La façade lézardée du football français Par Pap Ndiaye

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L’historien Pap Ndiaye démonte le mythe, entretenu par ses instances dirigeantes, d’un sport qui serait intrinsèquement antiraciste. Une illusion qui n’a plus lieu d’être.

 

D’une manière générale, je suis de ceux qui critiquent, depuis plusieurs années, la façade «fraternelle et antiraciste» que le football français de haut niveau se donne, derrière laquelle se nichent des discours et des pratiques bien différents. En dépit de leurs déclarations rituelles et lénifiantes, les instances dirigeantes du football n’accordent qu’une attention superficielle au racisme et à la discrimination raciale, en attribuant au foot des vertus intrinsèques sans jamais s’interroger sérieusement sur ce qui se passe dans leur sport. Celui-ci se trouve ainsi paré d’une innocence permanente, par laquelle les comportements racistes et discriminatoires, quand ils ne sont pas relativisés, se trouvent rejetés du côté d’éléments exogènes, présentés comme «antisportifs».

 

Or, pas plus que n’importe quelle autre activité humaine, le football n’est intrinsèquement antiraciste. La culture du silence chez les joueurs professionnels de football, dès lors que l’on sort des propos convenus d’avant ou d’après-match (ce silence est surtout le fruit des intimidations de l’encadrement, mais des facteurs d’âge et d’éducation entrent aussi en jeu) n’aide pas à la prise de conscience collective des enjeux citoyens de leur sport. Depuis longtemps, malgré les éclairs d’optimisme fraternel à l’occasion des victoires, le football n’est plus un point d’appui valable pour la lutte antiraciste. Il en est plutôt devenu l’un des sujets d’inquiétude. Parler du «rôle d’intégration» qu’aurait le football est une aimable fantaisie.

 

Si, habituellement, on pouvait reprocher aux dirigeants du football leur passivité et leur mollesse dilatoire à l’égard des discriminations et du racisme, semblable en cela à celles de bien des élites médiatiques, économiques et politiques, les informations de Mediapart nous apportent autre chose: la mise en œuvre de pratiques ouvertement discriminatoires. Confortés par leur bonne conscience («nous sommes sportifs, donc antiracistes, et n’avons pas de leçons à recevoir»), certains dirigeants s’autoriseraient des comportements qui, s’ils sont vérifiés, pourraient, devraient, entraîner des poursuites judiciaires. Mais ce genre de poursuites est rare en France, encore plus dans le monde du sport, qui, sans être à proprement parler une zone de non-droit, tolère trop souvent l’oubli du droit.

 

L’argument implicite selon lequel les joueurs noirs seraient plus athlétiques et par là, suppose-t-on, moins doués techniquement (ce qui justifierait leur mise à l’écart pour favoriser un football plus technique) n’est pas nouveau: sous une forme ou une autre, on l’entend depuis un siècle environ, que ce soit en athlétisme, dans le tennis ou dans les sports collectifs en général. Dans le cas du basketball américain par exemple, l’arrivée de joueurs noirs dans la NBA, à partir des années 1960, transforma incontestablement ce sport, qui devint dès lors plus physique et plus spectaculaire. Mais cela ne tenait pas à des qualités physiques propres à tous les joueurs noirs, mais au fait que pour réussir dans une ligue professionnelle qui les excluait jusque-là, ces joueurs ont dû développer un style de jeu qui leur a donné l’avantage. Un style physique, sans doute, mais aussi très technique. Opposer le «physique» au «technique» et racialiser l’un et l’autre est une absurdité sportive et une faute morale, qui renvoie aux pires stéréotypes coloniaux.

 

Il est assez clair que le sport peut constituer un moyen d’ascension sociale pour les groupes dominés. Tracer les itinéraires de champions d’origine très modeste et parvenus à la gloire est pratiquement un genre littéraire qui a accompagné l’histoire même du football. Les Noirs étant surreprésentés dans les catégories modestes, notamment chez les travailleurs migrants, il n’est pas anormal de les trouver dans le sport, particulièrement les sports historiquement liés aux classes populaires comme la boxe ou le football. La principale raison de la forte présence de joueurs noirs sous le maillot bleu est liée aux vagues migratoires des quarante dernières années, en provenance de l’ancien Empire colonial. Les Bleus forment le miroir réfléchissant de notre passé national, qui est aussi un passé colonial.

 

Ensuite, dans des pays comme les Etats-Unis ou la France, où les discriminations sont courantes, le sport professionnel a pu apparaître comme un secteur où les talents sont justement récompensés. «Puisqu’il y a tant de Noirs dans le basket ou le foot, c’est bien que moi aussi j’ai ma chance», se disent beaucoup de jeunes Noirs, de telle sorte que l’attractivité de ces sports s’en trouve renforcée auprès d’eux (avec son lot de désillusions pour la plupart, bien entendu). La forte présence de joueurs noirs et arabes dans le football professionnel est un symptôme général de l’état de la société française. L’affaire qui nous occupe aujourd’hui pourrait paradoxalement avoir un effet positif: celui de détourner du football des jeunes gens qui y investissent démesurément leurs espoirs de réussite sociale.

 

En ce qui concerne l’équipe de France de football, le soi-disant trop grand nombre de joueurs noirs fut regretté, chacun dans son style, par Georges Frêche et Alain Finkielkraut, il y a quelques années. Certains dirigeants de la fédération française semblent reprendre ce discours à leur compte, en l’habillant d’arguments techniques (le «physique» et le «technique» dont j’ai déjà parlé) et surtout en voulant mettre en œuvre une politique de recrutement triant le bon grain de l’ivraie: car, à l’inverse de l’homme politique et de l’essayiste précédemment cités, ils ne sont pas commentateurs mais acteurs du football, ce qui leur donne une responsabilité particulière. «L’invasion noire» dans le football à laquelle il est implicitement fait allusion témoigne d’une inquiétude soupçonneuse à l’égard des non-Blancs, comme si ceux-ci devaient éternellement prouver qu’ils sont bien français, surtout lorsque les drapeaux footballistiques sont en berne.

 

La balle est désormais dans le camp des dirigeants du football français, et, d’une manière générale, des acteurs de ce sport: épargnez-nous, de grâce, les torrents de bons sentiments et les déclarations émouvantes, larme à l’œil, sur les «valeurs de fraternité» du foot, car la façade de votre sport est lézardée et vermoulue. Ses béances laissent apparaître une réalité peu reluisante, qui nécessite des réparations lourdes, allant dans le sens d’un meilleur respect du droit, d’actions antiracistes vérifiables et d’un engagement plus marqué des sportifs dans la cité.

mediapart.fr

 

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