le plus petit morceau de bois ou le plus petit épi de mil, verra une très grande avancée dans sa vie. Cela peut relever du fanatisme pour certains, mais c’est ma conviction. J’en suis le parfait exemple.

Vous avez dit que la récolte de cette année sera supérieure à celle des années précédentes. Avez-vous pris des dispositions particulières pour cela ou allez-vous reproduire le même schéma ?

Cette année, nous allons augmenter les cars, les vivres. Il y aura beaucoup de changements et tout le monde le constatera une fois sur place. Chaque champ aura un responsable, mais il faut quelqu’un pour coiffer tout ça.

Il y a combien d’hectares à récolter ?

Les dimensions des champs diffèrent. Mais il y a centaines d’hectares à récolter. Cela concerne juste le mil, parce que pour l’arachide, il y a les tracteurs. Nous devrions dépasser les 100 tracteurs pour la récolte de l’arachide.

Le marabout a fait un témoignage élogieux à votre endroit, vous avez même versé des larmes…

J’ai cédé à l’émotion parce que je n’ai jamais entendu un marabout dire à un talibé qu’il est à la fois pour lui un père et une mère. Cela m’a beaucoup touché, surtout quand il m’a dit qu’il sera mon intercesseur auprès de Serigne Saliou et de Dieu. Serigne Cheikh m’a toujours témoigné une affection que je ne mérite pas. Il ne reste jamais deux jours sans prendre de mes nouvelles et c’est énorme pour le talibé que je suis. Et je pense que cela doit être le comportement d’un marabout envers son talibé.

Mais au-delà de l’émotion, qu’est-ce que cela vous a fait d’entendre de tels propos venant de Serigne Cheikh Saliou ?

Cela m’a rappelé les paroles que Serigne Saliou prononçait à mon endroit. Quelqu’un qui vous dit qu’il est votre père, votre mère et qu’il intercèdera pour vous auprès de Dieu… (il ne termine pas sa phrase).

Depuis que vous êtes le responsable des récoltes de Khelcom, chaque année, vous battez le record. Avez-vous fait, cette année, une prospection pour savoir le niveau de rendement auquel vous vous attendez ?

Il y a plus de champs, donc le rendement sera supérieur à celui des années passées. Mais pour le moment, nous ne pouvons dire exactement ce qu’on aura. Les nouveaux daaras sont plus grands que les autres. Ma conviction est que c’est Serigne Touba qui nous facilite le travail, sans quoi, nous allons rencontrer d’énormes difficultés à pouvoir récolter tout ce mil. Au début, on passait un mois à Khelcom, maintenant on y passe deux à trois jours.

Combien de bus allez-vous affréter pour le transport des talibés ?

Des centaines, sans compter ceux qui viendront avec des camions. Nous leur donnerons du carburant. Comme nous le faisons tous les ans.

Avez-vous une fois, évalué le montant de vos dépenses pour l’événement ?

Chaque année, nous dépensons plus. Nous ferons toujours notre possible pour que l’événement soit une réussite. Maintenant, si vous parlez d’argent, sachez que tout l’argent du monde ne paierait pas l’œuvre de Serigne Touba. Pour moi, je ne fais rien pour Khelcom, c’est Serigne Touba qui fait tout

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Vous êtes un homme d’affaires, vous évoluez dans plusieurs projets, mais le plus en vue en ce moment, c’est celui engagé pour l’autosuffisance en riz au Sénégal. Où en êtes-vous ?

J’ai appris la comptabilité, l’économie générale. J’ai ensuite fait un module en psychanalyse. Donc, je ne suis pas expert en agriculture, mais j’y suis tombé grâce à mon marabout. C’est Serigne Saliou qui m’a orienté vers l’agriculture. Le problème avec l’autosuffisance que nous devions atteindre depuis longtemps, c’est qu’au Sénégal, les gens sont des touche-à-tout et ce ne sont pas les vrais experts du secteur qui avaient ce projet. Vous savez, récolter c’est facile, mais comment faire pour avoir de bons rendements, c’est cela la grosse difficulté. Il faut des études sur l’engrais et tout. Et je pense que le nouveau ministre de l’Environnement, Mame Thierno Dieng, y veillera. Il y a l’engrais bio et l’engrais chimique. Pour revenir au projet de l’autosuffisance en riz proprement dit, je ne gère que la partie matérielle, pour ainsi dire. Il y a beaucoup d’acteurs qui ne connaissent rien des tracteurs et qui malheureusement, s’étaient doté d’engins très bas de gamme. Ce qui a trop retardé les choses, mais nous projetons de mettre sur pied une usine de fabrique d’engrais, parce que cela n’existe pas en Afrique. Nous avons tout un programme avec l’Etat.

