Ismaila Madior Fall, De Constitutionnaliste A Ministre Conseiller : La Trajectoire Oblique D’un Homme De Droit par Seybani Sougou

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A croire que la nature humaine est imprévisible. Constitutionnaliste émérite, reconnu par ses pairs, Ismaïla Madior Fall a décidé, du jour au lendemain, sans tambour ni trompette, de troquer ses habits de Professeur de droit pour enfiler ceux de Ministre Conseiller auprès du Président Macky Sall. Bien entendu, c’est son choix et son droit le plus absolu.
La rationalité voudrait néanmoins que l’on s’interroge sur les motivations qui conduisent un homme jouissant jusque-là d’un statut social et d’une respectabilité au niveau du monde universitaire à vouloir intégrer « la mare aux canards ». Les sirènes du pouvoir sont-elles irrésistibles à ce point ?
Sûrement que les sociologues pourront nous édifier sur la nouvelle trajectoire pour le moins illisible du Juriste.
Car à quel Madior se fier désormais? Le Constitutionaliste? Ou le Ministre Conseiller qui prêche pour sa paroisse ?
En attendant d’y voir plus clair, les récentes sorties d’Ismaïla Madior Fall, notamment ses réserves concernant les conclusions de la CNRI (Commission Nationale de Réforme des Institutions) jettent le trouble et fragilisent considérablement sa posture d’homme de droit.
Ses réserves sont d’autant plus surprenantes qu’elles ne s’appuient sur aucun argumentaire convaincant. En effet, considérer que la proposition de la CNRI concernant l’incompatibilité entre la fonction de Chef d’Etat et celle de Chef de parti traduit un décalage entre les textes et la réalité relève plus d’un constat empirique que d’une analyse. Faut-il le rappeler, les conseillers (à fortiori dans le domaine juridique) n’ont pas uniquement pour fonction de faire un état des lieux de l’existant, mais d’apporter des correctifs, de formuler des propositions et d’envisager des pistes d’amélioration.
On pourrait rétorquer au constitutionnaliste qu’il existe au Sénégal un formidable décalage entre les textes qui octroient aux citoyens le droit d’organiser librement des manifestations pacifiques et la réalité des interdictions qui procède de l’arbitraire et de l’abus de pouvoir ; un décalage entre l’attachement indéfectible aux conventions garantissant les droits des enfants et l’abandon de milliers de talibés à leur sort ; un décalage entre la durée actuelle du mandat du Président de l’Assemblée nationale (un an) et l’esprit de la Constitution, un décalage entre les règles régissant la liberté de la presse et les nombreuses entraves (subtiles) à la liberté d’expression et à l’exercice de la profession journalistique.
Surtout, il y a lieu de noter l’extraordinaire décalage entre l’engagement ferme, solennel pris par le Chef de l’Etat pour la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans et la tergiversation constatée pour sa matérialisation effective.
D’ailleurs, c’est sur ce point précis que l’avis du Constitutionnaliste (et non celui du Ministre Conseiller) est attendu.
Très engagé sur l’acte III de la décentralisation, Ismaïla Madior Fall a multiplié les sorties médiatiques pour convaincre l’opinion du bien-fondé de la démarche initiée par le pouvoir en place. Méconnaissant le principe de base de concertation et d’adhésion des acteurs concernés comme gage de succès de toute réforme.
Pour ce qui est du cumul des fonctions de Maire et de Ministre, Mr FALL n’y voit non seulement aucun inconvénient mais soutient mordicus qu’ils sont intimement liés. Une posture qui fait du Constitutionnaliste le chantre de l’anachronisme et la régression démocratique, car l’interdiction du cumul d’une fonction ministérielle avec une fonction exécutive locale est à la fois un instrument de rénovation de la vie publique et un puissant levier de transparence pour restreindre des situations de conflits d’intérêts. Mr FALL serait il tenté de se débarrasser de son manteau de Juriste pour investir le champ politique ?
En affichant un soutien marqué (sans nuances) à l’action gouvernementale sur de nombreux sujets, en particulier sur le volet des réformes institutionnelles, Ismaïla Madior Fall prend le risque d’être perçu comme la caution juridique du pouvoir, avec pour conséquence d’atténuer la portée de ses avis juridiques au niveau de l’opinion. En validant la thèse de ses pourfendeurs selon laquelle si le Président a porté son choix sur sa personne parmi tous les constitutionnalistes, ce n’est certainement pas par hasard.
Par ailleurs, on peut constater, avec regret, que le Constitutionnaliste est paradoxalement, jusque-là, resté aphone, en retrait sur le sujet de la réduction du mandat présidentiel. Il est certain que son statut de Ministre Conseiller des affaires juridiques auprès du Président de la République le met en grande difficulté sur la question.
Une position d’autant plus inconfortable, qu’en sa qualité de Professeur de droit, Mr FALL déclarait au Grand Jury RFM en 2012, lors du débat sur l’irrecevabilité de la candidature de WADE, que « la déclaration publique du Président WADE concernant le verrouillage de ses mandats au nombre de 2 revêt une valeur juridique ».
Le Constitutionnaliste est désormais confronté à ce dilemme cornélien de s’appliquer sa propre jurisprudence, en confirmant ses propos d’hier, par la formule suivante « la déclaration du Président Macky Sall relative à la réduction de son mandat de 7 à 5 ans constitue un engagement solennel ayant valeur juridique » ou d’enfourcher la trompette du « WAKH WAKHEET », devenue la marque de fabrique des hommes politiques en panne d’inspiration.
On voit mal un Professeur dont la place est certainement mieux indiquée à l’Université « pour faire bénéficier aux étudiants son savoir, que du côté du pouvoir pour valider juridiquement des choix politiques »,s’engager dans la voie du « WAKH WAKHEET » au point d’entacher durablement sa crédibilité d’homme de droit. Il faut le marteler : tous les ors de la République ne valent pas un tel reniement.
En sa qualité de Constitutionnaliste, de par sa position de Ministre Conseiller en charge des affaires juridiques du Président, Ismaïla Madior Fall s’honorerait à tenir un langage de vérité au Chef de l’Etat sur la nécessité impérieuse de matérialiser, sans délai, son engagement de réduire le mandat présidentiel de 7 à 5 ans. En l’accompagnant et en lui fournissant tous les instruments juridiques nécessaires pour la réussite d’un processus qui engage le devenir des institutions.
Il ne fait aucun doute : le Constitutionnaliste a rendez-vous non seulement avec les sénégalais, mais avec l’HISTOIRE.
Seybani SOUGOU
E-mail : [email protected]

