La Grande Muraille verte trace doucement son chemin au Sénégal

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Après une journée d’intenses négociations dans la poussière du marché de Widou, où le vieil éleveur se rend tous les mardis pour vendre ses chèvres et ses moutons, Ngadiel Ba s’installe dans une chaise pliante, un verre de lait caillé à la main. « Quand j’ai vu l’installation des premiers enclos de la Grande Muraille verte [GMV] en 2008, j’ai tout de suite compris que c’était très important. J’ai milité pour que nous en ayons un près de chez nous », raconte Ngadiel Ba.

A 65 ans, l’éleveur est un Peul du Kooyah, région sahélienne du nord du Sénégal située à une cinquantaine de kilomètres de la ville côtière de Saint-Louis. Il a connu la brousse généreuse d’avant la grande sécheresse de 1973. « En ce temps, elle était peuplée de pintades et autres animaux. La végétation était luxuriante, le climat bien plus humide qu’aujourd’hui », se souvient-il. Le vieil homme sait que cette époque florissante a fait long feu. Sous les effets conjugués de la sécheresse, d’une raréfaction des pluies et du surpâturage, l’écosystème du Kooyah ne s’est jamais reconstitué. « Sauf dans les parcelles protégées de la GMV, où j’ai vu la réapparition d’espèces qui avaient disparu », ajoute-t-il.

Lancé en 2008 sous l’égide de l’Union africaine, le projet a pour objectif de restaurer les écosystèmes sahéliens menacés par la désertification. Il se résume le plus souvent en une bande de reboisement de 15 km de large traversant le continent d’est en ouest, de Djibouti à Dakar.

Parcelles éparses

« Le terme “Grande Muraille”, c’est pour frapper les esprits. Ici, ça ne ressemble pas à ça », explique le sergent Ndiaye, du service des eaux et forêts sénégalaises, superviseur du projet dans le Kooyah. « Ce sont des parcelles éparses d’environ 600 hectares chacune pour laisser circuler le bétail, mais entourées de fils de fer barbelés pour protéger les jeunes plants. »

Débutée il y a huit ans dans le nord du Sénégal, l’installation des parcelles s’est accompagnée d’un long travail de sensibilisation. Le but était de faire adhérer les populations au projet. « Eleveurs transhumants, les Peuls sont moins attachés à la terre qu’à leur bétail », résume Abdou Ka, sociologue pour les Observatoires hommes-milieux Tessékéré (OHMI), fruit d’une coopération entre le CNRS et l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Le projet a rencontré des résistances. « Au départ, les éleveurs transhumants ont attaqué les parcelles, pour récupérer du fourrage, se remémore Ngadiel Ba. En plus d’un gardiennage, pris en charge financièrement par l’Agence nationale de la GMV, nous avons dû inventer un système de taxe pour le fourrage. Un équilibre qui permettait aux éleveurs d’accéder aux ressources des parcelles sans les abîmer », poursuit le chef de village.

Parallèlement aux parcelles de reboisement, des jardins polyvalents ont été créés pour permettre aux éleveurs de diversifier leurs activités et de limiter les effets du surpâturage. A Widou, c’est une coopérative de 248 femmes qui en a la gestion. Oignons, pommes de terre, pamplemousses, mangues… La production des jardins polyvalents est destinée à l’autoconsommation et à la vente sur les marchés. « Les bénéfices sont réinjectés dans la coopérative. L’argent permet de mettre en place un système de prêts et de tontines », précise Jomma Sène, horticultrice professionnelle, employée par l’Agence nationale de la GMV.