C’est quoi le programme ?

Nous allons doter les riziculteurs de tracteurs de grandes puissances. Mais, il faut savoir qu’il n’y a pas que les engins, il y a aussi le matériel post-récolte. Ce sera des produits de bonne qualité. La maîtrise de l’eau entre aussi en jeu. Pour cela, nous allons créer des canaux avec du matériel de qualité qui proviendra d’Inde. Je suis l’agent d’exécution de ce projet, vu que je connais les Indiens, mais ce sont eux qui fournissent le matériel et la technologie.

Le projet tourne autour de combien de milliards ?

C’est beaucoup de milliards, mais les chiffres ne sont pas importants.

Quand doit-il commencer ?

Le matériel arrive, il y a une partie qui est encore au Port. Cela concerne les machines de génie civil pour aménager les terres. C’est important ! Nous avons ciblé les zones, Dagana, Matam et autres endroits du pays, qui abriteront des rizeries. Ce sont les rizeries qui font la granulation, la parfumerie du riz, afin qu’il soit de qualité. C’est le programme d’autosuffisance en riz qui, en quelque sorte, se poursuit, parce qu’au début, c’était l’implantation de pompes et jusqu’à présent, personne ne demande ne serait-ce que des pièces détachées, parce qu’elles sont solides. Donc ce sont de très grandes sociétés, parfois elles refusent même de prendre certains marchés, parce qu’elles en ont beaucoup. C’est donc une chance pour le Sénégal d’avoir à contracter avec elles.

Aujourd’hui, quelles relations entretenez-vous avec l’Etat, sachant que les hommes d’affaires et membres du secteur privé ont toujours dénoncé sa conduite à leur égard ?

Le problème, ce n’est pas l’Etat. Dans certains pays de l’Hexagone, on n’a pas besoin de connaître le président de la République ou le ministre en charge de tel ou tel autre département pour prospérer. Si on a les compétences requises et qu’on est incontournable dans son domaine, on n’a pas besoin de pistons. Le problème au Sénégal, c’est qu’on court trop derrière l’argent. On effectue un travail et on n’est pas payé de suite. Nous ne sommes certes pas un pays développé, mais il y a un problème de procédures. L’Etat a bien sûr, un droit de regard, parce qu’il y a les institutions internationales qui veillent au grain. Et c’est l’image du pays et de gestion qui est en jeu. Toutefois, je ne suis pas d’accord que l’on vive sous le diktat d’institutions comme le Fmi, la Banque mondiale et autres. Je ne suis d’accord qu’elles nous imposent la manière de gérer nos finances. Quand on dit que l’Etat est endetté. Oui, et après ? Mais les Etats-Unis sont le pays le plus endetté du monde et c’est la première puissance mondiale. Il faut que les gens sachent ce qui fait marcher l’économie. Le business, c’est le business. Mais si on calque sur des gens qui aiment nous voir dans de petites voitures, avec de petites entreprises etc., ça ne marchera pas. Il faut le souligner, le président de la République fait des efforts pour les hommes d’affaires sénégalais. Il nous a réunis pour nous aider et nous donner des marchés, mais on ne peut pas tout le temps, donner des marchés à des gens qui ne peuvent les exécuter.

Mais, n’est-ce pas à vous, hommes d’affaires, de tenir le débat entre vous ?

Mais si on discute entre nous et que l’un d’entre nous aille en douce voir X ou Y pour gagner des marchés, cela ne sert à rien et malheureusement, c’est ce qui se passe.

N’est-ce donc pas votre mésentente qui est en cause ?

Personnellement, je compte beaucoup d’amis parmi les hommes d’affaires. Mais, ça s’arrête là. Je ne travaille pas avec eux. Amar Holding est une société unipersonnelle, c’est m’a propriété. Je n’accepterai pas d’y associer n’importe qui. Je maîtrise mon domaine et je fonce. Mais on ne peut être partout et dans tout, ce n’est pas possible. Maintenant, il y a d’autres sociétés où je suis actionnaire, mais celles que je gère personnellement sont celles qui m’appartiennent. La vérité est qu’on ne peut pas être partout, c’est impossible. D’ailleurs, j’ai toujours été contre ces histoires de consortium. Se regrouper pour quoi ? Que chacun se concentre sur ce qu’il sait faire. C’est ça ma philosophie. Je peux avoir tort, mais c’est ma conviction.