4 Commentaires

  1. Vous avex raison car moi même je ne reconnaît plus mon grand frere. De le voir aujourd’hui argumenter dans le vide ou essayer de convaincre des absurdités qui émanent de la présidence je me demande où va le pays. Si ce sont gens là qui conseillent Macky alors force de reconnaître que les décisions de notre président sont maintenant comprises. Toutefois il faudra reconnaître à Macky une chose c’est d’avoir dévloiler le vrai visage des gens comme madior, latif, jules, penda entre autres:

  2. apparemment vous souhaitez que les brillant se mettent à l’ecart et hurler et ririquer pandant que les mediocres gouverne et conseillent les presidents. quelle paradoxe!

  3. @Taf, nul ne dit que les brillants se mettent a l’ecart et laissent la place aux mediocres, au contraire; tout ce que dit Sougou l’auteur c’est d’etre constant dans les principes, les arguments et les prises de position de la part de nos intellectuels, juristes et hommes publics mais on voit que la constance est la denree la plus rare chez eux. Ce qu’ils ont vomi hier, ils le mangent de nouveau aujourd’hui; suivez mon regard ce journaliste qui etait base au Canada et mange maintenant a la table du pouvoir autour du president; ces derniers jours la presse en ligne a rejoue ses enregistrements il ya de cela 5 ou 7 ans lorsqu’il insultait copieusement Macky Sall et c’est le meme homme qui est le griot du president a present et qui ouvre et ferme la portiere de la voiture de la 1ere Dame; cherchez la constance et le principe! sans principe et sans conviction, un homme (surtout s’il est public) n’a aucune valeur, du moins sa parole n’en a pas. Il ya toute une meute de journalistes, d’univeritaires et de politiciens qui hier denoncaient l’interdiction de marches pacifiques sous Wade mais ils sont devenus muets et aphones lorsque le gouvernement de Macky commet le meme acte d’interdiction a present. Les Senegalais ne sont pas amnesiques, du moins pas tous; il faut faire attention car tout ce que l’on ecrit ou dit dans les medias est archive et dans 5, 10 ou 1000 ans on pourrait toujours ressortir ce que quelqu’un a dit dans le passe, meme si celui qui l’a dit n’est plus de ce monde; eh oui, l’Histoire est la meilleure juge!

  4. En lisant le nouveau code des collectivités locales (acte 3 de la décentralisation) je me suis demandé si ce monsieur était aussi compétent qu’on le prétend. Je pense qu’il a eu la chance d’être titularisé à l’université (notre université est une mafia du point de vue des recrutements) mais qu’il est archi nul ! Il fait un exacte copier coller de la réforme de 1996, pour prétendre que c’est révolutionnaire juste parce qu’il a remplacé région par département. Ces gars pour connaître leur valeur, il faut leur confier une mission. Je croyais qu’il était génial en l’écoutant à la radio, quand j’ai lu les conclusions de l’acte 3 je suis tombé des nues. Ses propos concernant le rapport de la Cnri sont indignes dans la mesure où lui même n’a pas su concevoir un bon rapport sur la décentralisation. Concernant le statut social dont parle l’auteur, je dis attention : beaucoup de nos gars célèbres sont criblés de dettes, ils ont parfois besoin de la politique pour se renflouer.

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