Justice aux femmes travailleuses Par Iba Der Thiam

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L’histoire du monde du travail dans notre pays a été étudiée par de nombreux spécialistes. Si la condition des ouvriers, celle des fonctionnaires et des personnels administratifs du secteur privé, ont été plusieurs fois visitées sous des angles de vue qui dessinent une palette polychrome de situations, nées, pour l’essentiel, des grandes batailles sociales, la condition des femmes et des enfants a fait l’objet de très peu de recherches. Elle constitue, pourtant, un vaste champ d’investigation d’une richesse incomparable.

Il y a, là, un héritage qui n’a pas tiré de la colonisation, tous les avantages qu’elle pouvait offrir.

Alors que la révolution de 1789, en supprimant le cloisonnement rigide des systèmes d’organisation du travail hérité de l’ancien régime, avait proclamé la liberté du travail, la loi Le chapelier, avait placé la condition ouvrière dans une situation de relative vulnérabilité, en interdisant les corporations et les coalitions,

Avec l’industrialisation, la situation du monde du travail passa de l’indigence à un paupérisme agressif dont l’ouvrage du Docteur WILERME, dressant le tableau de l’état physique et moral des ouvriers dans les principales fabriques de France (1840), donne d’édifiants exemples.

Hommes, femmes, enfants, touchés par l’exode rural, s’entassent dans les grandes villes, pour servir de main-d’œuvre dans les manufactures, dans un contexte de misère sociale extrême et de dépendance totale des travailleurs vis-à-vis de leurs employeurs.

Cette situation se prolongea, évidemment, dans les colonies françaises d’Afrique, où les premiers textes organisant un salariat plus ou moins négocié apparurent, timidement, vers les années 1790. A cette époque, le travail des femmes et celui des enfants bien qu’effectifs dans la nomenclature des forces sociales, ne font l’objet d’aucune mention significative.

La révolte des canuts de Lyon de 1831, l’insurrection ouvrière de 1834 et les journées mémorables de 1848 qui ont ponctué la Commune de Paris, n’eurent que peu d’échos en Afrique.

Les thèses de PROUDHON comme celles de Louis Blanc n’avaient, elles aussi, pour le moment, aucune influence véritable sur l’action des Gouverneurs coloniaux et des rares capitaines d’industrie.

La loi du 22 Mars 1841, relative au travail des enfants dans le secteur industriel et manufacturier européen naissant, ne connut aucun prolongement nettement visible dans les colonies africaines.

Contrairement à la métropole, l’intervention de l’Etat dans les relations du travail y fut plus précoce, puisqu’elle se manifesta dès les premières phases de la colonisation agricole du Walo après 1819. Les femmes, tout comme les hommes, sont assujettis à de nombreuses contraintes. L’action syndicale mit du temps à prendre en charge leurs revendications intrinsèques.

Alors qu’en Angleterre, dès 1825, le syndicalisme ouvrier s’implante officiellement, la France mit près de 60 ans à conférer le même statut à ses travailleurs.

Si le second empire proclama, en 1864, la suppression du délit de coalition, il faudra attendre la loi du 19 Mars 1874 qui crée l’Inspection du Travail et, surtout, celle de WALDECK ROUSSEAU de 1884, pour que la classe ouvrière fasse une conquête déterminante pour son avenir. C’est dans cette mouvance-là qu’il faut inscrire la loi du 2 Novembre 1892 sur le travail des femmes, celle de 1898 sur les accidents du travail, celle, enfin, du 30 Mars 1900 instituant la journée de 11 heures.

Pourtant, ni les lois successives du 12 Mars 1920 portant affirmation de la personnalité juridique des syndicats, ni celles du 4 octobre 1941 instituant une Charte du travail sous le régime de Vichy, pas plus, au demeurant, que l’ordonnance de 1944 rétablissant la liberté syndicale, ne prennent en charge la question du travail des femmes dans toutes ses dimensions.

Il faudra attendre la Constitution du 27 Octobre 1946, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 Décembre 1948 et la Convention Européenne de 1950, pour que la liberté syndicale soit nettement affirmée dans des termes dont la condition ouvrière féminine pouvait sortir améliorée.

Au Sénégal, si le Front populaire a amorcé un processus d’émancipation de la femme et de prise en charge de ses intérêts, aucune réflexion sérieuse n’avait été entreprise sur la condition des ouvrières agricoles, de celle du textile, des poissonneries et des femmes travailleuses, en général. Les Secrétaires Sténodactylos du sexe féminin de Saint-Louis avaient, pourtant, créé l’une des premières organisations corporatives destinées à prendre leurs intérêts en main. Quelques rapports d’Inspecteurs du Travail ou des affaires administratives en portent mention.

L’accession du Sénégal à l’indépendance a été un processus au cours duquel, les femmes sénégalaises ont donné le meilleur d’elles-mêmes.

Présentes au Conseil de la jeunesse, au RJDA, dans les partis, les syndicats, dans le Mouvement des Elèves et des Etudiants, ainsi que dans les luttes sociales et dans tous les combats pour l’indépendance et la dignité de l’homme noir à travers, notamment, l’UGETAN, elles ne sont pas, pour autant, parvenues à focaliser suffisamment l’attention sur leurs difficultés familiales, sociales et humaines, sur les contraintes excessives pesant sur elles, sur les inégalités de toutes sortes dont elles sont victimes, sur les exclusions et les préjugés qui entravent, encore, leur accession aux sphères de pouvoir et de décision.

En créant un Ministère de la Condition féminine, le Gouvernement du Parti Socialiste avait posé un acte majeur.

En nommant un Premier Ministre femme, en augmentant le nombre des dames dans le Gouvernement et leur position dans des structures stratégiques, en introduisant dans la Constitution de 2001, des dispositions capitales en faveur des femmes, le pouvoir de l’Alternance a manifesté une volonté politique incontestable.

Mais, ces mesures n’ont, jusque- là profité, en général, qu’à l’élite.

Le droit de la femme à la terre constitue une première révolution.

La libération des femmes ouvrières des servitudes d’un autre âge qui continuent de peser sur elles, doit être la deuxième révolution de l’Alternance.

C’est une exigence de dignité. C’est une exigence d’égalité. C’est une exigence de justice. C‘est une exigence démocratique, politique et sociale. C’est une exigence des droits humains.

 

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