Il se dit que l’Etat vous doit de l’argent, avez-vous une idée de la somme ?

Evidemment, mais ce ne sont pas des choses à dire publiquement. C’est entre l’Etat et moi. Quand l’Etat vous doit de l’argent et ne vous paie pas, c’est parce qu’il y a, peut-être, un problème de trésorerie. Mais la volonté est là, l’Etat essaie, tant bien que mal, de donner des marchés aux hommes d’affaires et c’est important.

Globalement, comment voyez-vous la politique économique du Président Sall ?

Je pense qu’elle est bonne. Mais, il faut être intelligent pour comprendre ce qu’il veut faire. Il veut transformer le Sénégal et cela a un coût. Malheureusement, les gens critiquent le coût. Personnellement, je suis d’accord avec lui. Il faut tendre vers la qualité, quel que soit le prix à payer. L’Emergence a un coût et dans tous les secteurs. Et rien que concernant les bâtiments, routes et autres, il faut confier le travail à ceux qui savent le faire et arrêter le tâtonnement. C’est ce que le Président est en train de réaliser. Maintenant, s’il y a des nationaux experts dans ce domaine, il faut impérativement leur confier le marché. Le cas contraire, il faut le donner aux meilleurs.

Vous avez été récemment victime de remarques désobligeantes de Cissé Lô dans un règlement de comptes avec Aliou Sall. Comment avez-vous vécu cela ?

Ces attaques ne me touchent pas. Ce n’est pas la première fois que l’on m’attaque. J’allais lui répondre, mais j’ai reçu un «Ndigeul (injonction)» de mon marabout (Serigne Cheikh Ibn Serigne Saliou Mbacké, Ndlr) m’interdisant formellement de répliquer. Il m’a demandé de pardonner à tout le monde et de ne répondre à personne. C’est pourquoi je ne lui répondrai pas, il fait de la politique et moi je suis un homme d’affaires, des détails de ce genre ne feraient que me retarder. Ils ne m’avancent en rien.

Pourtant, certains de vos proches, via un communiqué publié sur le Web, soutiennent que Cissé Lô était un habitué de votre salle d’attente. Qu’en est-il ?

Je ne vais jamais m’abaisser à son niveau. Cissé Lô sait et je sais. Je ne me mettrai pas à polémiquer avec lui, je n’ai pas le temps.

Il ne vous a pas appelé pour que vous vous expliquiez entre adultes ?

On m’appelle de partout pour cela, mais honnêtement, je n’ai pas le temps à ça. En plus, j’ai reçu l’injonction de ne plus en parler. S’il (Cissé Lô, Ndlr) estime avoir dit une erreur, qu’il aille la rectifier là où il l’avait dite. Je suis capable d’être aussi ordurier que lui, mais on ne m’a pas éduqué ainsi. Je sais beaucoup de choses, mais je les tais, parce que c’est ce que mon marabout m’a demandé et je respecte ses ordres. Donc, je ne répondrai pas à tort et à travers, pour ajouter à la polémique. Concernant Aliou Sall, c’est mon ami de longue date, depuis l’époque où il était au Bureau économique de l’Ambassade du Sénégal en Chine. Mais, on ne s’est revu qu’une fois et avons une fois échangé au téléphone. Ce sont les Sénégalais qui aiment mettre les gens en mal. Même les problèmes entre les Présidents Wade et Sall, c’est la faute à des gens comme lui (Cissé Lô, Ndlr) qui amplifient tout.

Parlant du Président Wade, il est au Sénégal actuellement, vous êtes-vous vus ?

Non on ne s’est pas vus, il a voulu venir me présenter ses condoléances lors du décès de mon fils, mais j’étais à Saly, à ce moment. Mais il m’avait appelé de la France, parce qu’il connaissait bien mon fils qu’il considérait comme son petit-fils. Le Président Sall, lui, est venu jusque chez moi. Dieu a fait que je suis l’ami des Présidents sénégalais, parce que je leur dis la vérité et leur donne des conseils. L’un est mon père, l’autre mon grand-père. Les gens essaient de nous mettre en mal, mais n’y arriveront jamais.

Source L’Obs

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