Interview de Bakary Sambe: L’homme africain entrera-t-il un jour dans la fin de l’Histoire ?

Date:

Dans un discours à Dakar qui avait fait scandale, Nicolas Sarkozy avait évoqué la difficulté de l’Homme africain à rentrer dans l’Histoire. Au regard des conflits sans fin qui déchirent l’Afrique, la question qui se pose à elle est plutôt celle de sa capacité à sortir, comme l’Europe avant elle, d’une histoire faite de guerres et de violences.

Atlantico : Alors que François Hollande a reçu les chefs d’État africains à l’Élysée pour le sommet pour la paix et la sécurité en Afrique ce week-end, la France a lancé une intervention en Centrafrique.Quelles sont les zones actuelles de conflits en Afrique ?

Bakary Sambe : Le continent est devenu un terrain de jeux d’influences : intérêts et puissances s’y affrontent pendant que les États qui se délitent font face au défi du déficit d’État. L’Afrique vit pleinement le choc entre le principe de souveraineté et la trans-nationalité des acteurs. A l’Est, sur la corne de l’Afrique la Somalie fait face aux attaques des Shebabs. Alors que la République démocratique du Congo se déchire encore, la Centrafrique est entré dans un cycle de violence dont la fin n’est pas du tout proche, le nord du Nigeria vit au rythme des attentats terroristes et des attaques de Boko Haram qui étend ses opérations jusqu’au nord-Cameroun de temps à autre. Pendant ce temps, au Mali, après plusieurs mois d’occupation au Nord, les élections se sont bien passées mais les problèmes persistent avec le MNLA qui déclare la reprise de la guerre contre le pouvoir de Bamako. Et de temps en temps, les incursions djihadistes et les attaques spectaculaires rappellent que, malgré l’efficacité temporaire de l’Opération Serval, on ne vainc jamais le terrorisme par des blindés. D’ailleurs, l’opération française en Centrafrique sera beaucoup plus compliquée que Serval. Ce sera une guerre urbaine, sans front ni ennemi identifié sur fond de surenchère ethnico-confessionnelle, véritable bourbier pour les armées conventionnelles dont les stratégies de combat sont rendues obsolètes à l’ère de la guerre asymétrique imposée par les guérillas et les groupes terroristes.

De quelle nature sont ces différents conflits ? Quelles en sont les causes ?

La chute du mur de Berlin a consacré l’obsolescence de la guerre dans le sens d’un affrontement entre armées conventionnelles. Les types de conflits que l’on rencontre en Afrique sont de différents types : les irrédentismes et guérillas engagés dans des luttes politico-nationalistes comme le MNLA au nord du Mali, le Darfour jusqu’à la création du Soudan du Sud etc. Un autre type de conflit est celui qui part généralement d’une contestation politico-armée du pouvoir central pouvant aboutir à son renversement comme le CNT libyen ou la Séléka centrafricaine ou à un pourrissement comme en République démocratique du Congo. Les effets de la chute de Khadhafi combinés avec le redéploiement d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et le foisonnement des groupuscules djihadistes plongent la zone sahélienne dans l’absurde guerre contre le terrorisme.

Les opérations terroristes se nourrissent de la faiblesse des États et de la trans-nationalité d’un ennemi devenu diffus depuis qu’Al-Qaïda a abandonné l’option des causes globales en se contentant de parasiter les conflits locaux auxquels ils s’efforcent de donner un habillage religieux. Ce fut exactement la stratégie d’Ansar Dine au Nord-Mali avec la question touarègue. La confessionnalisation du conflit en Centrafrique risque d’aboutir aux mêmes travers alors qu’on est dans un pays qui est une véritable mosaïque ethno-religieuse pour une population de 5 millions d’habitants dont 35% de catholiques, 45% de protestants, 15% de musulmans sans compter la minorité animiste de 5 %. Le choc entre les extrémismes musulmans wahhabites et évangélistes chrétiens peut aggraver le déchirement d’une société centrafricaine fortement secouée par des crises politiques répétitives depuis plus d’une décennie.

Comment de temps encore ces conflits « pour rien » dureront-ils ? A quelles conditions le continent africain pourra-t-il entrer dans la « fin de l’Histoire » ?

Malheureusement pour le continent, la boîte de Pandore avait été ouverte depuis la partition du Soudan et le déclenchement de la guerre de Libye qui portait bien son nom d’Aube de l’Odyssée. Je crains fort que l’Afrique soit entrée dans une phase d’au moins vingt ans où ce genre de conflits va freiner son développement tant attendu et qui se profilait à l’horizon avec la saturation prévisible de l’Asie, pendant que l’Europe est encore plongée dans la crise alors que les rares niches de croissances sont sur le continent noir. Beaucoup s’accordent sur un fait : l’Afrique est en train de revivre les pires moments similaires à ceux du temps de la Guerre froide où par alliés et agents interposés, différentes puissances et idéologies (salafisme wahhabites, évangélistes pentecôtistes, baptistes) s’y affrontent par délégation. Nous voilà, après la période des conférences nationales et des processus démocratiques dans le sillage de la Conférence de la Baule des années 1990, plongés, de nouveau, pour longtemps dans l’ère des sommets pour la paix et la sécurité. Espérons cette fois-ci que de ce mal peut-être nécessaire sortira définitivement du bien pour ce continent plein de potentialités, pour paraphraser un peu, Léopold Sédar Senghor.

Bakary Sambe

Le docteur Bakary Sambe est coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique au centre d’Etude des Religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal)/co-auteur d’un récent rapport sur la paix et la Sécurité dans l’espace CEDEAO avec Institute for Security Studies (ISS).

atlantico.fr

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

Les ministres déchus : L’espoir brisé de retourner à l’assemblée nationale

XALIMANEWS-Des ministres ayant cédé leur siège de député pour...

[Vidéo] Adji Mbergane Kanouté critique Moustapha Sarré : « Il n’a pas les compétences requises »

XALIMANEWS-Les critiques à l'égard de Moustapha Sarré se multiplient...

Nominations de Moussa Balla Fofana et d’Amadou Chérif Diouf, immersion dans la diaspora de Montréal  

XALIMANEWS- Les nominations récentes d’Amadou Chérif Diouf et de...