JACQUES DIOUF, DG SORTANT DE LA FAO « La Fao, le Sénégal, Wade et moi… »

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xalimasn.com-Après trois mandats successifs et des résultats probants à la tête de la Fao, le Sénégalais Jacques Diouf éprouve autant de fierté à dresser son bilan qu’il brûle d’impatience de se défaire de son obligation de réserve pour se prononcer sur la vie politique du pays. Un marigot qu’il connaît et dans lequel il semble prêt à plonger.

 

 

Quel sentiment vous anime au moment de terminer votre troisième et dernier mandat à la tête de la Fao ?

 

Je dois dire que je pars satisfait, mais avec une certaine dose de frustration. Il avait fallu attendre 50 ans, après la création de l’organisation pour discuter au plus haut niveau des problèmes de la sécurité alimentaire. Si les ressources avaient suivi dans le cadre d’une volonté politique, nous aurions réglé le problème de la faim dans le monde. Nous avons vu, durant cette période, la part de l’aide au développement, précisément en faveur de l’agriculture, passer de 19 %  en 1980,  á 3 % en 2006. Aujourd’hui, nous sommes aux alentours de 5 ou 6%. Durant cette période, et il faut le reconnaître, hélas, les pays en voie développement n’ont pas, eux non plus,  donné la priorité à leur agriculture. Ils ont seulement consacré aux alentours de 5% de leur budget à ce secteur où le minimum aurait dû être de 10%. Il s’y ajoute  que les subventions de l’ordre de 365 milliards de dollars, par an, comme équivalent de soutien á l’agriculture, ont découragé les investissements  dans les pays du tiers monde. Ca c’est la partie frustration. Parce que simplement, les financements de l’agriculture ne relèvent de la Fao, mais des pays développés qui contribuent dans le cadre de l’Ocde á l’aide au développement. Et qui dit financement, fait référence aussi aux budgets nationaux qui sont élaborés par les Etats… Nous n’avons, non plus, aucune prise sur l’investissement privé…

 

Nous avons aussi eu à mener une lutte acharnée contre les prédateurs,  les maladies transfrontalières des animaux et plantes, les criquets pèlerins, la peste bovine également, et aujourd’hui, nous avons réussi l’éradication totale de cette maladie dans le monde. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’on est parvenu á le faire. Naturellement, d’autres maladies restent comme la fièvre aphteuse, la peste des petits ruminants, la grippe aviaire etc.

Quels ont été les résultats de l’action de la Fao dans les politiques de développement des pays membres ?

Ce que nous avons fait récemment et qui me semble aussi avoir donné des résultats, a été  d’aider les pays á développer dans des programmes pilotes de sécurité alimentaire pour démontrer qu’avec des techniques simples, et pas onéreuses, on peut augmenter rapidement et de manière bien sécurisée, la production alimentaire. Nous avons commencé avec une quinzaine de pays dans le monde ; et nous sommes maintenant à quelque 105 pays…Ce sont des programmes d’abord pour la maîtrise de l’eau avec des ouvrages au niveau des villages,  des puits, barrages en terre et canalisations. Et, le coût de ses opérations pour 40% est supporté par la main d’œuvre locale…Nous avons juste veillé a promouvoir les variétés locales, les types d engrais propres a utiliser, les éléments liés a la carence des sols ; et comment en mettant ensemble tout cela, et en fonction des plantes, on pouvait accroître la production et la productivité… Et, en Afrique au cours des dernières années, on peut aussi noter qu’il y a 14 pays qui ont fait un bond intéressant en investissant dans l’agriculture. En dotant les agriculteurs d’engrais et de bonnes semences á temps et en achetant leurs produits á des prix intéressants…

Si on ajoute à cela la hausse du budget de l’organisation à plus de 35%, on peut dire  que des avancées notables ont été constatées. Se greffent á cela, d’autres mesures comme le renforcement de l’organigramme de la société, la décentralisation et la création des bureaux régionaux etc.

 

Les bons et les mauvais points. Qu’est ce qui a le plu ou déplu a l’homme Jacques Diouf dans ce bilan ?

 

Ce qui m’a le plus fait plaisir, c’est d’entendre un  chef dire  ceci : « Je ne veux pas être le président d’un pays dont le principal métier est de faire le tour du monde pour demander de l’aide alimentaire et nourrir son peuple. Et, je veux aider ce peuple á produire ce qu’íl mange.» Et en trois ans, le pays l’a réussi. Et, je vous ai dit qu’aujourd’hui, il y a 14 ou 15 pays africains qui sont sur cette voie ou qui sont arrivés á des résultats similaires. C’est le cas du Malawi par exemple.

Ce pays se plaignait  de  la sécheresse,  alors que un tiers de son  territoire est un lac d’eau douce. Et c’est un chef d’Etat qui a pu corriger cette erreur…Et ce dernier se trouve être un ancien fonctionnaire de la Commission économique des Nations Unies…Et avec les données de la Fao et même temps que celles de la Commission économique africaine (Cea) il a pu réussir. La vérité est qu’il faut avoir l’humilité de savoir ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire. Or aujourd’hui, si on avait la volonté politique de le faire, on peut régler en 5 ans, le problème de la sécurité alimentaire dans le monde.

 

 

«Je suis fier de parler des exemples africains.»