Les jardins polyvalents favorisent l’émergence d’une économie locale portée par les femmes. Ils permettent également de diversifier l’alimentation. « Avant, les seuls produits frais que l’on trouvait dans la région venaient du fleuve Sénégal. Ils étaient transportés en pick-up. Ils étaient donc coûteux et difficiles à conserver. Avec l’introduction des jardins polyvalents, les femmes ont découvert de nouveaux produits, la salade verte par exemple », assure le sociologue Abdou Ka. Cette évolution est cependant allée de pair avec des pratiques aux conséquences sanitaires plus controversées. « On a vu apparaître le bouillon cube, un usage plus systématique de sucre, le riz a remplacé le traditionnel mil et, avec ces nouveaux aliments, des cas de diabète et de tension artérielle », nuance Gilles Boetsch, chercheur en anthropologie bioculturelle et responsable de l’OHMI.

Multiplier par 20 la densité de la forêt

Huit ans après l’implantation des premières parcelles dans le Kooyah, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions tranchées. D’après les responsables, chercheurs et éleveurs, la régénération des espèces végétales est bien réelle mais le processus est très lent. En moyenne, entre 1,7 et 2 millions de plants sont mis en terre chaque année pour une superficie moyenne de 5 000 hectares de reboisement annuel. « Nous sélectionnons les espèces en fonction du milieu et des sites. Vers Widou, nous avons essentiellement planté de le gommier blanc – Acacia senegal – et le dattier du désert – Balanites aegyptiaca », précise le colonel Pape Sarr, responsable technique de l’Agence nationale de la GMV. Le taux de réussite du reboisement oscille entre 70 % et 75 % en fonction des parcelles et des années, un taux « correct compte tenu de l’aridité et du manque d’eau dans la zone », estime le colonel.

« D’ici une vingtaine d’années, on espère que les conditions de survie de l’écosystème seront rassemblées » Colonel Sarr, responsable technique de la Grande muraille verte

Pour l’heure, 40 000 hectares environ ont été reboisés sur les 817 500 hectares du tracé sénégalais. « Avec ces chiffres, on se dit que c’est un travail sans fin !, reconnaît le colonel Sarr. Mais, en plus du reboisement, il y a tout un travail de restauration des terres dégradées, de protection et de mise en défens. D’ici une vingtaine d’années, on espère que les conditions de survie de l’écosystème seront rassemblées. » Selon l’Agence nationale de la GMV, entre 2008 et 2014, 13 000 hectares ont été mis en défens, c’est-à-dire que les plantations sont interdites de coupe et d’accès aux bestiaux.

« L’objectif est de multiplier par vingt la densité de la forêt. En multipliant les ressources, on multiplie les dérivés économiques. Par exemple, l’acacia du Sénégal produit de la gomme, les feuilles de dattier sont utilisées pour des produits cosmétiques. On ne connaît pas encore l’étendue des ressources, on les découvre en marchant ! », s’enthousiasme Gilles Boetsch. Selon les chiffres de l’Agence nationale sénégalaise, la GMV a permis de créer 75 emplois directs ces six dernières années ainsi que 1 800 emplois indirects chaque année liés aux pépinières et aux jardins polyvalents. Environ 300 000 personnes vivent dans les trois provinces traversées par la GMV au Sénégal.

Changer de mode de vie

Le gouvernement sénégalais débloque chaque année une enveloppe de 1,3 million d’euros. Des financements de l’Union européenne dans le cadre de la lutte contre la désertification et de la conservation de la nature à hauteur de 6 millions d’euros sur les quatre prochaines années sont en passe d’être finalisés.

Le chef de village Ngadiel Ba voit dans le projet de la Grande Muraille verte une réponse au changement climatique et une alternative au modèle de vie des transhumants peuls : « Quand j’étais petit, dans un rayon de 7 km, il n’y avait pas plus de quinze campements. Aujourd’hui, on en compte plus de 150 ! Le nombre des hommes a augmenté, le nombre du bétail a augmenté. La brousse n’est pas extensive. Il faut que nous changions notre mode de vie. »

lemonde.fr/afrique

1 COMMENTAIRE

  1. Faut-il toujours recourir aux médias étrangers (en l’occurrence ici, Le Monde) pour nous informer d’un projet de cette envergure dans notre propre pays ? Que font de plus important les médias sénégalais ?

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