Jacques Attali trace les contours de la nouvelle Francophonie: « les Français doivent faire comprendre aux Chinois et aux Japonais que la meilleure façon d’aller en Afrique c’est de passer par la France »

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Va-t-on parler d’économie lors du 15e sommet de la Francophonie, ce week-end à Dakar ? Pas sûr. Il y a trois mois, l’essayiste français Jacques Attali a remis un rapport sur ce thème à François Hollande. Il a fait 40 propositions pour sauver la Francophonie et doper l’économie de ce formidable espace géopolitique. Mais pour l’heure, au grand dam de son auteur, ce rapport est au fond d’un tiroir. L’ancien conseiller spécial de François Mitterrand répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Dans votre rapport, vous dites que la Francophonie peut devenir une zone économique de première importance comme l’Union européenne. Mais depuis dix ans c’est le contraire qui se passe, puisqu’en Afrique, la France a perdu la moitié de ses parts de marché ?

Jacques Attali : Oui, c’est une zone économique, mais pas forcément pour la France. C’est une zone économique en soi, dans laquelle malheureusement, comme vous le dites très justement, la France ne trouve plus sa place. Mais c’est une zone économique, puisque avec seulement une petite part de la population mondiale, 4 % pour l’instant, elle représente 16 % du PIB mondial et 15 % des réserves mondiales. Et avec un potentiel du commerce entre eux considérable, puisqu’on sait que les gens qui parlent la même langue font 70 % de plus d’affaires entre eux que des gens qui ne parlent pas la même langue.

Ces dernières années, les grands marchés d’infrastructures en Afrique ont été gagnés par les marchés chinois, beaucoup de miniers aussi. Comment les Français peuvent-ils inverser la tendance ?

Les Français peuvent inverser la tendance d’abord en faisant comprendre aux Chinois et aux Japonais que la meilleure façon d’aller en Afrique c’est de passer par la France, parce que c’est en français qu’on peut le mieux commercer, investir en Afrique. La deuxième c’est de maintenir l’enseignement du français, de développer l’enseignement du français. C’est ce que j’appelle l’altruisme intelligent. Il est intelligent d’être altruiste parce que le développement de l’enseignement du français crée les conditions pour les entreprises françaises de se développer, et en même temps, en étant ambitieux, en investissant et en créant ce qui à mon avis va être un grand secteur de croissance de demain, qui est un grand groupe d’éducation en français, de la maternelle à la terminale, qui pourrait être privé. Il y a un potentiel de croissance un petit peu comme il existe un marché de cliniques privées ou un marché de maisons de retraite privées. Il y a un marché de l’enseignement qui est de l’intérêt général.

Quels sont les créneaux d’avenir sur lesquels peuvent se placer les Français ?

Les créneaux d’avenir c’est évidemment tout ce qui est la culture ; le cinéma, la chanson, la littérature. Mais là vous me parlez des Français, alors que je ne parle que de la Francophonie. Ce qui est bon pour la France doit être bon aussi pour les entreprises ivoiriennes, sénégalaises, nigérianes, qui vont maintenant beaucoup travailler en français. Donc il ne faut pas voir seulement l’intérêt des Français, il faut voir l’intérêt de tous. Et c’est vrai que pour les Français proprement dit, la Francophonie peut représenter plus d’un million d’emplois supplémentaires dans les 20 ans qui viennent. Et ça passe par les secteurs liés aux nouvelles technologies, mais aussi à l’agriculture, au secteur des transports, au secteur minier et au grand secteur de l’eau, dans lesquels à la fois l’Afrique et les pays francophones auront beaucoup de besoins et où les Français sont très compétentes.

Vous dites que deux pays qui partagent la même langue tendent à échanger 70 % en plus que s’ils parlent deux langues différentes. Mais est-ce que ce n’est pas l’anglais tout de même qui est devenu la langue du business ?

L’anglais est une des langues du business. Mais l’espagnol l’est aussi, le chinois l’est aussi. Et il ne faut pas considérer que cette bataille est perdue, loin de là. Le français peut représenter 700 millions de locuteurs. Il n’y a pas de raison de ne pas l’utiliser, non seulement pour faire des affaires, comme vous dites, mais si les gens communiquent entre eux dans une autre langue que l’anglais, ils font des affaires dans cette autre langue. La bataille n’est pas perdue.

Et dans votre rapport que proposez-vous pour les étudiants francophones ?

Les étudiants francophones doivent absolument avoir bien davantage de moyens de venir étudier dans les universités françaises et dans les universités de la Francophonie. C’est-à-dire que les visas doivent être octroyés beaucoup plus facilement. Une procédure d’accueil qui a commencé à s’améliorer en France, sauf dans la région parisienne, doit s’améliorer beaucoup. Et aussi il doit être clair qu’un étudiant francophone ayant étudié en français en France, peut faire sa carrière en France et aura un permis de travail en France lorsqu’il aura obtenu son diplôme.

Parmi vos propositions il y a l’idée de mettre en place des les aéroports un guichet pour les Francophones comme il y a aujourd’hui un guichet pour les membres de l’Union européenne. Est-ce que c’est possible vraiment ?

C’est tout à fait possible. Il n’y a pas de raison de ne pas le faire. Et ce sera le début de ce que j’appelle l’Union francophone. C’est à dire une union qui rassemblera politiquement, économiquement, juridiquement les pays francophones et qui montrera que les Francophones ont quelques petits privilèges à partager entre eux. Et il y en aura bien d’autres puisque je pense que cet espace de solidarité est tout à fait possible et important.

Trois mois après la remise de votre rapport, est-ce que vous ne craignez pas qu’il soit déjà au fond d’un tiroir ?

Il l’est. Ce que j’espère en particulier de notre conversation, c’est que quelqu’un ait la gentillesse d’ouvrir le tiroir.

C’est-à-dire que vous craignez qu’aucune de vos propositions ne soit retenue lors du sommet qui démarre à Dakar ?

J’en suis absolument certain parce que ce sommet va s’occuper d’autre chose malheureusement, que de Francophonie au sens d’un agenda. Il va s’occuper, à juste titre, de la succession d’Abdou Diouf, de l’Ebola, du Burkina Faso, du climat. Et la Francophonie sera le dernier sujet sur l’agenda du sommet de la Francophonie.

S’il y avait une proposition qui pourrait être retenue dès ce week-end, laquelle ?

S’il n’y avait qu’une seule proposition, j’en aurais mis une. Mais il y en a quarante, parce que je pense que quarante sont nécessaires.

Parmi les candidats à la succession d’Abdou Diouf ; Michaëlle Jean, Jean-Claude de Lestrac, Pierre Boyoya, Henri Lopes… Qui vous semble le plus indiqué pour faire prendre à la Francophonie ce tournant économique ?

Je pense que le secrétaire général a une importance, mais une importance assez mineure dans ce choix. L’important c’est la décision des chefs d’Etat qui pourront se rassembler et ne pas faire de la Francophonie seulement un lieu de rencontres politiques, mais aussi le projet d’une union intégrée. C’est la volonté des chefs d’Etat qui peut le décider. Le secrétaire général, j’espère en tout cas, appliquera les consignes.

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