La crise alimentaire de 2009, un aveu d’échec ?

 

Non, non ! Il faut dire la vérité. Et les gouvernements sont responsables en tant que pays souverains, d’assurer aussi les conditions de vie de leur peuple parce que c’est á eux de les améliorer. Personne d’autre ne peut le faire. Ni une institution internationale, ni l’aide bilatérale. Ces dernières ne sont là que pour aider. Mais, nous n’allons pas nous substituer aux pays. La Chine nourrit 20% de la population mondiale avec seulement 7% de ses terres arables.

 

La Fao et le bradage foncier dans le monde ?

 

Vous savez, j’ai été le premier á avoir dénoncé ce nouveau pacte colonial dans Le Monde, dans un article qui a été repris par le Financial Times. Je n’ai pas été populaire, hein.  Parce que j’ai dit que le problème que nous avons, ce n’est pas la question de l’investissement privé. Nous en avons besoin et nous ne pouvons avoir augmenté de 70% la production agricole mondiale (taux nécessaire pour faire face á une population mondiale qui va passer dans quelques années de 6,1 á 9,1 milliards d’individus sans compter les 901 millions de personnes qui ont faim), sans investissements  réels. C’est indispensable, mais disons qu’il faut que cela soit un investissement privé qui se fait dans le cadre aussi bien pour ceux qui apportent les capitaux que pour ceux qui en ont besoin pour qu’on y trouve un avantage á long terme.

« Wade et moi…»

Vos rapports avec le président Wade sont connus comme heurtés. A quoi vous destinez-vous après la Fao ?

 

Le chef de l’Etat a cru devoir cibler la Fao. Et je pense et surtout en parlant du G20 qui a été organisé par la France et  avec des études qui ont été demandées á la Fao, en coopération avec l’Ocde, les dernières attaques ont porté sur le fait qu’on allait créer quelque chose á cette réunion. Bon, je n’ai pas vu mon pays là-bas, et je pense que finalement, c’est moi qui l’ai représenté (rires). Et vous aussi, parce que vous y étiez. Non, mais pour parler sérieusement, je crois que ces attaques, tout le monde sait qu’elles ont d’autres motivations que la Fao. Moi j’ai veillé  à rester serein pendant toutes ces périodes. Et, ce n’est pas facile de maintenir une sérénité et le devoir de réserve, du fonctionnaire international, face á de telles attaques. Et, pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, on a vu le président d’un pays taper sur le responsable d’une institution dirigée par un ressortissant de son pays. Qu’on me dise où cela s’est passé depuis que les Nations Unies existent. Cela fait mal quand ça vient de votre pays. Même si on peut dire que c’est un pays souverain où celui qu’on a élu est libre de dire ce qu’il veut. Alors, vous comprenez bien que j’ai hâte de terminer mon mandat, et je ne souhaite pas rester ici jusqu’au 31 décembre.

 

Vous avez des ambitions en direction de l’élection  présidentielle de 2012 ?

Je ne souhaite pas rester ici jusqu’au 31 décembre. Même si mon mandat court jusqu’á cette date. Mais quel rôle je vais jouer,  une fois rentré au Sénégal ? Cela est une autre question. Mais certainement et nécessairement, je compte jouer un rôle dans mon pays. Je suis citoyen á part entière, et tout ce que je suis devenu c’est grâce á mon pays. C’est mon pays qui m’a éduqué et formé, qui m’a donné une bourse pour aller étudier en France, et quand je suis rentré, c’est ce même pays qui m’a envoyé á 27 ans, diriger une organisation régionale africaine au Nigeria ; et qui m’a encore envoyé á 33 ans, diriger une autre organisation internationale sur le riz au Libéria.

Et après, j’ai été souvent présenté par mon pays et élu grâce á  ses dirigeants. J’ai été ministre et député, membre du bureau de l’Assemblée et président de la Commission des Affaires étrangères. Et, et quand j’ai quitté au bout de certain temps pour retourner á la carrière internationale, je ne suis même pas resté un an que le gouverneur Fadiga a proposé que je vienne pour être Secrétaire général de la Bceao. Mais, il a consulté le chef de l’Etat (Abdou Diouf) qui n’a trouvé aucun problème. Ensuite, on m’a nommé ambassadeur du Sénégal aux Nations Unies, même si  j’ai gardé mes bureaux de conseillers á la Banque mondiale á Paris et Washington. Ici á la Fao, j’ai été présenté par le gouvernement du Sénégal. J’ai été élu deux fois, et pour la troisième je l’ai été sans aucune opposition. Mais, comprenez bien que j’ai compris une chose : la politique, ce n’est pas une affaire de curriculum. Elle a ses règles. Elle a ses méthodes et procédures. Et je les ai vécues. Donc, avant de s’engager, surtout lorsqu’on sait que quand on s’engage, on engage tous les siens les gens qui ont confiance en vous  il faut savoir á quoi on va les engager. Et avec qui ? Surtout dans un pays où il y a une multitude d’ambitions qui se manifestent (tout le monde a le droit d’avoir ses ambitions). Je ne remets en cause cela, mais je veux savoir á quoi la totalité de ces actions va aboutir ?

Propos recueillis à Rome par Abou Abel THIAM

(Avec Madiambal DIAGNE (Le Quotidien) et Mame Aly KONTE (Sud quotidien)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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